L’hydrogène, voilà une petite molécule[1] à qui l’on prête de grandes vertus. Considéré par nombre d’industriels et de politiques comme le « chaînon manquant » de la transition énergétique, l’hydrogène fait déjà partie de notre quotidien. Il s’agit de l’élément le plus abondant dans l’univers et il est largement utilisé dans l’industrie chimique et agroalimentaire ainsi que dans l’élaboration de métaux. 900 000 tonnes d’hydrogène sont produites en France chaque année pour couvrir ces besoins, avec des entreprises comme Air Liquide en porte-drapeau du savoir-faire tricolore.

Cet hydrogène est néanmoins aujourd’hui fortement « carboné ». Comment expliquer, dès lors, que l’hydrogène porte tant d’espoirs dans le mouvement de décarbonation des systèmes énergétiques et industriels, au point qu’un plan hydrogène a été lancé mi-2018 par Nicolas Hulot, alors ministre de l’Énergie et de l’Environnement[2] ? Plusieurs pistes de réponse émergent, aussi bien pour l’hydrogène utilisé comme « produit » dans l’industrie, que pour l’hydrogène comme « vecteur » au service de l’équilibre du système énergétique.

La production d’hydrogène se fait aujourd’hui à partir d’hydrocarbures fossiles mais de nouvelles méthodes d’extraction « propres » se développent, laissant entrevoir une possible contribution de l’hydrogène à la décarbonation des activités industrielles.

Bien qu’abondant dans notre environnement, l’hydrogène ne s’y trouve quasiment pas à l’état pur et doit donc être extrait de l’eau, du gaz, des produits pétroliers ou de tout autre élément dans lequel il se trouve. Dans les faits, l’hydrogène industriel est aujourd’hui très largement tiré des hydrocarbures et sa production[3] libère en conséquence d’importantes quantités de CO2 : produire 1 kg d’hydrogène génère 10 kg de CO2. Cette production est à l’origine de 7,5% des émissions de l’industrie française.

D’autres sources d’extraction propre existent pourtant : l’extraction à partir de biomasse (par gazéification) ou de biogaz (par vaporeformage), ou l’extraction par électrolyse de l’eau (l’oxygène généré pouvant être relâché ou utilisé à des fins industrielles et médicales). Mais quand l’hydrogène industriel est généré à un coût compris entre 1,5 et 2€/kg, l’hydrogène produit par électrolyse ou via la biomasse n’est pas compétitif en dessous de 10€/kg d’après l’ADEME[4].

L’équilibre économique de l’hydrogène propre passera ainsi par une industrialisation des procédés d’électrolyse ainsi que par la chute des coûts de production de biogaz à partir duquel l’hydrogène pourra être extrait, en parallèle à la hausse de la tarification du carbone.

Dans la perspective d’un mix électrique s’appuyant sur des sources de production renouvelables, des capacités de stockage intersaisonnier permettent de garantir l’équilibre du système dans la durée : l’hydrogène comme « vecteur énergétique » peut constituer à terme une des réponses à ce besoin.

Au-delà de son utilisation comme « produit » dans l’industrie, l’hydrogène est également un « vecteur » énergétique : c’est à ce titre qu’il peut être considéré comme le chaînon manquant de la transition énergétique.

Dès lors que le mix s’appuie en majeure partie sur de l’électricité renouvelable, des moyens de stockage complémentaires des mécanismes de flexibilité infra-journaliers (effacement…) et des batteries électriques (qui permettent aujourd’hui un stockage à l’échelle de la journée) doivent garantir l’équilibre intersaisonnier entre production et consommation. Transformer les excédents électriques en hydrogène par électrolyse (c’est le power-to-gas) est une réponse à cette problématique.

Cet hydrogène peut en effet être stocké dans des réservoirs, par exemple pour assurer l’indépendance d’îlots énergétiques (zones non-interconnectées, bâtiments ou quartiers autonomes, stations de recharge pour véhicules non raccordées au réseau…). Il peut également être injecté dans le réseau de gaz[5] pour remplir les importantes capacités de stockage du système gazier (environ mille fois supérieures aux capacités de stockage électrique d’après la CRE).

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Ce « scénario power-to-gas » fait cependant face à plusieurs défis :

  • La perspective d’un mix électrique à plus de 80% renouvelable (seuil identifié par l’ADEME à partir duquel le stockage des excédents électriques sous forme d’hydrogène est nécessaire) est à la fois lointaine et incertaine, ce qui pourrait ralentir les investissements, indispensables pour faire baisser le coût encore élevé des solutions à hydrogène. A titre de comparaison, pour des solutions de stockage à puissance et capacité équivalentes, les solutions à hydrogène sont aujourd’hui 1,5 à 10 fois plus coûteuses que les solutions de stockage par batterie.
  • L‘hydrogène produit à partir d’ENR électriques constitue une solution prometteuse pour stocker de l’énergie sur le long terme et la restituer au système lors des pointes de consommation (sous forme gazeuse ou électrique en fonction du mix énergétique). Ce rôle pourrait néanmoins être assuré à terme par le biométhane dont la maturité est ce jour plus avancée grâce à un cadre juridique incitatif (tarifs d’achat, soutien au bioGNV…) (voir notre publication sur le sujet).

