Le véhicule autonome est une innovation disruptive qui laisse rêveur et nous permet d’imaginer la mobilité sous un angle futuriste. Une intelligence artificielle embarquée remplace les cinq sens du chauffeur pour appréhender les situations de conduite en combinant les informations de géolocalisation, de caméras, radars et capteurs de détection des obstacles, et en échangeant avec d’autres véhicules sur la route.
Le véhicule autonome incarne un rêve à portée de main, comparé au véhicule traditionnel.
Le véhicule autonome change le rapport à l’espace-temps associé au véhicule individuel et est plus inclusif. Le véhicule autonome doit permettre à de nouveaux clients jusqu’ici exclus du marché automobile d’utiliser une voiture, avec achat ou location. Cela résoudrait la question du déplacement des personnes qui ne peuvent pas ou difficilement accéder à la conduite, comme les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées, les jeunes…
Le transport quotidien pourrait alors se transformer en nouvel espace de temps libre pour les futurs ex-conducteurs, qui mettraient à profit la connectivité proposée au sein du véhicule. La bureautique et le divertissement investiraient la voiture pour transformer la conception de l’espace lors des déplacements. L’interdiction de téléphoner au volant tomberait en désuétude. Le véhicule serait personnalisé, et les constructeurs continueraient à y importer leur univers de marque sous forme d’une nouvelle offre de services embarqués, en concurrence ou en complément avec les smartphones.
Enfin, l’heure n’étant plus au « plaisir de la conduite » mais aux contraintes associés à la voiture, le véhicule autonome peut offrir un nouvel espace de socialisation, hypothèse si vraisemblable que certains constructeurs envisagent de mettre les sièges en face à face dès les phases de test.
Ces perspectives sont alléchantes, mais les problématiques de la transition entre le véhicule traditionnel et le véhicule autonome sont autant de défis à relever afin d’y parvenir.
Ainsi, tout changement de paradigme se réalise avec une évolution du cadre réglementaire, souvent à la traîne par rapports aux bonds en avant technologiques.
Le premier cadre qui devra changer est le Code de la route. Une référence pour l’instant incontournable est l’article 8 de la convention de Vienne sur la circulation routière du 8 novembre 1968, dont la France est signataire. Il y est gravé dans le marbre qu’un véhicule en mouvement doit avoir un conducteur et que celui-ci doit avoir constamment le contrôle de celui-ci. Cette obligation est reprise dans le Code de la route, qui précise que le conducteur doit « se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent». Afin d’encourager les développement du véhicule autonome, la France a effectué une demande de modification de cette convention. Cette perspective réinterroge également le permis de conduire, examen d’Etat obtenu à un certain âge légal assorti de sanctions en cas d’infractions.
Toutefois, dans le cadre de la nouvelle loi de transition énergétique pour la croissance verte, les autorités françaises autorisent désormais la conduite autonome sous certaines conditions d’expérimentation, comme le montrent les récents tests de PSA sur l’autoroute Paris – Bordeaux.
Les assurances auto sont un autre domaine majeur impacté par la révolution du véhicule autonome, et qui devront se transformer pour ne pas jouer les trouble-fêtes.
Il s’agit d’un pan majeur du marché français des assurances, qui se trouverait bouleversé par le déploiement massif de véhicules autonomes. Ce type de véhicule offre a priori une promesse de sûreté par rapport au risque d’erreur humaine. Pourtant, la multiplicité des acteurs nécessaires à sa construction et à son fonctionnement (informaticiens, constructeurs traditionnels, fabricants de pièces intelligentes) complique la question de la responsabilité d’un accident en l’absence de chauffeur. Des cas de sinistres complexes en résulteraient, sans oublier le défi de la gestion d’un parc mixte où des véhicules seraient autonomes et d’autres ne le seraient pas. Les assureurs pourraient exiger a priori une visibilité sur les algorithmes des logiciels de prévention des collisions, avec la solution intermédiaire de la « responsabilité sans faute » où la victime est indemnisée, et les assureurs des deux parties s’accordent sur la répartition des responsabilités. Une autre conséquence du véhicule autonome pourrait être le basculement des clients des assureurs automobile du conducteur au constructeur ; un changement radical du modèle de l’assurance….
Les défis techniques qu’il reste à résoudre sont un autre ralentisseur de la concrétisation du véhicule autonome.
