Depuis une décennie, la France s’est engagée dans une démarche de relance et de « verdissement » des réseaux de chaleurs. La loi de transition énergétique a ainsi fixé l’objectif ambitieux de multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid à l’horizon 2030[1] par rapport à 2012.
Si les réseaux de chaleur et de froid se sont considérablement développés depuis une décennie sous l’impulsion des pouvoirs publics, les objectifs fixés pour 2030 sont-ils pour autant atteignables ?
Une politique publique qui a favorisé le verdissement des réseaux de chaleur
Depuis le Grenelle de l’environnement, l’Etat s’est donné les moyens de ses ambitions pour le développement des réseaux de chaleur et de froid « vertueux » – c’est-à-dire les réseaux livrant une chaleur produite au moins à 50% à partir des sources d’énergie renouvelables ou de récupération (EnR&R).
Le Fonds Chaleur, mis en place en 2009 à la suite du Grenelle de l’environnement et piloté par l’Ademe, a permis le financement d’installations produisant de la chaleur d’origine majoritairement renouvelable et des réseaux de chaleur associés. De 2009 à 2014, l’Agence a ainsi accompagné plus de 3 200 opérations d’investissement – soit 1,2 milliards d’euros engagés via le Fonds Chaleur, pour un montant total d’investissement généré de près de 4 milliards d’euros[2].
Afin de soutenir cette vente de chaleur « vertueuse », l’Etat a également mis en place une TVA à taux réduit[3] : 5,5% pour l’abonnement et pour la consommation des réseaux de chaleur majoritairement alimentés par des EnR&R (contre un taux à 20% sur la consommation des autres réseaux de chaleur). La compétitivité économique de ces réseaux de chaleur par rapport aux installations utilisant une énergie fossile constitue l’élément clef de leur attractivité. Les réseaux de chaleur majoritairement alimentés par des EnR&R présentent un prix de vente moyen HT nettement inférieur au prix de vente moyen des réseaux de chaleur tous confondus, une différence à la vente accentuée avec la TVA à taux réduit[4].
Les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement ont ainsi été atteints. La part des ressources renouvelables ou de récupération a augmenté dans la production de chaleur pour atteindre 47 % en 2015[5], contre 30% en 2008. Ce verdissement a pour conséquence directe de faire baisser le contenu CO2 (126 g/kWh selon l’arrêté de 2017). Enfin, le Fonds Chaleur a aidé la construction de 1 500 km de réseaux de chaleur, soit une augmentation de 40 % par rapport au parc historique de 2008.
Cette politique de subventionnement a été prolongée avec la loi de transition énergétique et les communes sont également encouragées à développer des réseaux de chaleur dans le cadre de l’appel à projets TEPCV lancé en 2014-2015.
Les outils incitatifs ne sont pas les seules raisons de se lancer dans l’aventure calorifique. Les partisans de réseaux de chaleur mettent en avant la valorisation de sources de chaleur inexploitées ou sous-exploitées (géothermie, chaleur fatale…) dans le cadre de production d’énergie. Plus globalement, l’Ademe met en avant « la capacité d’un réseau [de chaleur] à faire basculer très rapidement tous ses usagers vers des modes de chauffage vertueux (+ de 50 % d’EnR), contrairement aux modes de chauffage décentralisés habituels »[6]. Les réseaux de chaleur ont reçu un accueil très favorable auprès des responsables politiques, notamment locaux, qui les voient comme un outil d’aménagement du territoire novateur et durable.
En 2015, la France comptait plus de 600 réseaux de chaleur d’après le Cerema[7].
Ces valeurs sont issues de l’enquête nationale du chauffage urbain et de la climatisation urbaine réalisée annuellement par le SNCU pour le compte du Ministère du Développement Durable. Les réseaux de chaleur et de froid qui ne sont pas recensés au travers de cette enquête ne figurent pas dans l’arrêté.
Quelle maturité pour le secteur des réseaux de chaleur ?
Si l’augmentation du nombre de réseaux de chaleur et de la part des ENR&R dans leur bouquet énergétique permet d’attester de l’efficacité des politiques publiques engagées pour relancer ce secteur, les objectifs de la loi de transition énergétique sont encore loin d’être atteints.
Le rythme d’augmentation de la quantité de chaleur est actuellement trop faible pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.
Si plusieurs projets de réseaux de chaleur sont dores et déjà décidés et en cours d’élaboration, ce qui participera à la croissance du secteur et à la quantité de chaleur et de froid livrée, ce mouvement doit cependant être amplifié.
Or, la chaleur reste une énergie en mal de compétitivité par rapport aux autres énergies conventionnelles. Les phénomènes de perte de chaleur avec la distance imposent aux réseaux de chaleur une technologie de construction exigeante et des points de consommations concentrés géographiquement. La densité thermique du réseau, qui se caractérise par la quantité de chaleur livrée par mètre linéaire du réseau, devient dès lors le principal indicateur d’économie d’échelle d’un réseau de chaleur[8], et fait toute la complexité de la gestion de ces réseaux. Ainsi, les projets de réseaux de chaleur émergent principalement dans les zones urbanisées : en 2014, 98% de la chaleur livrée l’était dans les villes-centres ou en banlieue – espaces qui regroupaient 82% des réseaux de chaleur installés[9]. Or, ces territoires sont ceux où les réseaux gaziers sont également développés, et répondent aux mêmes usages, le chauffage et l’eau chaude sanitaire.
Le développement de la chaleur fait également face à deux phénomènes : conjoncturel avec un prix du gaz qui se maintient à un niveau faible depuis 2012, et structurel avec une efficience thermique des bâtiments neufs ou rénovés en augmentation, pour des coûts de raccordement et de gestion des réseaux constants.
Pour toutes ces raisons, l’atteinte des objectifs ambitieux fixés par les pouvoirs publics semblent possible à deux conditions : la densification des réseaux de chaleur, afin d’augmenter leur densité thermique et donc leur compétitivité, et le maintien des mécanismes incitatifs (subventions via le Fonds Chaleur et les TEPCV, TVA à taux réduits).
L’enjeu du développement de la production d’électricité d’origine renouvelable s’annonce de plus en plus prégnant pour atteindre l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique française à l’horizon 2025. Cependant, l’Etat a déjà engagé une baisse des subventions allouées aux autres ressources d’énergies renouvelables (solaire, éolien…) pour répondre à l’amélioration de leur équation économique. A l’aune de l’évolution de la compétitivité économique des autres EnR, l’Etat devra sans doute requestionner l’efficience de sa politique publique en faveur des réseaux de chaleur.
***
Pour aller plus loin…
|
[1] Titre Ier – Chapitre 1er – Article 1er alinéa III de la LTECV
[2] Fonds Chaleur, bilan 2009-2014. Relance et nouvelle dynamique – ADEME 2015
[3] Extrait du Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts BOI-TVA-LIQ-30-20-20-20121030
[4] Voir le Comparatif des modes de chauffage et prix de vente de la chaleur réalisé annuellement par l’AMORCE.
[5] Données issues de l’Enquête nationale sur les réseaux de chaleur et de froid de la SNCU publiée en février 2017.
[6] http://www.ademe.fr/expertises/energies-renouvelables-enr-production-reseaux-stockage/passer-a-laction/transport-lenergie/reseaux-chaleur
[7] Cerema : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
[8] Voir la fiche Datalab – Ministère de l’écologie : Les réseaux de chaleur : quels prix pour le consommateur ?
[9] Données 2014 issues de l’Enquête nationale sur les réseaux de chaleur et de froid de la SNCU.