L’hydrogène ouvre des possibilités en matière de mobilité propre, en particulier pour certains usages particuliers

Dans la dynamique de verdissement des mobilités à l’œuvre, le véhicule à hydrogène fait figure d’outsider grâce à sa grande autonomie (supérieure à l’autonomie des véhicules thermiques, et a fortiori électriques) et à sa recharge rapide (environ 5 minutes, quand la recharge des véhicules électriques se compte en heures dans la grande majorité des cas).

Ces avantages sont aujourd’hui pondérés par plusieurs facteurs :

  • Le coût des véhicules à hydrogène est à l’heure actuelle 2 à 3 fois plus élevé que les véhicules au gaz ou à batterie électrique [6]. Cela explique en partie le nombre encore très faible de voitures à hydrogène en circulation dans le monde (environ 10 000 – notamment en Corée du Sud, au Japon et en Californie – contre plus de 5 millions de véhicules électriques à batterie par exemple).
  • L’infrastructure de charge, complexe – et donc coûteuse – à déployer, est aujourd’hui très limitée : on comptait mi-2018 seulement une vingtaine de stations hydrogène en France
  • Enfin, sur la quasi-totalité des usages, le véhicule à hydrogène est concurrencé par d’autres technologies vertes à ce stade plus avancées. Sur la mobilité locale et quotidienne, le véhicule électrique (ou au (bio)GNV pour le transport collectif) a acquis une avance grâce aux progrès de son autonomie, à la réduction rapide de ses coûts et au développement de l’infrastructure de charge. En ce qui concerne le transport longue distance de voyageurs et de marchandises, les véhicules au (bio)GNV semblent également avoir de l’avance grâce à des motorisations matures offrant une grande autonomie (plus de 1000 kilomètres pour les véhicules au GNL).

Le futur de l’hydrogène dans la mobilité pourrait ainsi davantage passer par des marchés « captifs » ou de niche (flottes de poids lourds faisant des trajets réguliers et longues distances entre deux endroits dotés d’infrastructure de charge…) que dans un développement à grande échelle. D’autres secteurs particuliers, comme par exemple le fret maritime, très polluant et pour lequel les alternatives vertes sont peu nombreuses, pourrait aussi bénéficier de solutions à hydrogène…

L’apport de l’hydrogène en synthèse

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Des interrogations demeurent donc autour de l’avenir de l’hydrogène dans l’industrie, la mobilité et le système énergétique dans son ensemble. Ces interrogations portent sur la concurrence d’alternatives propres à l’hydrogène pour le stockage ou la mobilité, sur le niveau de soutien politique dont bénéficiera l’hydrogène dans le temps ainsi que sur le niveau des investissements qui seront consentis dans les prochaines années par les industriels.

A court terme, l’enjeu pour les acteurs de la filière est ainsi de passer à une autre échelle. Comme l’explique en effet Philippe Boucly, président de l’AFHYPAC[7], “les technologies de l’hydrogène sont matures même s’il faut encore de la R&D et des innovations pour faire baisser les coûts. Ce n’est pas en restant dans les laboratoires que nous ferons baisser les coûts. Il faut faire de l’industrialisation et de la massification (car) la seule façon de lever le scepticisme de certains qui disent qu’il n’y a pas de réalité économique est de faire des projets[8].”

Affaire à suivre, donc.

[1] Sous la forme du dihydrogène, H2. L’hydrogène est le plus petit des atomes

[2] Fonds de 100 millions d’euros débloqués à partir de 2019 pour soutenir la filière, objectifs de 10% d’hydrogène décarboné d’ici 2023 et 40% en 2028, suramortissement lors de l’achat de véhicules à hydrogène… Ces mesures ont été reprises dans la PPE 2018

[3] Généralement par vaporeformage

[4] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/fiche-technique_hydrogene_dans_la_te_avril2018_2.pdf

[5] Soit dans sa forme brute (dans une proportion maximale aujourd’hui d’environ 10% d’après GRDF), soit mélangé à du CO2 pour produire du méthane de synthèse (méthanation).

[6] A titre d’exemple, la Hyundai Nexo à hydrogène est commercialisée à 72 000€ quand la Zoé de Renault se vend à 32 000€ avant bonus écologique et prime à la conversion

[7] Association Française pour l’Hydrogène et les Piles à Combustible

[8] http://www.autoactu.com/philippe-boucly–president-de-l-afhypac—-2018-restera-un-jalon-majeur-pour-la-filiere-hydrogene-.shtml