A Paris, la gestion du réseau de froid est concédée à Climespace, filiale d’Engie. Les réflexions actuelles de la Ville sur les futures orientations de ce service pour la période qui s’ouvre après la fin du premier contrat de concession en 2021 illustrent les défis auxquels le gestionnaire devra répondre dans les prochaines décennies pour répondre à des besoins de froid qui pourraient doubler d’ici 2050 [1]: comment concilier promotion des usages liés au réseau de froid et objectifs de transition énergétique ? Quelles technologies utiliser pour étendre, densifier et renouveler le réseau tout en répondant aux enjeux de compétitivité, de nuisances minimales pour les riverains et les clients et d’impact environnemental ? Quelle stratégie pour répondre aux exigences de résilience[2]urbaine au réchauffement climatique ? Le prochain gestionnaire, vraisemblablement concessionnaire, devra être encouragé à innover sur ces points, aux meilleures conditions de coût, de qualité et d’empreinte environnementale pour la collectivité.

Un développement du réseau de froid de Paris soutenu par un modèle concessif

Cartographie Atlante du réseau de froid urbain parisien, à partir de données publiques disponibles sur Climespace et data.gouv.fr

On le sait peu mais, avec 75 km de canalisation desservant plus de 650 clients soit plus de 6 millions de mrafraichis, la Ville de Paris possède le réseau de froid le plus important d’Europe. Deux choses en sont à l’origine : une erreur humaine et une spécificité française.

Lors d’une rénovation du Forum des Halles au tournant des années 1980, des commerçants décident de mutualiser leur production de froid pour leur besoin de climatisation. Mais le bureau d’étude se trompe dans le dimensionnement de la centrale de production, ce qui rend son exploitation plus coûteuse que prévue. Pour répondre au besoin d’exportation de ces surcapacités, la Ville de Paris met les commerçants en contact avec le musée du Louvre qui fait part d’un besoin de froid important pour ses salles d’exposition mais aussi pour ses réserves. Pour relier les deux sites, une canalisation est créée. C’est la naissance du réseau de froid parisien.

Pour encadrer la gestion de ce premier réseau sous la voie publique et surtout se donner les moyens de le développer, la Ville décide de s’appuyer sur une ingénierie contractuelle dont la France est spécialiste, inventée et pratiquée par l’administration parisienne depuis les premiers réseaux d’eau et de gaz au 18et au 19esiècle, la concession de service public. Alors que l’essentiel des réseaux de froid dans le monde sont privés, un contrat de concession est attribué à Climespace en 1991 pour 30 ans. C’est le dernier né des contrats de concessions parisiens dans l’énergie après le gaz (première concession en 1855, confié aujourd’hui à GRDF), l’électricité (1888, Enedis), et le chauffage (1927, CPCU).

La concession, un modèle contractuel français

En 1777, les frères Périer obtiennent un des premiers contrats de concession de service public en France, donnant ainsi naissance à la Compagnie des eaux de Paris. Le principe de la concession de service public, appliqué jusqu’alors dans d’autres secteurs (mines, colonies, travaux publics), consiste à confier à un acteur privé la construction et/ou la gestion d’un service de manière exclusive, sur un territoire et un laps de temps limité, tout en lui transférant le risque d’exploitation. Le concessionnaire prend alors à sa charge les charges d’exploitation et les investissements, et se rémunère directement auprès de l’usager selon un tarif fixé dans le contrat de concession. Ce type de relation contractuelle s’est depuis largement imposé pour la gestion de l’eau, des déchets et des énergies en réseau. Il fait ses preuves depuis 200 ans pour répondre à l’évolution des enjeux technologiques, économiques ou sociétaux.

