Près de 270 000 véhicules électriques ou hybrides rechargeables en circulation[1] – + 30% en un an – et 27 700 points de recharge publics présents sur le territoire – +20% par rapport à 2018[2] -, sans compter l’augmentation constante de la mobilité électrique à deux roues : trottinettes, scooters, vélos… Le tableau est clair : la mobilité électrique est déjà une réalité et progresse rapidement en France.
Comment expliquer cet essor ? Les aspirations sociétales pour la limitation des gaz à effet de serre, la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de l’air se sont traduites ces dernières années par un cadre juridique favorable à l’émergence de la mobilité électrique. Les règles européennes et françaises – récemment enrichies par la loi d’orientation des mobilités – mobilisent acteurs publics comme privés : Etat, collectivités territoriales, filière automobile, énergéticiens, grandes enseignes de la distribution, sociétés d’autopartage… Dans cet écosystème foisonnant, le rôle déterminant des gestionnaires de réseaux d’électricité a été mis en lumière par deux rapports publiés au cours de l’année 2019.
D’abord en mai 2019 avec l’étude de RTE « Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique », puis en novembre 2019 avec celle d’Enedis « Rapport sur l’intégration de la mobilité électrique dans le réseau de distribution d’électricité ». Ces études permettent de comprendre comment les réseaux de transport et de distribution d’électricité peuvent accompagner l’essor de la mobilité électrique tout en favorisant le développement des énergies renouvelables (ENR), le tout au service de la transition écologique.
Un système électrique d’ores et déjà dimensionné pour accueillir la mobilité électrique
Le système électrique français dispose de plusieurs atouts pour intégrer la mobilité électrique.
D’abord, le système de production est capable d’assurer l’approvisionnement d’une nouvelle flotte conséquente de véhicules électriques. Selon RTE, la consommation annuelle d’une flotte de 15,5M de véhicules électriques (environ 40% du parc actuel de véhicules) représenterait environ 40 à 64 TWh, soit moins de 8% de la production d’électricité totale prévue en 2035. C’est moins que le chauffage individuel aujourd’hui.
Le système français s’appuie ensuite sur un réseau électrique robuste et déjà modernisé en profondeur, pour qui l’intégration des VE ne sera pas la variable dominante sur les 15 prochaines années. Depuis 10 ans, Enedis a raccordé plus de 400 000 installations de production solaire et éolienne au réseau basse tension, qu’elle a pour cela renforcé et outillé. Ces investissements et les nouveaux outils développés – notamment numériques – pour piloter la consommation et la production en temps réel contribuent à préserver l’équilibre et la qualité de la desserte, alors que le développement des renouvelables va encore accélérer dans les années à venir. Dans ce contexte, l’essor des véhicules électriques n’est pas une révolution radicale, mais une variable complémentaire à intégrer, dont les investissements estimés seront inférieurs à 10% au volume total des investissements anticipés par Enedis d’ici 2035, soit moins de 400 M€. Les opérations de raccordement des bornes représenteront les 3/4 des investissements et 1/4 pour le renforcement du réseau (câbles ou transformateurs). C’est moins que les montants alloués à l’accompagnement de la croissance des énergies renouvelables.
Enfin, le maillage électrique du territoire est un atout de taille. Le réseau d’électricité basse tension s’est développé pour accompagner l’essor socioéconomique du pays en intégrant progressivement de nouveaux usages. Desservant tous les lieux d’habitations, il facilite l’installation de bornes de recharges qui peut ainsi se faire sans engager de lourds travaux d’extensions et de renforcement – à condition néanmoins que le raccordement de bornes de recharge se fasse de façon concertée avec le gestionnaire de réseau. Cela se traduit par un coût moyen de 1 900€ pour un raccordement simple, et 13 000€ pour une extension de réseau de 100 mètres[3].
Faire de la mobilité électrique une opportunité au service du réseau et de la transition énergétique grâce au pilotage de la recharge
Avoir un système électrique déjà prêt pour intégrer la mobilité électrique, c’est bien ; l’intégrer intelligemment pour en faire une opportunité, c’est mieux. A ce titre, le pilotage de la recharge est un levier pour maîtriser l’impact de la mobilité électrique sur le réseau en évitant des renforcements coûteux et pour faciliter l’intégration des ENR.
Différents niveaux de pilotage peuvent être mis en place. D’ores et déjà, les ménages font un « pilotage naturel » de leur recharge. Enedis constate que les foyers adoptent des stratégies pour déplacer les moments de charge afin de ne pas dépasser le plafond de puissance souscrite. Grâce à l’amélioration de l’autonomie des batteries pouvant aller jusqu’à une semaine[4], les ménages auront plus de latitude pour recharger, et les appels de puissance pourront être étalés dans le temps. Avec ce pilotage « naturel », couplé au « foisonnement » des consommations[5], les appels de puissance des véhicules se « fondent » donc dans les autres appels de puissance des appareils électriques et ne sont pas visibles à l’échelle du système pris dans sa globalité.
