Mine-de-charbon-Shenyang-en-Chine

Tout Paris ne parle plus que de cela : à la fin de l’année, la capitale accueillera la COP21. Au cours de ce sommet international de grande envergure sur le climat, les protagonistes rêvent de pouvoir revivre l’enthousiasme amorcé à Rio en 1992.

En attendant de recevoir les délégations, Paris accueille déjà d’autres visiteurs bien moins appréciés : les particules fines. Impossibles à éviter, elles se sont logées partout, des grands boulevards aux couloirs du métro. Une analyse aite le 18 Mars 2015 par la start-up  Plume Labs révèle que aris est l’une des villes les plus polluées du monde. Quoi que l’on puisse dire sur l’exactitude des chiffres, ces études participent à accroître la prise de conscience collective du rôle néfaste que peut jouer le trafic routier sur la santé publique.

Cet enjeu sanitaire est également financier : l’impact de la pollution de l’air est chiffré par l’OMS à 48 milliards d’euros par an pour la France, soit 2,3% de son PIB.

Face à ce défi social et économique, les politiques sont poussés à annoncer des mesures concrètes, pour s’attaquer à une des causes importantes, sans être la seule : le trafic routier.

Mais comment aller au-delà des journées « sans voiture », comme à Paris en septembre dernier, ou de mesures ponctuelles de circulation alternée pour lutter contre la pollution de l’air en ville, en tenant compte des enjeux environnementaux mais aussi économiques et sociaux ? Il semble que nous nous orientons vers une combinaison de politiques nationales et territoriales, pour faire évoluer le parc et les usages.

Les politiques d’aujourd’hui font le parc automobile de demain 

En France, la diésélisation du parc est un choix hérité du Général de Gaulle, qui dans les années 1960 voulait développer le nucléaire pour asseoir l’indépendance énergétique de la France. L’électricité prenant des parts de marché de plus en plus importantes (notamment pour le chauffage), les raffineries se sont retrouvées avec un surplus de stock pour lequel il a fallu trouver de nouveaux débouchés.

L’industrie automobile française a alors investi dans la R&D afin de rapprocher les moteurs diesels des caractéristiques des moteurs essences. Leur maitrise de la technologie s’améliorant, ils sont finalement devenus des acteurs de premier plan, proposant des moteurs diesels aux performances et conforts proches voire supérieures aux moteurs essences. Les utilisateurs ont progressivement reporté leurs achats vers ces nouveaux moteurs, encouragés par une fiscalité avantageuse. Cette transformation du parc automobile s’est faite lentement, au rythme des innovations[1], permettant de faire oublier la mauvaise image des diesels.

Avant d’observer un parc automobile entier changer de visage, il faut du temps et de la patience :  en Europe, le taux de renouvellement du parc automobile est inférieur à 10%. C’est un chiffre qu’il faut garder à l’esprit, car si le quasi monopole du diesel est aujourd’hui critiqué en France, le renouvellement du parc vers d’autres motorisations (essence, hybride ou électrique) n’est pas pour tout de suite. Ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat de choix faits il y a plusieurs d’années.

Pour faire évoluer la situation, les politiques disposent de plusieurs leviers : ils peuvent notamment agir sur le taux de renouvellement, en l’accélérant et en l’orientant.

Un enjeu et plusieurs voies

Aujourd’hui, des alternatives aux véhicules à moteur thermique existent, comme les véhicules hybrides, les hybrides rechargeables ou les électriques. Cependant, leur prix est un frein, et la question de l’autonomie et des bornes de recharge un problème bien réel.

Pour inciter les automobilistes à abandonner leurs véhicules trop polluants, les politiques ont pris des mesures très concrètes ces derniers mois, au niveau national comme au niveau local.

La Ministre de l’Écologie a fait l’annonce phare en début d’année d’une prime conséquente allant jusqu’à 10 000 € pour l’achat d’un véhicule électrique ou hybride, en remplacement d’un véhicule diesel mis en circulation avant 2001. Pour compléter cette incitation, le plan prévoit en complément un crédit d’impôt de 30% pour encourager l’acquisition d’un système de charge pour véhicule électrique. A plus long terme, le Gouvernement envisage de déployer 7 millions de points de recharge publics et privés pour les voitures électriques en 2030.