Depuis, la filiale d’Engie a réussi à s’appuyer sur les principaux atouts de ce système de délégation de service public (DSP) pour investir dans le développement massif du réseau parisien :

  • Une visibilité importante sur 30 ans avec un monopole sur un territoire donné et des tarifs fixés contractuellement ;
  • Une relation de confiance avec la Ville grâce à la transparence des données, le pouvoir de contrôle du concédant [3] mais aussi et surtout grâce à l’encouragement du contrat de concession aux intérêts croisés dans le développement du réseau parisien.

 2021, fin de la concession. Et après ?

En 2021, ce contrat de concession prend fin. Quelles seront les nouvelles orientations de service que la Ville décidera pour l’avenir de son réseau sur les prochaines décennies ? Son Plan Climat voté en 2018 vise une réduction de 50% des consommations énergétiques d’ici 2050 par rapport à 2004, 100% d’EnR dont 20% produits localement et zéro émission de GES. Depuis sa naissance, le réseau de froid de Paris participe à un aménagement urbain conciliant les intérêts de développement économique et les impératifs écologiques (cf. premier article). Nul doute qu’il sera mis à contribution pour accélérer très fortement le mouvement engagé de transition énergétique à Paris. Accélération d’ailleurs indispensable pour atteindre ces objectifs très ambitieux.

Le schéma directeur de la Ville pour son réseau de froid, précise ses priorités de développement. Il constitue un document de référence pour l’organisation de la procédure de mise en concurrence éventuelle, si Paris décide de conserver la concession comme mode de gestion. Il vise la construction d’une nouvelle centrale fonctionnant à l’eau de Seine, le doublement des capacités de livraison d’énergie frigorifique avec plus d’1 TWh et la consommation d’énergie 100 % d’origine renouvelable à terme.

Un document adossé au vote du Budget Primitif 2019 en décembre 2018[4] fournissait déjà de premières indications sur les orientations de la Ville :

  • Le fort potentiel de développement du réseau et sa contribution au verdissement des consommations énergétiques est souligné. Le souhait d’étendre le périmètre de la DSP à l’ensemble du territoire parisien est évoqué. Cependant, si cette extension devrait permettre au futur délégataire d’avoir plus de visibilité pour ses investissements, Climespace, en concentrant déjà le développement de son réseau sur les arrondissements centraux, le 8e, le quartier des ministères, le Front de Seine, Bercy et la ZAC Rive Gauche, a déjà couvert durant cette concession les principales zones à « Dominante Activités » (cf. carte ci-dessous de la mixité logements / locaux d’activité). Les développements de réseau étant soumis à rentabilité, il sera difficile de l’étendre dans des zones majoritairement résidentielles. Les enjeux seront donc surtout de
    • travailler à son renforcement pour lever les risques de saturation (cf. ci-dessous la carte des gros consommateurs non raccordés) ;
    • le densifier pour améliorer son bilan économique : les bureaux, commerces et hôtels de plus de 1000 m2 ne sont raccordés qu’à 17, 23 et 11% selon l’Apur, autant d’opportunités de substituer des usages de froids autonomes. La Ville évoque également sa volonté « d’élargir le périmètre des clients en proposant une offre pour les petites puissances ».
    • se concentrer sur des extensions ponctuelles selon les prochaines grandes opérations d’aménagement à venir à Paris à l’instar de l’extension réalisée pour raccorder la Philharmonie : les grands travaux à venir à Montparnasse sont sans doute une aubaine, les JO également.
Mixité entre surfaces affectée aux logements et aux locaux d’activité
Mixité entre surfaces affectée aux logements et aux locaux d’activité. Cartographie réalisée par l’APUR, mai 2019
Localisation des consommateurs de froid parisiens et de leur raccordement au réseau de froid. Source : « Les besoins en froid des bâtiments parisiens », APUR, avril 2019
  • Ce développement devra se faire en ciblant les usages de « froid nécessaire ». La Ville cite par exemple les établissements hospitaliers, dont aucun n’est aujourd’hui raccordé au réseau. En effet, l’idée est d’éviter une logique contre-productive type effet de rebond : pour réaliser le plan climat de la ville, il ne s’agit pas de faire naître de nouvelles consommations liées au froid mais surtout d’éviter le recours aux systèmes de froid autonomes, beaucoup moins performants. Et le marché est déjà très important puisque les besoins actuels de froid de la ville de Paris se situe entre 2 et 3 TWh/an d’après l’Apur, couverts seulement à 20% par Climespace. En parallèle du développement du réseau de froid pour les usages indispensables, il s’agira donc de limiter les besoins de froid. La Ville de Paris devra promouvoir par exemple des conceptions bioclimatiques[5] pour la construction de bâtiments (cf. l’opération Clichy-Batignolles), et -plus difficilement, pour les rénovations, quitte à faire évoluer certaines doctrines de protection du bâti pour réussir à faire respecter ses objectifs.
  • La Ville devrait également être attentive à la diversification du mix énergétique du réseau, aujourd’hui presqu’exclusivement électrique. On peut penser à la géothermie mais aussi à la captation de gisement de froid de récupération, pour laquelle plus de flexibilité juridique et technique devrait être nécessaire selon ce rapport. Cette diversification pourrait répondre en partie aux problématiques de résilience lors des périodes les plus chaudes où la disponibilité des sources de production de froid est problématique (air trop chaud pour les aéro-réfrigérantes et température de la Seine trop élevée).
  • Enfin, la mise en place de dispositifs de rafraichissement temporaires est souhaitée pour « renforcer l’adaptation du territoire au dérèglement climatique et, plus généralement, sa résilience». Climespace a déjà développé l’Ilot Frais, un mobilier urbain qui propose au grand public un service de rafraîchissement éphémère pour se protéger du phénomène d’îlot de chaleur en période de canicule ». Une expérimentation a été réalisée avec l’installation de trois îlots durant la saison estivale 2018.

