Dans un contexte où les enjeux énergétiques prennent une place croissante dans les débats politiques, la Commission d’enquête de l’Assemblée a publié au cours de l’année 2023 un rapport offrant une analyse critique des politiques énergétiques françaises depuis 1990, mettant en lumière les « grandes erreurs » commises. En particulier, ce rapport expose les « dépendance multiples [du mix énergétique français] aux énergies fossiles importées », ainsi que le « faible développement des moyens de maîtrise de la demande ainsi que des énergies renouvelables » comme un problème majeur, du point de vue de la souveraineté énergétique.

Derrière cette notion de souveraineté énergétique se dissimulent en réalité trois capacités majeures :

  • Pouvoir définir une politique et choisir les options énergétiques,
  • Pouvoir réduire les dépendances extérieures,
  • Pouvoir renforcer la résilience du système énergétique face aux crises.

Par opposition, l’indépendance énergétique vise une autonomie totale et une maîtrise complète de la production d’énergie. Ainsi, le rapport de la Commission pointe surtout un « retard considérable en termes de souveraineté énergétique ».

Ce constat a conduit à l’élaboration d’un projet de loi de souveraineté énergétique, visant à proposer des solutions durables pour l’avenir. Les objectifs de cette loi sont clairs : réparer les erreurs antérieures et offrir des solutions pérennes pour le système énergétique français. Cependant, comme pour tout mix énergétique ayant une énergie prépondérante, la question des dépendances d’un mix français fortement ancré dans le nucléaire peut se poser, au regard des trois capacités mentionnées supra.

Ainsi, le lien étroit entre l’uranium et la production d’énergie en France pose des questions d’ordre stratégiques et géopolitiques, et se reflète particulièrement dans la proposition de loi de souveraineté énergétique, ce qui amène des contraintes mais aussi des solutions.

Des enjeux stratégiques et géopolitiques particuliers, dus aux liens spécifiques entre la France et l’uranium

L’approvisionnement en matière première du mix énergétique français, unique au monde car historiquement nucléarisé depuis les années 1970, dépend fortement de l’uranium.

Consommation Energie Primaire France Nucléaire

Consommation d’énergie primaire par énergie en France en 2022

Les questions de dépendance au pétrole ont été posées historiquement lors des chocs pétroliers, suivies récemment par les questions de dépendance au gaz naturel russe. Le fort ancrage du mix énergétique français dans l’uranium soulève des questionnements d’une nature particulière sur la sécurité d’approvisionnement – tant sur le plan stratégique que géopolitique – tout au long du cycle de l’uranium.

Ce cycle présenté ci-dessous, fait intervenir plusieurs acteurs, en fonction des localisations. Il est à noter que sur 6 étapes, 4 sont réalisées en France. Pour autant, deux étapes clés dans la fabrication du combustible sont concernées par des externalisations à l’étranger.

Nucléaire Cycle Uranium

Schéma du cycle de l’uranium en France.

Le premier point d’attention concerne l’étape d’importation de l’uranium (n°1 sur le schéma). En effet, depuis la fermeture de sa dernière mine d’uranium en 2001 (mine de Jouac, en Haute-Vienne) pour des raisons de rentabilité, la France importe la totalité de ses besoins en combustible pour faire tourner les 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement sur son territoire. A titre d’exemple, selon Euratom, la France a importé en 2022 plus de 7000 tonnes d’uranium auprès de 5 pays (Kazakhstan à 37%, Niger à 20%, Namibie à 16%, Australie à 14% et Ouzbékistan à 13%). Au total, 8000 tonnes d’uranium en moyenne sont importées chaque année de diverses régions du monde. Cette situation expose la France à un risque stratégique concernant l’extraction de son combustible pouvant devenir significatif, étant confrontée à l’instabilité politique dans les pays d’origine de son uranium, (en particulier en Afrique, avec l’exemple de la crise au Niger, qui a commandé de réorienter les sources d’importation).

D’autre part, des préoccupations portent sur le recyclage de l’uranium (n°2 sur le schéma), dans la mesure où la Russie détient le monopole mondial de la transformation de l’uranium de retraitement (URT) en uranium ré-enrichi (URE). Or l’étape de ré-enrichissement de l’URT est nécessaire pour pouvoir utiliser cet uranium dans les centrales françaises.

