Cela fait plusieurs années que le développement des véhicules rechargeables doit décoller. Hier, le fruit de quelques initiatives isolées, l’apparition sur le marché de nombreux modèles de différentes gammes et marques devrait attirer une clientèle significative. Plus flexible que les transports en commun, moins onéreux à l’usage que les véhicules thermiques, subventionné fortement à l’achat, le véhicule électrique peut couvrir aujourd’hui 90% des déplacements quotidiens des Français dont la distance moyenne est de 31 km. Dans un contexte de prise de conscience des problématiques environnementales, et notamment de l’aggravation de la pollution atmosphérique dans les grandes agglomérations, tout est en place pour que le véhicule électrique (VE) connaisse un développement accéléré dans les années à venir.
Et pourtant, on constate un “retard à l’allumage” persistant de la voiture électrique en France, dû notamment au manque d’infrastructure de charge. Fort de ce constat et de la volonté des acteurs publics et privés de lancer cette filière, le parc d’infrastructures de recharge pour véhicules rechargeables s’est déjà un peu développé mais il devrait enfin se généraliser dans les années à venir grâce à quelques changements structurels. Ce nouvel usage du réseau électrique sera alors à intégrer par les acteurs électriques pour permettre de limiter l’impact sur la consommation de pointe.
L’angoisse de la panne sèche, terreur de la voiture électrique
En 2009, le ministère du Développement durable présentait un Plan national pour le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables avec pour objectif la mise en circulation de 450 000 véhicules d’ici à 2015 et de 2 millions en 2020. Nous en sommes encore loin même si l’on assiste à un frémissement des ventes grâce au fort soutien de l’Etat matérialisé par le superbonus : près de 10 000 véhicules électriques ont été vendus au premier semestre 2015 sur le second marché européen du VE.
Ce « retard à l’allumage » est principalement dû à la peur de la « panne sèche ». Son appropriation nécessite un changement de mentalité. Un véhicule thermique se recharge en 5 minutes pour 800 à 1 000 km d’autonomie tandis que la recharge d’un véhicule électrique demande un changement de paradigme : les périodes d’immobilisation du véhicule doivent être mises à profit pour permettre au véhicule de se recharger. De nombreuses recherches indiquent que 90% des recharges par les conducteurs de VE s’effectuent à domicile ou sur leur lieu de travail tandis que les 10% restantes sont effectuées sur des lieux partagés publics ou privés. Ces points de charge d’appoint sont toutefois essentiels car ils accroissent la flexibilité d’usage et diminuent le stress du manque d’autonomie.
L’encouragement de l’Etat au développement des infrastructures de charge donne ses premiers résultats
Le développement de la mobilité électrique en France est soutenu depuis plusieurs années par un engagement de l’Etat. Le Plan National de 2009 reposait sur 14 actions concrètes pour favoriser le développement des VE dont celui de l’infrastructure de recharge.
Une de ces actions est le soutien des communes pour aménager des infrastructures publiques de charge accessibles à tous les véhicules à travers l’organisation d’assises nationales pour permettre un meilleur dialogue entre l’Etat, les décideurs publics et les acteurs privés. Ce rôle des communes est réitéré par la loi Grenelle II de 2010, qui confie la compétence du déploiement des infrastructures de recharge publiques aux communes ou aux EPCI (Etablissement Public de Coopération Intercommunale), AOT (Autorité Organisatrice de Transports), syndicats de transport ou aux autorités organisatrices d’un réseau public de distribution d’électricité. En cas de carence de l’initiative privée sur ce champ d’activité, les communes peuvent prendre l’initiative d’organiser ce service sur leur territoire selon les modalités de leur choix.
Un Appel à Manifestation d’Intérêt a été publié en janvier 2013 par l’ADEME dans le cadre du programme « Véhicule du Futur ». Ce programme d’une dotation de 50 millions d’euros a déjà permis de financer une quinzaine de projets représentant plus de 5 000 points de charge.
