« Vous permettez au pays de rester debout » : c’est par ces mots qu’Élisabeth Borne a salué la mobilisation des salariés de l’énergie et des transports dans la gestion de la crise sanitaire. Mise en place de trains médicalisés et de services de mobilité pour le personnel soignant, élaboration d’un pont aérien pour acheminer les masques, interventions pour sécuriser l’alimentation électrique d’hôpitaux et de centres de distribution alimentaire… Le défi de l’état d’urgence sanitaire a été relevé avec succès par les opérateurs d’énergie et de transport.
A l’approche du 11 mai – qui marquera la sortie progressive du confinement -, c’est néanmoins vers un autre défi que se tournent ces opérateurs : celui de réussir la reprise des activités « mises sous cloche » pendant le confinement.
Enjeu n°1 : adapter les conditions de travail pour garantir la sécurité sanitaire des usagers et salariés
Alors que 63% des Français se disent inquiets par le déconfinement[1], les entreprises ont érigé en première des priorités l’adaptation des pratiques de travail pour prévenir une seconde vague de contamination et rassurer clients et salariés. Cette problématique est prégnante dans l’énergie et les transports, secteurs d’activités qui nécessitent d’être au contact direct d’un nombre important de clients chaque jour.
Dans la distribution d’énergie, Enedis et GRDF ont défini des protocoles pour que les interventions se fassent dans des conditions qui garantissent la sécurité sanitaire des clients et des techniciens : distanciation sociale, balisage des chantiers pour éviter tout contact, masques pour les techniciens… Les deux distributeurs sont notamment engagés dans des projets d’installation de compteurs communicants, Linky et Gazpar, qui impliquent de nombreux « contacts clients » chaque jour.
Cette problématique est plus marquée encore dans les transports. Pour la RATP par exemple, le casse-tête ne fait que commencer pour faire respecter les mesures de distanciation sociale tout en permettant aux Franciliens de reprendre le chemin du travail. Selon Catherine Gouillard, PDG de la régie publique, « si on devait appliquer la distanciation sociale, on ne produirait plus que 2 millions de voyages par jour »[2], bien loin des 12 millions de voyages quotidiens habituels. Différentes mesures sont prévues pour accompagner ce redémarrage : marquages au sol, sièges condamnés, désinfection de rames, vente de masques… La mairie de Paris envisage de son côté de mettre à disposition des fontaines à gel hydro-alcoolique dans les stations.
La question sanitaire concerne également les salariés de ces entreprises, et le dialogue avec les organisations syndicales est engagé en ce sens. « A chaque fois qu’on a dû redémarrer dans des géographies qui ont été confinées, les salariés ont une inquiétude. C’est pourquoi nous allons tout mettre en œuvre pour les rassurer », expliquait récemment Pierre Deheunynck, directeur général adjoint chargé des ressources humaines d’ENGIE[3]. Alors que le télétravail va perdurer pour bon nombre de salariés – notamment les plus fragiles -, l’énergéticien prévoit le port du masque sur l’ensemble de ses sites mais également la possibilité de se faire tester.
Enjeu n°2 : « remettre sur les rails » des activités opérationnelles complexes
Les activités des opérateurs de transport et d’énergie reposent souvent sur des infrastructures industrielles et des processus complexes, difficiles à relancer du jour au lendemain. A compter de la mi-mars, le confinement a conduit à limiter, voire à suspendre, une partie significative de ces activités : la consommation d’électricité a par exemple chuté de 20% alors que de son côté, la SNCF réduisait de plus de 90% ses liaisons ferroviaires. En parallèle, la maintenance des infrastructures – centrales, réseaux, rames… – n’a pu être réalisée dans les conditions habituelles. EDF a ainsi été contraint de reporter de nombreuses opérations de maintenance sur son parc nucléaire et annonce pour 2020 un niveau de production au plus bas depuis 30 ans. L’opérateur historique se dit néanmoins confiant sur sa capacité à assurer la sécurité d’approvisionnement du pays grâce à la mobilisation de ses salariés. Dans toutes les entreprises de l’énergie et des mobilités, cette mobilisation s’appuiera notamment sur le retour des salariés actuellement en garde d’enfants ou en arrêt maladie, qui représentaient fin avril un tiers des effectifs à la RATP, par exemple.
Le succès de la reprise d’activité repose également sur un tissu industriel de sous-traitants mis à mal depuis la mi-mars. Pour soutenir leurs partenaires – parmi lesquels de nombreuses PME –, des opérateurs (EDF, Enedis mais aussi Bouygues Telecom, Orange…) ont mis en place des facilités de paiement. L’objectif : assurer à leurs prestataires un niveau de trésorerie suffisant pour tenir jusqu’à la reprise d’activité. De nombreux ajustements contractuels ont également dû être opérés pour intégrer les contraintes associées à la crise sanitaire qui pèse sur la performance des entreprises. Le gouvernement prévoit une reprise progressive des chantiers d’ici septembre, en particulier dans l’énergie, avec une vigilance particulière liée aux disparités territoriales. D’une région à l’autre, cette reprise va être à géométrie variable, la rendant d’autant plus complexe à gérer d’un point de vue opérationnel.
