Avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, le dérèglement climatique passe de « canular chinois » à « menace existentielle » que les Etats-Unis veulent combattre. Le nouveau président s’est lancé dans la bataille le jour de son investiture, en revenant dans l’accord de Paris. Une action aussi prompte que les objectifs de Biden sont ambitieux : mener une « révolution des énergies vertes » pour « faire en sorte que les Etats-Unis atteignent une économie 100% énergie propre et des émissions nulles au plus tard en 2050 ».
L’atteinte de ces objectifs ne dépend toutefois pas du seul volontarisme de Joe Biden. De quelles marges de manœuvre dispose-t-il ? A-t-il les moyens de mettre en oeuvre sa politique énergétique ?
Verdir la très grise économie américaine, un défi de taille
Historiquement un des premiers émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre (GES) [1] , et rétifs à tout engagement contraignant de réduction d’émissions, les Etats-Unis n’ont commencé à engager des efforts sérieux de lutte contre le changement climatique que sous l’administration Obama. L’administration Trump a ensuite fait de son mieux pour renverser la vapeur : sortie de l’accord de Paris sur le climat, affaiblissement des normes environnementales [2] , approbation du projet de pipeline géant Keystone XL… Rien d’étonnant, donc, à ce que Joe Biden hérite d’un mix énergétique très carboné.
Mis au regard de la forte dépendance de l’économie américaine aux énergies fossiles, les objectifs affichés par Joe Biden paraissent d’autant plus ambitieux : neutralité carbone à l’horizon 2050 avec notamment la décarbonation totale de la production d’électricité d’ici 2035. Le projet de campagne de Biden prévoit plusieurs grands axes d’action pour atteindre ces cibles. Certaines mesures ont été mises en œuvre dans les jours qui ont suivi l’arrivée du nouveau président au Bureau Ovale.
Feu vert pour la mise en œuvre du plan Biden ?
Aux Etats-Unis, la victoire à l’élection présidentielle n’est pas un blanc-seing législatif, loin s’en faut. Le président n’a en effet qu’un pouvoir réglementaire : suffisant pour permettre à Biden d’annuler certaines des mesures nocives pour l’environnement prises par son prédécesseur, il ne lui donne pas l’autorité de mettre en place des mesures fortes, comme son plan d’investissement ou un mécanisme juridique contraignant en matière de réduction d’émissions de GES, sans l’approbation des deux chambres du Congrès.
Joe Biden dispose de plusieurs atouts pour obtenir cet accord : il bénéficie de la majorité à la Chambre des Représentants et au Sénat, cruciale pour faire adopter ses mesures, et il peut de plus s’appuyer sur un large soutien populaire, avec 65% des américains qui pensent que le gouvernement devrait faire plus pour lutter contre le réchauffement climatique[3]. La mise en œuvre de son plan parait donc réaliste, quoique soumise à une contrainte de temps.
L’actuelle majorité au Congrès n’est en effet garantie que pour deux ans, les élections de mi-mandat de 2022 remettant en jeu l’ensemble des sièges de la Chambre des représentants et un tiers des sièges de sénateurs.
Obtenir un accord du Sénat et de la Chambre dans ce délai sera potentiellement complexe : Biden devra concilier les attentes parfois très contradictoires des ailes progressistes et modérées du parti démocrate et convaincre les élus républicains, traditionnellement opposés aux mesures de lutte contre le dérèglement climatique et à l’interventionnisme étatique. Ces derniers, même minoritaires, restent en mesure de ralentir le processus législatif.
Même s’il échouait à faire émerger un consensus au Congrès, Joe Biden disposerait toujours de leviers d’actions, certes plus limités : les décrets présidentiels (« exécutives ordrers »), qui permettent au Président des Etats-Unis d’orienter l’action publique. Ils sont toutefois facilement révocables par une administration future, ont une moindre portée qu’un acte du Congrès, et ne permettent pas de lever ou d’allouer des fonds.
De plus, lorsque ses mesures auront été adoptées à Washington, Joe Biden devra composer avec les états fédérés, qui jouissent d’une marge de manœuvre dans l’application des politiques fédérales. Certains, pour des raisons économiques ou idéologiques, pourront ainsi tenter de freiner la mise en place de mesures de transition vers les énergies propres dans leur juridiction.
A contrario, Biden pourra s’appuyer sur d’autres états, volontaristes en matière lutte contre le dérèglement climatique : ceux qui ont décidé de mettre en place une tarification du carbone ou un marché d’émissions sur leur territoire après le refus du Congrès de ratifier le protocole de Kyoto en 1997, ou encore ceux qui se sont engagés à respecter les objectifs de l’accord de Paris à leur périmètre malgré le retrait des Etats-Unis sous la présidence Trump.
Durant la campagne électorale, Joe Biden s’est présenté comme un « homme de consensus », en opposition au « diviseur en chef » Donald Trump. Alors que la polarisation de la société américaine atteint des niveaux records, la capacité de Biden à rassembler sera un facteur déterminant pour la bonne mise en œuvre de son plan climat au niveau domestique.
L’entente sera peut-être, paradoxalement, plus facile à trouver à l’international. L’objectif de Biden de renforcer l’ambition des engagements des parties de l’accord de Paris s’inscrit dans l’air du temps, alors que de nombreux grands pollueurs, comme la Chine, l’Europe, le Japon ou la Corée du Sud annoncent se fixer des échéances pour atteindre la neutralité carbone.
Dans tous les cas, Biden devra veiller à ce que la recherche du consensus ne le conduise pas à compromettre ses objectifs.
[1] Les Etats-Unis étaient les premiers émetteurs mondiaux de GES jusqu’à ce que la Chine les dépasse en 2007.
[2] Le Sabin Center for Climate Change Law (Columbia Law School) a identifié 168 actions de dérèglementation environnementale et/ou climatique sous Donald Trump (toutes n’ont pas abouties).
[3]Une moyenne nationale qui masque cependant de grandes disparités selon les affiliations politiques des répondants : si 89% des démocrates souhaitent un renforcement de l’action publique, seulement 35% des républicains partagent cette opinion