« Nos déchets ont de l’avenir ». Cette formule, utilisée surtout pour promouvoir le tri, convient aussi parfaitement au biométhane, issu de la dégradation des déchets organiques.
Cette énergie a un potentiel de valorisation important, notamment grâce à la possibilité de la distribuer via les réseaux existants de gaz. Pourtant, elle n’a pas encore connu en France le développement espéré malgré l’adoption en 2011 d’une réglementation favorable au développement d’une filière biogaz. Où se situent aujourd’hui les principaux freins à son essor ? Comment les contourner ?
Le biométhane est un gaz qui a des qualités similaires à celles du gaz naturel. Il s’agit d’une version épurée (sans CO2) du biogaz, créée par une dégradation biologique de la matière organique contenue dans des substrats fermentescibles qui peuvent avoir plusieurs origines :
- Déchets municipaux (biodéchets ménagers triés ou issus de la restauration collective, des grandes et moyennes surfaces, déchets verts, boues de stations d’épuration…) ;
- Déchets agricoles (fumier, lisier, sous-produits animaux, résidus de cultures…) ;
- Déchets industriels (eaux de lavage de procédés industriels, boues industrielles…) ;
- Déchets de l’industrie agroalimentaire (fruits et légumes, déchets d’abattoirs …).
Cette transformation des déchets en biogaz est réalisée au sein d’une unité de méthanisation ou méthaniseur.
Le biogaz peut être valorisé de différentes manières. S’il subit un traitement léger, il peut être utilisé in situ, pour produire de l’électricité et/ou de la chaleur. S’il subit une épuration poussée qui l’amène aux spécifications du gaz naturel (et donc au biométhane), il peut être injecté dans le réseau de distribution ou de transport de gaz naturel.
La valorisation se fait alors en dehors du site de production et toutes les utilisations classiques du gaz naturel lui sont alors ouvertes, du chauffage au procédé industriel, en passant par le carburant.
Une réglementation incitative adoptée dans la foulée du Grenelle de l’environnement et régulièrement renouvelée depuis
Le dispositif de soutien à l’injection du biométhane dans les réseaux de gaz naturel a été créé en 2011, puis complété en 2014, en application de la loi Grenelle 2. Cette dernière dispose en effet que « tout producteur de biogaz peut conclure avec un fournisseur de gaz naturel (…) un contrat de vente de biogaz produit sur le territoire national ».
Ce dispositif de soutien s’intègre dans la volonté du gouvernement d’accélérer le développement de filières locales de production d’énergies diversifiées permettant une plus grande indépendance énergétique de notre pays.
Quatre décrets [1] ont été publiés fin novembre 2011, accompagnés de quatre arrêtés [2] pour préciser ce dispositif.
En résumé, les producteurs de biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel bénéficient :
- D’un tarif d’achat réglementé et garanti (composé d’un tarif de base auquel s’ajoute une prime calculée en fonction de la nature des matières traitées par méthanisation). Actuellement, les tarifs d’achat se situent entre 45 et 125 euros le MWh selon le débit et le type d’intrants. Ils sont garantis sur quinze ans. Les petits débits et les déchets agricoles bénéficient d’un tarif d’achat préférentiel;
- De l’existence d’un acheteur de biométhane de dernier recours
[3] ;
Du dispositif de la « double valorisation » : Adopté en 2013[4], il permet aux producteurs de biogaz de bénéficier des dispositifs de soutien existants pour la production d’électricité à partir de biogaz (tarif d’obligation d’achat) et pour la production de biométhane injecté (tarif d’achat garanti).
Tandis que les fournisseurs profitent :
- D’un système de garanties d’origine, permettant d’attester du fait que le gaz vendu est renouvelable : ces garanties sont attribuées, à sa demande, à tout fournisseur ayant conclu avec un producteur de biométhane un contrat d’achat ;
- D’une compensation intégrale des surcoûts qu’ils peuvent supporter.
Ce dispositif a été modifié en 2013, par le Plan énergie méthanisation autonomie azote (Pemaa) qui vise le développement de 1000 méthaniseurs à la ferme d’ici 2020, grâce notamment à une modification des tarifs d’achat fixés en 2011, une mobilisation plus importante des aides et de la recherche publiques et un assouplissement de la réglementation. Ainsi, en 2014, de nouveaux textes réglementaires [5] autorisent l’injection du biogaz produit en station d’épuration dans le réseau.