Ainsi, en 2022, 100% de l’URE utilisé en France provenait de Russie, tandis qu’un tiers de l’uranium enrichi était également fourni par ce pays. Sur un plan géopolitique, la dépendance de la France à la Russie pour la transformation de l’uranium constitue une vulnérabilité importante, accentuée par les tensions internationales et les conflits, tels que la guerre en Ukraine. Cette situation peut également soulever des questions quant à l’image de la France sur la scène internationale et de ses alliés, en maintenant des relations économiques avec la Russie.

Projet de loi de souveraineté énergétique : contraintes induites et solutions

Comme mentionné en introduction, conscient des différentes dépendances de la France concernant son mix énergétique, le gouvernement lance un avant-projet de Loi de Souveraineté Énergétique, censée refléter les grandes orientations de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE). Controversé, l’avant-projet de loi supprime toute référence explicite aux Énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale française et met l’accent sur la production nucléaire.

En proposant de sortir des énergies fossiles sans opposer nucléaire et renouvelable, le nucléaire revient sur le devant de la scène, avec trois propositions clés : maintenir une puissance nucléaire installée d’au moins 63GW, garantir une disponibilité minimale de 66%, atteignant 75% d’ici 2030 et enfin, construire de nouveaux réacteurs nucléaires, dont au moins 9,9GW engagés d’ici 2026.

Cet accent renouvelé sur le nucléaire invite à observer les mesures traditionnellement adoptées pour renforcer sa souveraineté énergétique.

Elles s’articulent autour des thématiques suivantes :

  • La diversification (du mix énergétique, des sources d’approvisionnements, …)
  • La sobriété (efficacité énergétique, maîtrise de la demande)
  • Le stockage (ressources, matériaux critiques) sur son territoire
  • Le développement de nouvelles technologies propres
  • Les interconnexions (profiter des avantages géographiques et technologiques de ses voisins)

Dans le cas du nucléaire français, les acteurs français tels qu’Orano et EDF, soutenus par le gouvernement, ont misé sur la diversification, le stockage et la recherche dans de nouvelles technologies nucléaire :

  • Diversification des sources d’approvisionnement : la stratégie d’EDF consiste à multiplier les contrats d’approvisionnement d’uranium, en provenance de diverses origines et fournisseurs, ensuite enrichis en France. Une diversification vers des pays comme l’Australie ou le Canada pourrait réduire la dépendance envers l’influence sino-russe, tout en accroissant celle envers le monde anglo-saxon.
Pays Producteurs Uranium Importation

Pays producteurs d’uranium en 2022

  • Stockage de l’uranium : la constitution de stocks stratégiques, avec une capacité de 3 à 5 ans de consommation sur les sites d’Orano, est envisagée comme une mesure de sécurité supplémentaire.
  • Développement de réacteurs de 4ème génération : cette nouvelle technologie de réacteurs nucléaires, capables d’utiliser l’uranium de retraitement (URT) comme combustible, offrirait une solution prometteuse pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’uranium ré-enrichi provenant de Russie.

Le « renouveau nucléaire » annoncé par le Président Macron et l’avant-projet de loi de Souveraineté énergétique impliquera des transformations majeures au sein de la filière nucléaire telle qu’elle existe aujourd’hui. Le besoin en uranium augmentant, les 3 leviers dédiés au renforcement de la souveraineté énergétique devront être actifs au même niveau. Cela se traduira par un renforcement continu des deux premiers leviers (diversification et stockage), en poursuivant les politiques déjà à l’œuvre, tandis qu’un effort supplémentaire devra être fourni pour que le 3e levier soit pertinent.

En effet, l’arrêt de la France dans les recherches sur les réacteurs de nouvelle génération, sur décision politique, explique son retard par rapport à d’autres pays, mais la volonté de l’Union Européenne de renforcer la compétitivité de l’Europe concernant la recherche nucléaire pourrait permettre de combler ce retard.

Ainsi, les fortes ambitions du gouvernement doivent permettre de déployer d’importants moyens pour reprendre le développement la filière en France.