Si le nucléaire a vu son importance varier sous les différents gouvernements ayant travaillé avec Emmanuel Macron, le gouvernement Barnier, dévoilé le 21 septembre, semble confirmer la relance de ce moyen de production d’énergie.

En effet, la nomination d’Agnès Pannier-Runacher (qui a porté l’alliance du nucléaire en Europe) comme ministre de la Transition Energétique ou encore d’Antoine Armand (rapporteur du rapport sur la souveraineté énergétique) comme ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, sonne comme un soutien fort à la filière.

Les choses ne semblaient pas si évidentes pour autant : entre la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024 et la démission du gouvernement de Gabriel Attal, de nombreux projets liés aux politiques environnementales ou énergétiques de l’ancien gouvernement ont été suspendus. Aujourd’hui cependant, Michel Barnier et ses nouveaux ministres pourraient rapidement réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour relancer ces sujets et – en allant plus loin –  réparer les erreurs remontées dans le rapport publié par la Commission d’enquête de l’Assemblée au cours de l’année 2023, sous l’égide d’Antoine Armand, mettant en lumière les « grandes erreurs » commises en matière de politique énergétique.

En particulier, ce rapport expose les « dépendance multiples [du mix énergétique français] aux énergies fossiles importées », ainsi que le « faible développement des moyens de maîtrise de la demande ainsi que des énergies renouvelables » comme un problème majeur, du point de vue de la souveraineté énergétique.

Derrière cette notion de souveraineté énergétique se dissimulent en réalité trois capacités majeures :

  • Pouvoir définir une politique et choisir les options énergétiques,
  • Pouvoir réduire les dépendances extérieures,
  • Pouvoir renforcer la résilience du système énergétique face aux crises.

Par opposition, l’indépendance énergétique vise une autonomie totale et une maîtrise complète de la production d’énergie.

Ainsi, le rapport de la Commission pointe surtout un « retard considérable en termes de souveraineté énergétique ».

Dans un contexte où les questions énergétiques prennent une place croissante dans les débats politiques, et au vu de l’appétence du nouveau gouvernement pour le nucléaire, la question des dépendances du mix français peut se poser, au regard des trois capacités mentionnées supra.

Dans les premiers jours du Gouvernement Barnier, il semble opportun de relire ce lien étroit entre l’uranium et la production d’énergie en France, qui pose des questions d’ordre stratégiques et géopolitiques : la question de la souveraineté du pays vis-à-vis de sa filière amène son lot de contraintes, dont certaines solutions seront présentées ci-dessous.

Des enjeux stratégiques et géopolitiques particuliers, dus aux liens spécifiques entre la France et l’uranium

L’approvisionnement en matière première du mix énergétique français, unique au monde car historiquement nucléarisé depuis les années 1970, dépend fortement de l’uranium.

Consommation Energie Primaire France Nucléaire

Consommation d’énergie primaire par énergie en France en 2022

Les questions de dépendance au pétrole ont été posées historiquement lors des chocs pétroliers, suivies récemment par les questions de dépendance au gaz naturel russe. Le fort ancrage du mix énergétique français dans l’uranium soulève des questionnements d’une nature particulière sur la sécurité d’approvisionnement – tant sur le plan stratégique que géopolitique – tout au long du cycle de l’uranium.

Ce cycle, présenté ci-dessous, fait intervenir plusieurs acteurs, en fonction des localisations. Il est à noter que sur 6 étapes, 4 sont réalisées en France. Pour autant, deux étapes clés dans la fabrication du combustible sont concernées par des externalisations à l’étranger.

Schéma du cycle de l’uranium en France.

Le premier point d’attention concerne l’étape d’importation de l’uranium (n°1 sur le schéma). En effet, depuis la fermeture de sa dernière mine d’uranium en 2001 (mine de Jouac, en Haute-Vienne) pour des raisons de rentabilité, la France importe la totalité de ses besoins en combustible pour faire tourner les 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement sur son territoire. A titre d’exemple, selon Euratom, la France a importé en 2022 plus de 7000 tonnes d’uranium auprès de 5 pays (Kazakhstan à 37%, Niger à 20%, Namibie à 16%, Australie à 14% et Ouzbékistan à 13%). Au total, 8000 tonnes d’uranium en moyenne sont importées chaque année de diverses régions du monde. Cette situation expose la France à un risque stratégique concernant l’extraction de son combustible pouvant devenir significatif, étant confrontée à l’instabilité politique dans les pays d’origine de son uranium, (en particulier en Afrique, avec l’exemple de la crise au Niger, qui a commandé de réorienter les sources d’importation).