Enfin, Ségolène Royal a annoncé le 2 juin 2015 la mise en place de 7 pastilles, dont une spéciale pour les véhicules électriques, à partir du 1er Janvier 2016. Cette mesure n’a pas été présentée comme punitive, mais comme incitative dans la mesure où elle doit apporter des avantages pour les usagers.

Les collectivités locales sont incitées à prendre le relais avec cette mesure : les maires pourront prendre des initiatives, en délimitant par exemple des zones de restriction aux véhicules les plus polluants ou en créant des couloirs de circulation et des emplacements réservés à certains types de véhicules selon leurs pastilles. Reste à savoir si, après l’affaire Volkswagen, ces étiquettes dont l’attribution repose sur le respect des normes antipollution garderont leur crédibilité.

Quoi qu’il en soit, ces dernières sont les bienvenues pour les municipalités qui cherchent à contrôler les véhicules qui fréquentent leurs avenues : Anne Hidalgo avait par exemple réaffirmé le 1er septembre sur France Info sa volonté d’interdire le Diesel dans la capitale à partir de 2020.  La Mairie de Paris s’est d’ailleurs dotée d’un plan pour lutter contre la pollution, mais en optant pour une politique différente de celle du ministère. Si les mesures du Gouvernement incitent au remplacement des véhicules anciens par des véhicules récents et moins polluants, la mairie de Paris offre une alternative : elle propose le remplacement de son véhicule ancien par… une carte de transport. Ainsi les Parisiens qui acceptent de se séparer de leur véhicule diesel immatriculé avant 2001 (ou essence avant 1997), et pendant au moins 5 ans, pourront au choix bénéficier de réductions sur l’abonnement Autolib ainsi qu’un an de forfait Navigo et de Velib, ou d’une aide de 400€ pour l’acquisition d’un vélo.

Une seule mesure concerne directement les véhicules électriques : une subvention de 50% pour les travaux d’installation de point de recharge est proposée. En incitant les Parisiens à délaisser leur véhicule personnel pour les transports collectifs, la mairie cherche en fait à faire d’une pierre deux coups, en s’attaquant à la fois à la pollution atmosphérique ainsi qu’à la congestion automobile.

Au chevet de la qualité de l’air, Cités et Etat ont chacun leur rôle à jouer

La pollution est visible localement mais elle présente des enjeux nationaux et internationaux, notamment pour l’industrie, la santé et le climat. Des villes comme Paris veulent prendre les devants en proposant des plans pour améliorer la qualité de l’air, sans forcément attendre que les mesures nationales soient pleinement opérationnelles.

La multiplicité des actions politiques amène à se poser la question des avantages et inconvénients de ces dernières, notamment au regard des enjeux nationaux et locaux.

L’action du Gouvernement semble la plus pertinente pour apporter un cadre global et cohérent à la question de la pollution à l’échelle nationale, notamment au regard de l’emploi, de la santé et de l’économie… Le levier que peut actionner un ministère a une portée qu’aucune ville ne peut concurrencer.

De plus, la mobilité semble être par nature un problème qui ne peut se traiter qu’à grande échelle : comment affirmer que l’on a résolu le problème de la pollution atmosphérique dans sa ville alors même que les villes voisines n’ont pas pris d’action particulière ? Depuis 1986, on sait bien que les nuages de pollution ne s’arrêtent pas aux frontières qu’on leur fixe. Pourtant, de plus en plus de mairies prennent des initiatives à leur échelle, sans forcément attendre un consensus national, et ce pour plusieurs raisons :

