Le pari des trottinettes
Alors que la fin d’Autolib vient d’être votée par le conseil syndical du Syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole (SAVM) Jeudi 21 juin, la société Lime annonce dans le même temps son arrivée dans la capitale avec ses trottinettes électriques.
Si ce hasard de calendrier peut sembler anodin, il est en réalité le révélateur d’une énième vague du digital qui vient bousculer la mobilité dans nos villes. Encore une fois, elle redistribue les cartes de la concurrence et modifie les usages, détronant les innovateurs d’il y a seulement quelques années. Les nouvelles possibilités du digital font bourgeonner de toute part des initiatives, certaines plus prometteuses que d’autres.
Après avoir conquis les villes américaines, Lime débarque à Paris en proposant en libre-service de trottinettes électriques. Pour les louer il suffit de géolocaliser la trottinette la plus proche avec son smartphone, puis de scanner le code pour la déverrouiller. La balade terminée, la trottinette peut être abandonnée sur le trottoir : l’application la verrouille et vous envoie le prix de la course. Contrairement aux Vélib ou aux Autolib, qui nécessitent des bornes fixes, les trottinettes s’affranchissent de ces infrastructures parfois longues à mettre en place. Ainsi, pas besoin de négocier des emplacements pour les bornes avec les élus, ni de les financer, ni de les raccorder. Il suffit de répartir un peu partout les trottinettes dans la ville et de les laisser vivre.
De nouveaux concurrents
La perte enregistrée par Autolib montre combien la mobilité urbaine change rapidement. C’est peut-être un des facteurs qui a contribué aux déboires d’Autolib : à sa signature en 2011 par le Maire d’alors, Bertrand Delanoë, le contrat ne prévoyait pas d’être ré-examiné si une innovation venait changer les données du marché et déplacer les équilibres économiques. Mais depuis lors, le paysage concurrentiel a très vite évolué avec l’arrivée massive des VTC (près de 20 000 en Ile-de-France) puis des scooters électriques en libre-service.
Devancer la réglementation
La course est engagée pour devenir l’opérateur qui aura les clés de la mobilité urbaine, et plus particulièrement celui qui offrira le service “au dernier kilomètre”. Cette course se joue non seulement entre les opérateurs eux-mêmes, mais également avec les collectivités. Les règles du jeu sont simples : profiter du flou juridique total pour rapidement imposer son modèle dans la ville, se mettre les utilisateurs de son côté, puis faire peser ses choix face aux pouvoirs publics. C’est sur ce modèle que s’est appuyé Uber pour conforter sa place de leader dans les grandes villes, parfois au prix de vives confrontations.
Cette même tactique a fait fleurir l’hiver dernier des vélos jaunes ou verts en libre-service à Paris. Une opération vite avortée en raison de la mauvaise qualité des vélos et face au coût disproportionné de leur entretien par rapport à leur prix initial. Ils ont disparu aussi vite qu’ils sont arrivés. Qu’importe, cet échec ne freine en rien les ambitions des opérateurs, qui veulent être les premiers à prendre ce marché.
Prolifération
Lime chercherait-il à profiter de cette recette pour rapidement se développer dans la capitale avant que son activité ne soit réglementée ? L’opérateur y répond avec la signature d’une Charte de bonne conduite avec la Mairie de Paris le 27 juin.
Pourtant, les critiques outre-atlantique vont bon train. Car si ces opérateurs participent à la redéfinition de la mobilité urbaine, parfois en cohérence avec les orientations de communes qui veulent chasser les voitures et la pollution, ils posent la question de l’encadrement des pratiques. C’est à double tranchant pour les communes, heureuse d’accueillir des alternatives à la voiture, mais qui subissent les dérives de pratiques non réglementées.
Aux Etats-Unis, où les flottes de trottinettes ont débarqué du jour au lendemain dans les grandes villes, les municipalités ont parfois été débordées : zigzag entre les piétons, encombrement des trottoirs, obstructions de rampes pour fauteuils roulants… Cette utilisation massive des trottinettes s’est accompagnée de fortes contestations, à l’instar de San-Francisco qui les a tout simplement bannies, le temps de pouvoir réglementer l’activité : réduction de la flotte, assurance obligatoire pour les clients, accréditation des opérateurs…
Par ailleurs, ces trottinettes ont marqué l’arrivée très commentée d’un nouvel emploi précaire : chargeur de trottinette. Ces travailleurs indépendants se mettent en chasse la nuit pour localiser des trottinettes à recharger, contre une rémunération allant de 5 à 20 dollars par engin.
Aujourd’hui, les villes sont devenus le terrain de jeu des start-up qui n’hésitent pas à tester grandeur nature leurs concepts. Les différentes tentatives de mobilité urbaine, que ce soient les vélos, les voitures électriques, ou encore les trottinettes, sont symptomatiques d’un modèle de mobilité urbaine qui se cherche encore et reste à définir.
***