Enfin, à noter qu’en septembre 2014, Ségolène Royal a annoncé le lancement d’un appel à projets pour le développement de 1 500 installations de méthanisation supplémentaires en 3 ans réparties dans les territoires ruraux. L’appel à projet sera clôturé en septembre 2017.
Des objectifs ambitieux pour une filière qui reste encore largement à développer
En 2014, la ministre de l’environnement a fixé un objectif ambitieux à la filière : 10 % de biométhane dans le réseau de gaz en 2030. Avec la consommation de gaz d’aujourd’hui, cela représenterait un peu moins de 50 TWh. Selon une étude publiée en octobre 2014 par GrDF et l’ADEME, la production de biométhane en 2030 serait de 30 TWh dans la meilleure hypothèse (scénario volontariste avec aides accrues). En revanche, si l’on conserve le rythme de développement des projets et les conditions tarifaires et aides actuelles, la production sera seulement de 12 TWh.
On ne compte aujourd’hui en France que huit sites d’injection de biométhane en fonctionnement. Deux sites ont d’ores et déjà été raccordés en 2015 contre trois pour toute l’année 2014, deux en 2013 et un en 2011. Deux d’entre eux traitent des déchets ménagers, six sont des installations agricoles. Ces derniers utilisent des effluents d’élevage ou des résidus de l’activité agricole, déchets à plus hauts potentiels pour produire du biométhane à partir de leur dégradation.
Parmi ces installations, figurent par exemple :
- Le Centre de valorisation organique (CVO) de Lille Métropole, premier site raccordé en juin 2011, qui traite chaque année 65 000 tonnes de déchets organiques et injecte 200 Nm3/h de biométhane dans le réseau de GrDF. Ce biométhane est utilisé notamment par une centaine de bus de la métropole.
- Le site de Morsbach en Moselle : Raccordé en 2013 et alimenté par 42 000 tonnes de déchets ménagers, résidus collectés auprès de partenaires privés et déchets verts broyés, l’usine produit 50 Nm³/h de biogaz, dont un tiers sert à l’injection et notamment à alimenter la flotte de véhicules du syndicat local de collecte des déchets.
Ces installations ont produit 20 GWh en 2013 et 50 GWh en 2014. 126 autres projets similaires devraient être installés d’ici 2018 selon les gestionnaires de réseaux de gaz naturel. Les deux tiers des demandes de projets sont d’origine agricole (en association souvent avec des collectivités locales) et agroalimentaire. Un tiers concerne des projets plus importants liés à des stations d’épuration, des ordures ménagères ou des décharges. Leur débit est très variable. La moyenne est de 220 Nm³/h, soit 20 GWh par an. « Bien en deçà de l’Allemagne » souligne Valérie Bosso, chef de projet biométhane chez GrDF.
Les projets d’injection de biométhane sont donc aujourd’hui encore peu nombreux en France et de dimension modeste, et ce alors que le dispositif de soutien à la filière date de 2011.
Des solutions en cours d’étude pour résoudre les difficultés rencontrées jusqu’à présent
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce retard au démarrage. Ces freins sont l’objet d’attention du groupe de travail « Injection du biométhane » dans le cadre du Comité National Biogaz qui s’est tenu pour la première fois le 25 mars dernier et qui a pour objectif notamment de proposer des mesures permettant de développer les projets d’injection.
Des délais d’installation et de mise en service trop importants
Un projet d’injection met en moyenne quatre ans pour se concrétiser. Le porteur de projet doit en effet rédiger et porter son dossier ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) auprès de l’administration qui jugera de sa recevabilité dans un délai de 11 à 21 mois après la réception du dossier. A compter de la réception de l’autorisation d’exploiter, le porteur de projet dispose d’un délai de 8 mois pour signer les contrats de raccordement et d’injection avec le gestionnaire de réseaux concerné et d’un délai de 36 mois pour mettre en service l’unité de méthanisation.
La dynamique de la filière biométhane est donc largement altérée par la complexité et la longueur des démarches administratives nécessaires. De plus, une opposition locale d’un projet de méthanisation peut retarder son aboutissement de trois à six ans.
Dans le cadre de sa politique générale de simplification administrative, le ministère de l’Ecologie a mis en place dans certaines régions une expérimentation de trois ans visant à délivrer une autorisation unique aux porteurs de projets biogaz. L’autorisation unique regroupe en une seule et même procédure plusieurs décisions pouvant être nécessaires à la réalisation de ces projets : autorisation ICPE, permis de construire, autorisation de défrichement, etc. Cette expérimentation permettra ainsi de relever les modalités de simplification les plus efficaces et de les généraliser par la suite. D’autre part, afin d’améliorer l’acceptabilité sociale de tout projet d’injection, il est recommandé, quelle que soit la taille du projet, de mener en amont une concertation avec toutes les parties prenantes du projet.