Dans le document adossé au vote du Budget Primitif 2019, seul le renouvellement du contrat de concession est évoqué comme futur mode de gestion. Le scénario de reprise en régie est sans doute à écarter face à la technicité du secteur et aux montants à investir sur la période à venir. Le concessionnaire sortant pourra compter pour cette mise en concurrence sur son bilan en termes de développement du réseau durant ces 30 dernières années et de stratégie d’innovation (Free Cooling et Ilot Frais par exemple), et ses exigences environnementales (100% EnR achetée sur le marché depuis 2013 et performances d’exploitation, sur les fluides frigorifiques par exemple).

La procédure de mise en concurrence et le nouveau contrat de concession devront cependant imaginer des dispositifs contractuels et financiers permettant d’inciter le futur opérateur à investir dans le développement d’un réseau compétitif face aux autres solutions de rafraichissement moins vertueuses en matière environnementale… Cette procédure représentera un travail important à la charge de la prochaine équipe municipale, qui permettra également de préfigurer les renouvellements des concessions de chaleur et d’électricité, prévus en 2024, qui représentent des enjeux, notamment financiers, encore plus importants !

[1]« Les besoins en froid des bâtiments parisiens », APUR, avril 2019

[2] La résilience urbaine vise à trouver une construction pluridisciplinaire de la ville (utilisant l’architecture, le design, l’éco-conception et la construction durabl­­­e, l’urbanisme, la planification sanitaire, la gestion énergétique) qui permette aux systèmes urbains d’être plus adaptables, plus résistants aux crises écologiques, climatiques ou physiques.

[3] Comme pour d’autres concessions, le pouvoir de contrôle de la Ville s’exerce notamment au travers des missions d’audit, commandité par le concédant au frais du concessionnaire, et de l’exercice annuel de production de Compte-Rendu d’Activité au Concédant

[4] Bleu Climat 2018, Délibération 2018DEVE193, adossée au vote du Budget Primitif 2019, version proposée au Conseil de Paris de 10, 11, 12 décembre 2018

[5] Solutions de ventilation naturelle, protections solaires extérieures, isolation, végétalisation