Le pilotage de la recharge peut aussi se faire de façon plus proactive, à travers diverses solutions, pour consommer au bon endroit, au bon moment.
La voiture est majoritairement un objet statique – garée à un même endroit pendant de longues périodes de temps, au domicile, dans la rue ou au travail. Cette « immobilité » ouvre la possibilité de lisser les appels de puissance via un calendrier tarifaire, comme pour les chauffe-eaux. Aujourd’hui, 80% des chauffe-eaux sont pilotés grâce à un signal tarifaire, sans inconfort pour les clients. Grâce aux compteurs communicants Linky en cours de déploiement par Enedis, cette option de pilotage simple sera bientôt une réalité pour de nouveaux usages, dont la mobilité électrique. Selon RTE, la généralisation de ce type d’option pourrait apporter jusqu’à 6GW de flexibilité pour le réseau[6].
D’autres solutions plus sophistiquées de pilotage sont en cours de développement par les acteurs de la recharge et les gestionnaires de réseau, et pourraient trouver des débouchés commerciaux à court ou moyen termes.
C’est le cas des solutions qui font correspondre les moments de recharge des véhicules avec les pics de production éolienne et solaire, facilitant en conséquence l’intégration des énergies renouvelables. Il est par exemple envisageable de déclencher la recharge en fonction des prix sur les marchés de gros mais également de la fréquence sur réseau. En effet, une production conséquente d’ENR, en plus de faire chuter les prix sur les marchés, crée une situation de congestion, augmentant la fréquence au-dessus de 50Hz. Dans cette configuration, déclencher la recharge de véhicules électriques permet d’augmenter la consommation et réduire la fréquence. En parallèle, par le mécanisme de l’offre et de la demande, les prix peuvent être stabilisés. Les bénéfices de ce pilotage sont nombreux : pour les réseaux, des renforcements sont évités ; pour les clients, la recharge se fait à des moments de prix bas ; et le modèle économique des ENR peut continuer à s’affranchir progressivement des soutiens publics.
C’est également le cas du vehicle-to-home. Dans cette configuration, lorsque les prix de l’électricité sont bas, le foyer est alimenté par le réseau et le véhicule se recharge. Lorsque les prix augmentent, le véhicule prend le relai pour couvrir une partie des besoins et éviter des appels de puissance sollicitant un réseau déjà tendu.
De façon plus ambitieuse encore, la flotte de véhicules électriques peut être vue comme un « stockage diffus » à travers le vehicle-to-grid. Avec ce genre de pilotage bidirectionnel, le véhicule électrique se recharge lors des périodes de forte production et, de l’autre côté, il peut aussi réinjecter une partie de l’électricité stockée dans sa batterie sur le réseau, lorsque la consommation augmente et que la production est faible. Selon RTE, ce genre de pilotage – couplé au pilotage simple – permettrait de dégager jusqu’à 13GW de flexibilités et renforcer la capacité du réseau à faire face à des aléas conjoncturels.
Le réseau est capable d’accompagner l’essor des véhicules électriques, qui peuvent en retour jouer un rôle dans le développement des énergies renouvelables grâce à leur recharge modulable. En plus de décarbonner les transports, c’est une raison supplémentaire de faciliter le développement de la mobilité électrique, en la rendant plus simple et plus économique. Sans cela, les utilisateurs ne se l’approprieront pas. Pour y arriver, il faut travailler sur l’interopérabilité des systèmes, les normes de compatibilité, la simplification de l’installation des points de charge – surtout dans l’habitat collectif… Par leur expertise et leur vision transverse, les gestionnaires de réseaux sont à même d’accompagner le mouvement et de faire de la mobilité électrique un moyen de transport simple, facile… et tout ce qu’il y a de plus ordinaire.
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[1] Source : Baromètre de la mobilité électrique, décembre 2019, Avere
[2] Source : Baromètre trimestriel points de recharge, septembre 2019, Avere-Gireve
[3] Rapport Enedis, octobre 2019
[4] Certains véhicules présentent une autonomie pouvant aller jusqu’à 250km, pour une batterie de 40kWh. C’est assez pour couvrir environ une semaine de déplacements en moyenne.
[5] De la même façon que tous les ménages n’allument pas leur four en même temps, tous les conducteurs de véhicule ne rechargent pas leur voiture au même moment
[6] Source : étude RTE, à horizon 2035, scénario Crescendo