14,9 %, c’est la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie en France (fin 2015). Ce chiffre progresse depuis plusieurs années (+48 % depuis 2005), mais nous sommes encore loin de l’objectif de 23 % à atteindre d’ici 2020. La France prend donc du retard.
Les objectifs ambitieux du Gouvernement en matière de transition énergétique ont en effet un coût et nécessitent un environnement favorable pour le financement des projets.
Surfant sur le succès international de grandes plateformes telles que Kickstarter, le financement participatif (crowdfunding) s’est développé en France. Depuis 2010, des plateformes françaises sont même dédiées aux énergies renouvelables (Enerfip, Energies Partagées, Lumo, etc.). Le gouvernement s’est donc très vite intéressé à l’engouement des citoyens pour le financement participatif.
Pour encadrer l’activité des plateformes tout en favorisant leur développement, le gouvernement a créé en 2014 le statut intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes de prêt et le statut de conseiller en investissements participatifs pour l’investissement (CIP) pour les plateformes d’investissement.
Le crowdfunding apparaît aujourd’hui comme un mode de financement alternatif sérieux bien qu’il soit encore confidentiel en volume. Il suscite l’intérêt de nombreux acteurs et se dote peu à peu des outils nécessaires à son essor. Espérons que l’évolution de la filière, toujours en développement, confirmera son rôle dans la transition énergétique.
Une réponse au financement de la transition énergétique mais pas seulement…
Le financement participatif apporte une réponse aux enjeux économiques mais aussi sociaux des porteurs de projet. La question de l’acceptabilité locale, qui est parfois un véritable défi pour certains projets énergétiques, peut être adressée. En particulier, pour les projets éoliens, qui rencontrent régulièrement des oppositions locales pouvant bloquer ou ralentir la construction des parcs.
Léo Lemordant, co-fondateur d’Enerfip, estime que le crowdfunding offre alors aux porteurs de projets une fenêtre d’écoute par les parties prenantes et permet de leur proposer une contrepartie concrète. Si l’acceptabilité sociale n’est pas prise en compte dès le stade de la conception du projet, il est très difficile de convaincre une opposition déjà formée et organisée.
Sur la plateforme Enerfip, des projets en cours de développement côtoient des projets en exploitation, afin d’inscrire les premiers au plus tôt dans une dynamique de concertation. Certains sont réservés pendant un temps aux riverains. Léo Lemordant y voit ainsi « le moyen d’organiser la concertation d’une autre manière et de fédérer les énergies positives ».
Le financement participatif séduit également les collectivités pour faire adhérer les citoyens aux projets locaux et générer une source de recettes supplémentaires. Celles-ci ont accès à ce mode de financement depuis fin 2015 à condition de respecter les règles de la commande publique.
Des investissements attractifs contribuant à la transition énergétique
A côté des promesses de rentabilité des projets d’énergie renouvelable par les plateformes (qui varient en moyenne entre 4 % et 7 %/an sur Enerfip par exemple), les produits financiers plus classiques font pâle figure (PEL rémunéré à 1%, le livret A à 0,75 %).
Pour les particuliers, les opérations proposées sont donc attractives et courent sur des échelles de temps généralement courtes ou moyennes ce qui permet de mobiliser l’épargne visqueuse (utilisable d’ici 2 à 5 ans) des prêteurs. Car au-delà des valeurs de solidarité et d’éthique, il s’agit avant tout d’un placement en « bon père de famille », c’est-à-dire d’une valorisation de son capital dans la durée sans grande prise de risque.
Selon les plateformes, le niveau de risque des projets peut varier, ce qui justifie des différences de rémunération des placements. Les projets utilisant des technologies matures comme le solaire ou l’éolien onshore présentent peu de risques en cours d’exploitation. Les projets innovants offrent en revanche de meilleurs taux.
En découle un enjeu fort pour les plateformes : « notre crédibilité dépend entièrement de la solidité et de la viabilité des projets que nous sélectionnons », insiste Léo Lemordant.
