Le parc nucléaire français s’est construit très rapidement avec des mises en service s’échelonnant de la fin des années 1970 au début des années 2000. Les matériaux et les composants structurants des centrales ont alors été conçus pour fonctionner pendant 40 ans : un anniversaire que 30% des réacteurs en activité ont fêté en 2021.
Voyant la date butoir arriver, la filière demandait depuis une dizaine d’années aux pouvoirs publics un positionnement clair sur l’avenir du parc. N’ayant pas obtenu de décision dans les temps, elle a décidé l’année dernière de prolonger la durée d’exploitation des centrales les plus anciennes.
Enfin, cette année, le président alors candidat Emmanuel Macron a annoncé une « renaissance du nucléaire français » fondée sur un ambitieux programme de relance. L’avenir semble dégagé pour une filière enfin soulagée. Mais le virage pronucléaire de l’exécutif est-il à la hauteur de son ambition ?
Prolonger les centrales : panacée ou pis-aller ?
L’année dernière, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a validé l’extension de 40 à 50 ans de la durée d’exploitation des centrales les plus anciennes, sous réserve de l’application stricte de ses prescriptions de sécurité. Le gouvernement a adoubé cette politique de prolongations en annonçant, à la suite des décisions de l’ASN, qu’à l’avenir aucun réacteur en état de produire ne sera fermé sans raison de sûreté et que tous les réacteurs actuellement en service verront leur durée de vie prolongée au-delà de 50 ans. La faisabilité technique d’une telle décision doit néanmoins être étudiée par EDF et l’ASN.
Les prolongations de réacteurs devaient permettre de sécuriser la transition entre l’outil productif d’aujourd’hui et celui de demain. Mais la panacée d’hier apparaît de plus en plus risquée : la détection de fissures sur les tuyauteries de plusieurs réacteurs – 5 avec certitude –, en particulier sur leur système d’injection de sécurité, fait craindre l’identification d’un défaut générique qui remettrait en cause la disponibilité du parc.
Même si ces inquiétudes devaient s’avérer lettre morte, il est admis que les réacteurs ne pourront probablement pas fonctionner plus de 60 ans, sauf exception et démarche de sûreté spécifique. Les arrêts définitifs seront donc très rapprochés (effet falaise), en raison de la rapidité avec laquelle la France a bâti son parc : il est donc urgent de se donner les moyens d’assurer la sécurité d’approvisionnement électrique de la France pour les années à venir.
Un futur énergétique nucléaire
C’est sur la base du rapport Futurs énergétiques 2050 commandé à RTE par le gouvernement que le président a dévoilé son ambitieux programme de renouveau du nucléaire français.
Incertitudes d’une ambition
Aux incertitudes sur la faisabilité des prolongations des centrales existantes s’ajoutent les inconnues du plan de construction de nouveaux réacteurs, qui reste pour le moment cantonné à l’état d’annonce. Les modalités de financement qui permettraient de faire face au mur d’investissements annoncé (plus de 50 milliards d’euros pour les 6 réacteurs) ne sont pas connues à ce jour. Lors de la présentation de son programme de campagne, Emmanuel Macron a cependant laissé entendre qu’une (re)nationalisation de la branche nucléaire d’EDF était envisagée.
Les délais annoncés posent aussi question. Un récent rapport gouvernemental se montrait moins optimiste que le président avec une mise en service du premier des 6 EPR2 « à l’horizon 2037 », soit deux ans après la cible de l’exécutif. Un écart qui interroge alors que les échéances annoncées apparaissent ambitieuses au regard du « précédent Flamanville » : la mise en service de l’EPR est envisagée en 2023 avec 11 ans de retard.
Cause essentielle de « l’échec opérationnel » de Flamanville, le long délitement des compétences du nucléaire français reste un point d’inquiétude majeur. Mais déjà la filière organise sa montée en compétences pour relever le défi du nouveau nucléaire et être à la hauteur des ambitions annoncées.
L’acceptation du projet reste également à construire. La commission nationale du débat public sera saisie au second semestre 2022 pour permettre une large concertation du public, puis des discussions parlementaires se tiendront en 2023 pour réviser la programmation pluriannuelle de l’énergie. Une décision qui engage autant le pays sur le long-terme ne peut en effet s’appuyer que sur une forte légitimité démocratique. A voir si les débats suscités seront suffisants pour calmer les passions autour d’un sujet clivant et assurer un renouveau du nucléaire dans la sérénité. Alors peut-être que le nucléaire français retrouvera son excellence passée et que la France sera enfin rassurée quant à l’avenir de son approvisionnement énergétique.