D’autre part, des préoccupations portent sur le recyclage de l’uranium (n°2 sur le schéma), dans la mesure où la Russie détient le monopole mondial de la transformation de l’uranium de retraitement (URT) en uranium ré-enrichi (URE). Or l’étape de ré-enrichissement de l’URT est nécessaire pour pouvoir utiliser cet uranium dans les centrales françaises.

Ainsi, en 2022, 100% de l’URE utilisé en France provenait de Russie, tandis qu’un tiers de l’uranium enrichi était également fourni par ce pays. Sur un plan géopolitique, la dépendance de la France à la Russie pour la transformation de l’uranium constitue une vulnérabilité importante, accentuée par les tensions internationales et les conflits, tels que la guerre en Ukraine. Cette situation peut également soulever des questions quant à l’image de la France sur la scène internationale et de ses alliés, en maintenant des relations économiques avec la Russie.

Nouveau gouvernement à Matignon : quels compromis parlementaires pour le nucléaire ?

Depuis la publication de l’analyse de la Commission d’enquête, le gouvernement d’Élisabeth Borne avait tenté de tracer une direction claire pour la politique énergétique du pays, notamment à travers la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), l’élaboration de la Stratégie Française sur l’énergie et le Climat (SFEC) et l’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique. Au cœur de cette démarche, un objectif semblait se dessiner : relancer la filière nucléaire française. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale a engendré des incertitudes majeures concernant la stratégie énergétique de la France.

Aujourd’hui, le nouveau Premier ministre Michel Barnier se retrouve face à une tâche complexe de priorisation de sujets tous plus urgents les uns que les autres. Face à une Assemblée nationale hétéroclite, la mise en place d’un dialogue et de compromis pourrait permettre d’obtenir des majorités, en particulier sur la question du nucléaire. Ainsi, si la France souhaite relancer sa filière pour regagner une souveraineté énergétique, un questionnement sur les différents leviers d’industrialisation et de gestion des risques est intéressant.

Plusieurs axes stratégiques sont envisagés pour répondre à ces défis :

  • La diversification (du mix énergétique, des sources d’approvisionnements, …)
  • La sobriété (efficacité énergétique, maîtrise de la demande)
  • Le stockage (ressources, matériaux critiques) sur son territoire
  • Le développement de nouvelles technologies propres
  • Les interconnexions (profiter des avantages géographiques et technologiques de ses voisins)

Sur chacun de ces axes, des consensus, des compromis devront être forgés – que ce soit dans la construction de nouvelles propositions, ou dans la continuation et l’adaptation des actions existantes :

Aujourd’hui, 3 actions mises en place par les acteurs français permettent de limiter les risques

Dans le cas du nucléaire français, les acteurs français tels qu’Orano et EDF, soutenus par le gouvernement, ont déjà mené des actions, en misant sur la diversification, le stockage et la recherche dans de nouvelles technologies nucléaire :

  • 1) Diversification des sources d’approvisionnement : la stratégie d’EDF consiste à multiplier les contrats d’approvisionnement d’uranium, en provenance de diverses origines et fournisseurs, ensuite enrichis en France. Une diversification vers des pays comme l’Australie ou le Canada pourrait réduire la dépendance envers l’influence sino-russe, tout en accroissant celle envers le monde anglo-saxon.

Pays producteurs d’uranium en 2022

  • 2) Stockage de l’uranium : la constitution de stocks stratégiques, avec une capacité de 3 à 5 ans de consommation sur les sites d’Orano, est envisagée comme une mesure de sécurité supplémentaire.
  • 3) Développement de réacteurs de 4ème génération : cette nouvelle technologie de réacteurs nucléaires, capables d’utiliser l’uranium de retraitement (URT) comme combustible, offrirait une solution prometteuse pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’uranium ré-enrichi provenant de Russie.

Sur ces actions, le gouvernement Barnier a le choix d’accompagner les acteurs vers un renforcement (ex. sur le stockage, sur la diversification des sources d’approvisionnement), une accélération (ex. sur les réacteurs de 4e génération), ou sur de nouveaux axes.

Les ambitions du gouvernement en matière de relance du nucléaire dépendront de sa capacité à rassembler une majorité parlementaire autour de ces enjeux cruciaux. Toutefois, la présence de ministres convaincus de la nécessité d’une souveraineté énergétique à des postes clés de la politique française (transition énergétique, industrie) pourrait permettre de dresser une feuille de route complète et intégrée pour servir la relance de la filière.