Répartition des prises de charges sur le territoire français en août 2015 d’après Chargemap
La loi du 4 août 2014 devrait être celle qui va modifier le plus profondément le paysage. Elle accorde à l’Etat ou à un opérateur national la possibilité d’implanter des infrastructures de recharge sur le domaine public d’une collectivité locale sans être tenu d’acquitter une redevance d’occupation du domaine public et sans que les collectivités ne puissent s’opposer à l’implantation sur leur territoire. Et c’est le groupe Bolloré, déjà fortement présent sur la mobilité et le stockage électrique, qui a été le premier à avoir été reconnu en février 2015 opérateur national. Il va pouvoir ainsi profiter de ces facilités pour déployer 16 000 points de charge sur quatre ans dont près de la moitié en 2016, pour un investissement de 150 millions d’euros. Ce projet devrait être un véritable booster pour le développement de l’infrastructure française puisque le nombre de points de charge en France est limité aujourd’hui à moins de 5000.
Après Bolloré, c’est la Compagnie nationale du Rhône qui est devenue le deuxième opérateur national dès mars 2015. La filiale de GDF-Suez a obtenu le précieux agrément par une décision du Ministre de l’Economie pour déployer 52 points de charge rapide répartis sur trois régions le long du Rhône.
La loi ALUR (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) votée le 21 février instaure l’obligation pour les commerces de prévoir des bornes de recharge électrique sur leurs parcs de stationnement. C’est le cas également pour les logements collectifs en cours de construction et les immeubles de bureaux en construction et existants qui ont pour obligation désormais de pré-équiper au moins 10% des places de stationnement avec une installation électrique (pose de fourreaux et de câbles reliés à un tableau général basse tension). L’installation d’une prise ou d’une borne de recharge reste toutefois aux frais de l’usager. Pour les immeubles d’habitation cette obligation se traduit par un « droit à la prise ». Calqué sur le « droit à l’antenne », qui existe depuis quarante ans, il donne au propriétaire ou au locataire le droit d’installer, à ses frais, une prise sur sa place de stationnement.
Enfin, l’Assemblée Nationale, en adoptant définitivement le 22 juillet dernier le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, fixe comme objectif pour la France l’installation, d’ici à 2030, d’au moins sept millions de point de charge sur les places de stationnement des ensembles d’habitations et autres types de bâtiments ou sur des places de stationnement accessibles au public.
“Pendant la prochaine année et demi on va vraiment voir le réseau de charge exploser”, résume Marie Castelli, secrétaire générale de l’Avere, association nationale pour le développement de la mobilité électrique. “Le développement du réseau va servir à la fois à offrir des possibilités de recharge à des gens qui n’en avait pas (…), et à la fois à rassurer tous les gens qui se disent si je prends un véhicule électrique je ne pourrai plus faire tout ce que je veux avec”.
Des évolutions techniques attendues pour pérenniser et sécuriser le développement du véhicule électrique
Le large déploiement d’infrastructures de charge sur l’ensemble du territoire est une condition sine qua non du décollage des ventes. Mais qu’en est-il de l’impact sur les réseaux électriques engendré par le branchement de futurs millions de véhicules électriques ?
Les premières études menées par les gestionnaires de réseaux et recensées par la CRE indiquent que, sans gestion particulière de la recharge, ce nouvel usage viendrait accroître de manière notable la consommation électrique de pointe : en prenant l’hypothèse de 2 millions de véhicules électriques en circulation en 2020 comme le prévoyait le Plan National de 2009, l’augmentation de la pointe nationale pourrait atteindre jusqu’à 11%. La courbe de charge « naturelle » des véhicules électriques vient en effet parfaitement se superposer avec les autres usages de l’électricité. 90% des recharges par les conducteurs de véhicule électrique s’effectuent à domicile ou sur leur lieu de travail, le véhicule électrique se retrouve branché au réseau le matin quand l’utilisateur arrive au travail, et le soir quand il rentre chez lui, accentuant ainsi les pics de consommation de 9h et de 19h. La CRE indique donc que « l’appel de puissance lié à la recharge des véhicules électriques pourrait avoir des conséquences économiques (renforcements du réseau notamment) et environnementales (recharge en période de pointe, énergies fossiles majoritaires dans le mix électrique des zones non interconnectées) potentiellement très importantes ».