  • D’abord parce que l’échelle nationale ne présente pas que des avantages pour ceux qui veulent agir vite. Le compromis est d’autant plus dur à trouver que la portée de l’action est large. Si Anne Hidalgo peut en toute liberté annoncer la fin du diesel à Paris en 2020, c’est peut-être aussi parce qu’elle n’a pas à rendre de comptes sur l’évolution du chômage en France ou sur la santé de la filière automobile. A l’inverse le Gouvernement doit, en cette période de croissance atone, procéder à des arbitrages délicats entre croissance économique (dont l’industrie automobile représente une composante essentielle) et engagement écologique.
  • Ensuite, parce que les politiques au niveau local n’ont pas la même inertie qu’au niveau national. Si on peut leur reprocher leur manque de cohérence au regard d’enjeux nationaux, on peut aussi leur reconnaître leur pragmatisme. Les villes peuvent en effet être de vrais terrains d’expérimentation, associant les décisions politiques aux entreprises qui offrent des solutions innovantes. Les villes peuvent jouer un vrai rôle vitrine pour gagner en notoriété et donner une chance aux nouveaux concepts pour qu’ils fassent leurs preuves puis se développent. On pense ici aux rôles précurseurs de La Rochelle sur la place du vélo et de la voiture dans la ville ou de Lyon sur l’autopartage. Et si en plus la création de nouveaux services de mobilité peuvent créer de l’emploi local…

Plan de la mairie de Paris pour interdire progressivement le diesel

Un jeu en équipe pour mixer les acteurs et les solutions

A court terme, les mesures prises par les politiques suffiront-elles à rapidement faire changer le parc automobile ? Difficile de l’imaginer : si des mesures peuvent être prises pour compenser le handicap financier des véhicules électriques et hybrides, peu de solutions existent pour compenser le handicap de l’autonomie auprès d’utilisateurs qui ne veulent pas faire de compromis sur ce critère. Habitués à des autonomies avoisinant les 1 000 km, les clients devraient en effet accepter d’avoir un véhicule avec une autonomie électrique allant de 150 km à 200 km pour les derniers modèles disponibles.

Aujourd’hui, une solution semble néanmoins se dessiner en attendant l’allongement de l’autonomie des véhicules électriques, car elle combine cadre réglementaire et innovation technologique. Le marché propose de nouveaux véhicules hybrides qui offrent des autonomies électriques significatives. Grâce à leur moteur thermique, les utilisateurs restent rassurés de pouvoir, en cas de nécessité, parcourir de longues distances. Comme la plupart des travailleurs ne parcourent pas plus de quelques dizaines de kilomètres pour se rendre sur leur lieu de travail, et que le droit à la prise est en vigueur depuis le 1er Janvier 2015, une majorité d’utilisateurs pourrait adopter ce mode transport sans grande inquiétude. Pour la plupart, ils n’utiliseraient alors que le mode électrique.

Cependant, l’amélioration de la qualité de l’air dans les villes ne viendra pas d’une seule solution ni même d’un seul acteur : l’avenir est à la multi-modalité et à la complémentarité des acteurs publics et privés dans un mouvement de décentralisation. La solution unique du véhicule personnel thermique va progressivement évoluer vers des modes de transports adaptés selon les usages (véhicules partagés, co-voiturage, modes de propulsion selon les usages).

Pour accompagner ce mouvement, l’Etat et les villes ont chacun leur rôle à jouer. A l’Etat de fixer les objectifs à long terme, en cohérence avec ses engagements internationaux (cf. COP21 et avertissements de la Commission Européenne) et à fournir les outils financiers ou réglementaires déclencheurs du changement (prime à la casse, bonus/malus, pastilles…). Aux collectivités territoriales d’appliquer des politiques adaptées aux usages de ces habitants : l’ambition d’Anne Hidalgo sur le diesel n’aurait pas de sens à cette échelle dans des villes rurales. Les collectivités territoriales, acteurs plus proches des citoyens, ont un rôle à jouer pour faire évoluer les usages en combinant pédagogies et mesures incitatives (aménagement urbains, partenariats avec des acteurs de la mobilité).

[1] On doit à PSA l’introduction sur le marché du filtre à particules