Malgré toutes ces contraintes, les opérateurs d’énergie et des transports peuvent s’appuyer sur leurs forces historiques pour remettre rapidement la machine en marche : un ancrage territorial fort, des capacités importantes d’adaptation et de mobilisation humaine, une certaine solidité financière – l’État étant souvent actionnaire – et une culture prononcée de la gestion de projet, notamment en situation de crise. Les deux derniers mois en ont apporté de nombreuses illustrations. Enfin, la période de confinement a démontré la capacité des systèmes de mobilités et d’énergies à s’adapter à des situations atypiques qui demain, pourraient devenir la norme. Par exemple, avec la baisse de la consommation d’électricité, la part des énergies renouvelables a atteint 35% de l’électricité consommée fin mars (et jusqu’à 50% en Allemagne), faisant la preuve que le réseau est dès aujourd’hui prêt à accueillir une part importante d’énergies renouvelables.
Enjeu n°3 : concilier urgence économique et réflexions sur le « monde d’après »
Au-delà des enjeux opérationnels de la reprise progressive des activités, cette crise réinterroge les équilibres économiques, les organisations, les modes de travail… Tout en gérant l’urgence économique, les opérateurs réfléchissent déjà à des solutions à plus ou moins long terme.
L’économie mondiale étant entrée en récession, les grands équilibres économiques se trouvent bouleversés. Pour permettre la reprise des activités, plusieurs opérateurs stratégiques comme Air France, Renault, la SNCF voire EDF, pourraient être renfloués. Une recapitalisation de ces entreprises par l’État est à l’ordre du jour. Dans certains secteurs, cette crise devrait par ailleurs accélérer ou provoquer des recompositions. Dans l’industrie pétrolière (notamment aux États-Unis) par exemple, ou encore dans l’autopartage – pour lequel l’offre est importante et les marges faibles -, il est probable que la reprise d’activité s’accompagne d’un mouvement de consolidation. Les acteurs de l’énergie et des transports ont également planché sur des mesures pour compenser la perte de revenus liée au confinement tout en préservant les capacités futures d’investissement. Pour conforter son portefeuille de clients, ENGIE a par exemple annoncé[4] le remboursement de deux mois d’abonnement pour les ménages les plus précaires, ainsi que le report de factures pour les petits professionnels. Enfin, la période de confinement a mis en lumière les limites de certains dispositifs économiques. On pense notamment à l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH) pour lequel les fournisseurs alternatifs et EDF s’opposent dans un contexte de chute des prix de l’électricité. La Ministre de l’Énergie a d’ailleurs confié à ce sujet que la situation actuelle « renforce la nécessité » de faire évoluer le dispositif.
Les chaînes d’approvisionnement constituent un autre sujet de réflexions en cours. Les opérateurs travaillent à court terme pour être en mesure de redémarrer leurs activités, et à moyen terme pour sécuriser davantage leurs approvisionnements. A titre d’illustration, la filière éolienne mondiale dépend à près de 50% de la production chinoise. Les fermetures d’usines ont créé de nombreux goulots d’étranglements que les porteurs de projet s’attachent aujourd’hui à résorber. Dans le temps, une réflexion stratégique paraît inévitable pour atténuer cette situation de dépendance sans faire exploser les coûts de production.
Plus largement, les acteurs du secteur ne souhaitent pas opposer urgence économique et urgence climatique. Quatre-vingt-dix dirigeants d’entreprises françaises ont appelé[5] à « mettre l’environnement au cœur de la reprise économique », en ciblant notamment la rénovation énergétique, le développement des mobilités décarbonées et du stockage de l’énergie. Il s’agit là d’une prise de position attendue pour donner aux salariés et à la collectivité le sens de la reprise économique. Car comme l’a justement rappelé la Convention citoyenne pour le climat, la transition écologique n’est aujourd’hui plus une option.
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[1] Les Français face au coronavirus, 29 avril 2020, vague 11, Elabe
[2]https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/27/les-operateurs-de-transport-craignent-de-ne-pouvoir-faire-appliquer-la-distanciation-sociale_6037857_3234.html
[3]https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/coronavirus-chez-engie-le-port-du-masque-sera-obligatoire-a-partir-du-11-mai-1197750#xtor=CS1-3046
[4] https://particuliers.engie.fr/pourquoi-choisir-engie/conseils-actualites-engie/mois-abonnement-offerts.html
[5]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/03/mettons-l-environnement-au-c-ur-de-la-reprise-economique_6038523_3232.html