Le choix du moment de la recharge ainsi que de la puissance de recharge utilisée doit prendre en compte l’ensemble des contraintes engendrées sur le système électrique. Ces contraintes portent, notamment, sur le dimensionnement du réseau intérieur (de l’habitation, de l’immeuble du bureau, etc.), sur le dimensionnement du réseau public de distribution et sur l’équilibre entre production et consommation d’électricité. Il semble, donc, important que l’utilisateur soit sensibilisé et incité selon ces contraintes. Plusieurs solutions, à l’étude aujourd’hui, sont envisageables selon Jacques Batut, spécialiste des réseaux intelligents et des véhicules électriques à RTE :
- Le fournisseur d’électricité incite l’automobiliste à recharger ses batteries pendant les heures creuses de la nuit. Cela lui coûte moins cher, et cela évite aussi l’augmentation de la pointe de 19h-20h. C’est ce qui existe déjà, avec les tarifs « heures pleines / heures creuses », qui permettent de démarrer automatiquement des chauffe-eau la nuit.
- Un opérateur gère à distance la recharge d’une partie des véhicules. A partir des informations collectées sur leur état de charge et les besoins des utilisateurs, il envoie l’ordre de recharger chacune des voitures, de sorte de répartir au mieux la consommation totale d’électricité.
Plusieurs opérateurs pourraient être intéressés par cette fonction de pilotage de la recharge à distance. En effet, un fournisseur d’énergie a intérêt à minimiser l’appel de puissance au moment où les prix de marché sont les plus élevés. Le gestionnaire du réseau public de distribution a quant à lui intérêt à minimiser les pointes d’utilisation des réseaux au niveau local. Enfin, le gestionnaire du réseau privé a intérêt à limiter la puissance appelée par l’ensemble du réseau intérieur. Ceci peut induire une concurrence entre ces acteurs pour inciter l’utilisateur à moduler l’instant et la puissance de sa recharge. Cette question de gouvernance du pilotage pourrait être une nouvelle problématique à traiter par la CRE.
D’autre part, le système de recharge des véhicules électriques peut également être envisagé comme un moyen de stockage de l’électricité qui pourrait être utilisé et valorisé pour gérer l’équilibre entre production et consommation au niveau local. Selon EDF, 50 % des véhicules stationnent en permanence au domicile et 69 % des actifs restent garés 6 heures par jour sur un emplacement réservé, le réseau pourrait ainsi puiser dans la batterie du véhicule à l’arrêt l’électricité nécessaire pour répondre aux fortes demandes (lors de la pointe de consommation du début de soirée par exemple) ou pour pallier un manque ponctuel de production (lorsque la météo ne permet pas d’exploiter les énergies renouvelables par exemple). On parle alors de Vehicule-to-grid (V2G) : le véhicule électrique alimente le réseau en fonction des besoins du système électrique (modèle bidirectionnel) et lui offre un service de flexibilité.
Plusieurs projets de V2G sont à l’étude mais de nombreuses barrières technologiques sont encore à lever comme la durée de vie des batteries qui, avec la technologie actuelle, résisterait mal aux à l’alternance de périodes de charge et de décharge plusieurs fois par jour.
Ce besoin de flexibilité pour limiter, notamment, l’impact de l’intégration du véhicule électrique sur le réseau met en évidence l’intérêt de mutualiser les fonctionnalités Smart grids (intégration des bornes de recharge, intégration des moyens de production renouvelables, gestion active de la demande, etc.) en vue d’une optimisation globale. Dans ce but, l’interopérabilité des modes de recharge et des équipements techniques de pilotage de la recharge devient une nécessité. Un standard de mode de charge et de gamme de prise pour véhicule électrique est déjà préconisé par plusieurs normes imposées par la Commission électrotechnique internationale mais ce cadre normatif reste à affiner pour que l’interopérabilité soit complète.
La multiplication de bornes de recharge intégrées au réseau est donc une des clés de réussite du développement des véhicules électriques mais ce nouvel usage électrique pose encore de nombreuses questions technologiques, juridiques et techniques pour s’intégrer en limitant les impacts sur le reste du système électrique.