Des coûts encore rédhibitoires
L’investissement d’une unité de méthanisation représente également un frein pour tout agriculteur, par exemple, souhaitant mettre en service une unité au sein de son exploitation agricole. L’investissement global pour une unité est de l’ordre de 5 millions d’euros, 30 % de ce montant est subventionné par l’Etat et permet ainsi un taux de retour sur investissement proche de 10 %. La filière est donc largement dépendante de ces subventions et espère une réduction du coût de l’installation dans les années à venir pour être rentable.
A l’image d’Air Liquide ou de l’IFP qui ont développé récemment de nouvelles solutions techniques, il est nécessaire que de nouveaux acteurs français percent, grâce peut-être en partie à l’aide de l’Etat, et permettent ainsi une standardisation des équipements et une réduction de leurs coûts. La majorité des constructeurs d’unité de méthanisation se sont en effet jusqu’à présent développés en Allemagne grâce aux subventions de l’Etat dans le cadre de sa politique de sortie du nucléaire en 2011. Cependant, ces subventions ne sont aujourd’hui plus aussi importantes et la filière de construction créée autour des unités de méthanisation stagne.
Le coût global de l’installation pourrait être également réduit grâce à la mutualisation des sites de production et à la centralisation des sites d’injection, le groupe agricole et agroalimentaire breton Triskalia étudie cette option avec le fournisseur et distributeur de gaz Direct Energie. Cependant, la réglementation doit encore évoluer pour permettre le transport du biogaz et ainsi la production de biométhane issu de plusieurs sites.
Un risque de saturation des réseaux de gaz
A l’inverse d’autres énergies renouvelables, la méthanisation a la vertu de produire en continu. Le seul inconvénient est qu’elle a une inertie importante (la durée de digestion de la matière est de plus deux mois) et qu’il est donc difficile de jouer sur cette production. Le réseau de distribution de gaz peut donc se retrouver saturé lorsque la consommation de gaz, en été par exemple, est faible.
Le débit d’injection doit donc être réduit pour s’adapter à la consommation. C’est ce que permet la technique du rebours, encore à l’étude aujourd’hui. Une des solutions de rebours consiste à installer un compresseur en parallèle du poste de détente, permettant de compresser le gaz avant son injection dans le réseau de transport de gaz naturel. Le poste de détente fonctionne principalement l’hiver lorsque la consommation de la poche est plus importante que la production de biométhane et le compresseur prend le relais lorsque la consommation est moins importante que la production.
Dans le même ordre d’idée, une procédure de gestion des réservations de capacité d’injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel est en train d’être élaborée. Cette procédure prévoit la création d’un registre de gestion des capacités. Sur ce registre seront inscrits les projets en fonction de leur ordre d’arrivée avec attribution d’un numéro d’ordre qui permettra de prioriser, le cas échéant, les allocations de capacité d’injection.
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Des solutions existent donc pour accélérer le développement de la filière d’injection du biométhane et permettre d’atteindre les objectifs fixés. Cela devrait constituer des opportunités de développement pour les industries du secteur. Ainsi, depuis 2010, la filiale distribution d’ENGIE (ex-GDF SUEZ), GrDF, contribue activement au développement de cette filière verte en pilotant avec l’ADEME le Groupe de Travail « Injection du biométhane ». GrDF estime qu’en 2050, 73% de gaz vert circulera dans le réseau de distribution. Sandra Lagumina, directeur général de GrDF expliquait ainsi le 15 janvier dernier « Personnellement, je crois énormément au biométhane qui nous permet de construire la troisième génération du gaz. Après celle du gaz manufacturé puis celle du gaz naturel : la génération du gaz vert produit localement. »
[1] Décrets n° 2011-1594, n° 2011-1595, n° 2011-1596 et n° 2011-1597 du 21 novembre 2011
[2] Arrêtés du 23 novembre 2011
[3] Arrêté du 23 novembre 2011 et du 4 juin 2012 fixant la liste des acheteurs de biométhane de dernier recours
[4] Décret n° 2013-177 du 27 février 2013 et arrêtés du 27 février 2013 modifiant l’arrêté du 23 novembre 2011 et l’arrêté du 19 mai 2011
[5] Décret n°2014-672 du 24 juin 2014 et arrêtés du 24 juin 2014