A l’instar des banques, les plateformes de crowdfunding spécialisées comme Enerfip réalisent des due diligences pointues et exigeantes lors desquelles est examiné l’ensemble des volets d’un projet (maturité de la technologie retenue, autorisations administratives, business plan…). En principe, à l’issue de cette phase d’évaluation, seuls les projets considérés comme viables sont retenus. L’évaluation du niveau de risque définit alors la rémunération offerte aux épargnants.
Pour informer les prêteurs sur les risques, les plateformes sont tenues de publier sur leurs sites Internet :
- les conditions d’éligibilité et les critères d’analyse et de sélection des projets et des porteurs de projets ainsi que les informations qu’ils recueillent à cet effet,
- les taux de défaillance enregistrés au cours des trente-six derniers mois ou, s’il remonte à moins de trois ans, depuis le démarrage de l’activité, ainsi calculés et mis à jour trimestriellement. Bien souvent, les plateformes sont encore jeunes pour rendre compte de leurs taux de défaut. Mais cette obligation devrait permettre de retenir sur le marché les plateformes les plus performantes et inciter celles-ci à prêter la plus grande attention au choix des projets.
Quel avenir du financement participatif dans le secteur de l’énergie ?
Le financement participatif montre en France une belle courbe de croissance. Le paysage n’est pas encore figé, le secteur se trouve dans une phase de développement.
Aujourd’hui, peu d’acteurs peuvent se targuer d’être rentables. Ils doivent sans cesse s’adapter à mesure que le cadre juridique du financement participatif se construit, que les nouvelles technologies notamment du numérique émergent et que la réglementation s’appliquant aux projets évolue.
Concernant les projets énergétiques, les plateformes de niche tirent cependant leur épingle du jeu. Elles présentent une expertise essentielle pour sélectionner les projets et peuvent atteindre la taille critique pour attirer et retenir les porteurs de projet et une communauté de fidèles investisseurs une fois leur confiance acquise. Le secteur devrait donc connaître de la consolidation dans les années à venir. Qui de la spécialisation ou de la diversification arrivera le mieux à s’enraciner ?
De plus, le financement participatif s’applique relativement bien au secteur de l’énergie et le potentiel est important. Si la plupart des projets proposés sont nouveaux, le refinancement du parc existant est aussi concerné.
Enfin, les outils et les formes de rétribution évoluent peu à peu, solidifiant et modernisant le secteur. De nouvelles formes de rétribution sont peu à peu introduites, comme les obligations convertibles, les titres participatifs ou encore les minibons (reconnaissance de dettes correspondant aux bons de caisse spécifiques au financement participatif) par une ordonnance du 29 avril 2016. Alors que les prêts participatifs ne sont accessibles qu’aux personnes physiques, les minibons sont en revanche ouverts aussi bien aux personnes physiques que morales. La communauté d’investisseurs s’élargit ainsi considérablement.
Les minibons, qui sont intermédiés par les plateformes agréées CIP, peuvent également servir d’expérimentation dans le développement de la blockchain. Il s’agit d’une technologie de transmission d’informations, transparente, fonctionnant sans organe central de contrôle et en principe 100% fiable et sécurisée. Concrètement, cette technologie devrait venir simplifier l’ensemble des transactions (réduction des intermédiaires et des coûts de transaction). Déjà, Enerfip a pu tester cette technologie avec succès en simulant une émission obligataire.
A terme, des marchés secondaires pourraient même voir le jour grâce à la blockchain qui permettrait de s’échanger les minibons à un coût négligeable pour les plateformes et de manière sécurisée.
Le financement participatif a donc rapidement trouvé sa place à côté des financeurs traditionnels de l’énergie en apportant des financements alternatifs à des projets décentralisés et de plus en plus importants. Il apporte également un lien avec les citoyens, essentiel pour le développement des moyens de production d’EnR, très territorialisés. Il n’a pas fini de faire entendre parler de lui et devrait conduire à l’émergence d’un réel écosystème avec l’arrivée de nouveaux acteurs (par exemple des assureurs spécialisés, agences en marketing digital, ou acteurs de la blockchain…).