En effet, la jeune filière est au stade du prototype. Avant toute commercialisation, ce prototype doit parvenir à une insertion en trafic réel sans mise en danger de ses passagers et d’autrui. Pour cela, il doit gérer des environnements routiers et urbains fortement hétérogènes et être en mesure de prévenir les risques de hacking. Ce dernier point représente un défi majeur pour le succès du véhicule autonome ; c’est une clé de la confiance des acheteurs potentiels en cas de démonstration de sa vulnérabilité, lors de tests publics, ou lors d’accidents spectaculaires.
Malgré tout, l’écosystème qui fourmille autour du véhicule autonome fait déjà bouger les lignes d’un secteur plus que centenaire.
Le démarrage du véhicule autonome n’est pas l’initiative de constructeurs traditionnels, mais plutôt de nouveaux acteurs que l’on n’attendait pas. Cette impulsion novatrice a incité une multitude d’acteurs à se jeter dans la mêlée, et l’on peut observer des initiatives et des avancées qui relèvent de cœurs de métiers et de motivations très variés. Au stade du prototype, les acteurs non traditionnels du secteur tels que Google se diversifient en appliquant leur savoir-faire informatique à l’objet véhicule. Ils y trouvent également de nouveaux débouchés pour vendre leur expertise en expérience utilisateur, vu le nouveau champ de possibilités qu’offre le véhicule autonome. Il est toutefois légitime de s’interroger sur la volonté réelle de Google de devenir constructeur à part entière dans le cadre d’une industrialisation à grande échelle, ou bien fournisseur d’intelligence artificielle à l’ensemble du marché des constructeurs.
Les constructeurs orientent à leur tour leurs dépenses de R&D vers le véhicule autonome, et collaborent avec les géants de l’informatique comme IBM. Les équipementiers se lancent également dans le challenge de l’innovation et s’adaptent avec des composants « intelligents » du véhicule autonome, comme Valeo pour la détection d’obstacle. Les fournisseurs de logiciel se positionnent également comme nouveaux entrants, tout en captant potentiellement l’essentiel de la valeur ajoutée. Certains acteurs du monde aéronautique en profitent pour mettre en valeur leur savoir-faire et trouver de nouveaux marchés pour leurs techniques de sécurité et de géolocalisation avancées.
Plus prosaïquement, certains grands promoteurs et investisseurs du véhicule autonome ont un fort intérêt à se passer de chauffeur, pierre angulaire de leur cœur de métier mais qui se trouve parfois en travers du chemin : Uber résoudrait le nœud gordien du droit social et Hertz ou Autolib pourrait louer sans condition de permis.
Avant que cet écosystème parvienne à une stabilisation et enfin à son but ultime de production à grande échelle de véhicules autonomes à un horizon indéfini, on assiste à une intéressante commercialisation de solutions d’autonomisation progressive, pratiques et bien réelles.
Des véhicules proposant des «Advance Driver Assistance Systems » et employant des termes rassurants comme la délégation de conduite, un cran au-delà de l’assistance à la conduite, sont déjà en vente. Le conducteur d’aujourd’hui peut bénéficier d’un voiturier automatique, et de pilotage automatique en cas d’embouteillage chez Audi, Renault ou PSA. A court terme, la prochaine innovation commercialisée sera l’autonomie sur autoroute. A long terme, il n’y aura probablement pas de grand soir du véhicule autonome, plutôt une progression lente sur le chemin de l’autonomie. La maturité du marché et le graal du pilotage en ville ne seront pas une réalité avant une vingtaine d’année, sans convergence des acteurs sur cette estimation.
Le véhicule autonome est une innovation qui semble tout droit sortie d’un film de science-fiction et qui apporterait de nombreux avantages à ses utilisateurs, notamment un gain de temps phénoménal. Toutefois, la transition du cadre réglementaire et assurantiel de l’automobile apporte son lot de lenteurs au développement de cette innovation, sans oublier les obstacles techniques qu’il reste à franchir. En attendant, face aux nombreuses perspectives qu’ouvre cette innovation, l’écosystème économique de l’automobile connaît déjà des changements importants, entraînés par des motivations divergentes vers un objectif commun. Même s’il ne sera atteint qu’à long terme, le plus grand avantage actuel du véhicule autonome comme objet de tous les fantasmes industriels et médiatiques est de faire émerger dans son sillage des innovations intermédiaires qui font progresser l’industrie du transport individuel, sa praticité et sa sécurité. Certains acteurs pourraient en profiter au passage pour mettre un pied dans la chaîne de valeur de l’automobile : un marché de 70 millions de véhicule vendu chaque année est une opportunité de diversification qui ne se refuse pas.