Voilà une nouvelle qui devrait relancer les débats sur la façon de déterminer le niveau des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRV) : d’après l’AFP, la Commission de Régulation de l’Energie aurait récemment proposé une hausse de 2,4% de ces tarifs. Si elle était confirmée, cette hausse pourrait entrer en vigueur dès le 1er février 2020. Elle s’inscrirait dans la continuité de l’augmentation des TRV de 5,9% en juin 2019 et de 1,26% en août 2019. Alors ministre de le Transition écologique et solidaire, François de Rugy s’était exprimé en faveur de la modification du mode de calcul des TRV, dans un contexte social marqué par la crise des gilets jaunes.
Cet engagement n’a pas été tenu, la loi Energie Climat se contentant de créer un dispositif d’évaluation de ces tarifs. Il faut dire que la modification de leur mode de calcul est une question sensible, en premier lieu pour les consommateurs, mais aussi pour les fournisseurs alternatifs et l’opérateur historique, EDF. Derrière cette question, c’est en effet toute l’architecture du marché de l’électricité qui est en jeu en France.
Les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRV), auxquels sont abonnés 24,2 millions de clients résidentiels (soit presque 74% du marché français résidentiel), sont souscrits auprès du fournisseur historique EDF ou des entreprises locales de distribution d’électricité. Réservés aux petits consommateurs, ils sont déterminés par l’État sur proposition de la Commission de Régulation de l’Énergie. 8,7 millions de clients résidentiels ont pour leur part opté pour des offres de marché, proposées par EDF et par les fournisseurs alternatifs.
Comment expliquer la hausse des TRV ?
Depuis la loi NOME de 2010, les TRV sont déterminés selon la méthode de « l’empilement des coûts ».
Source : CRE, https://www.cre.fr/Electricite/Marche-de-detail-de-l-electricite
Un des coûts pris en compte dans les TRV correspond à l’approvisionnement sur les marchés de gros. Ce dispositif permet aux fournisseurs alternatifs, qui se sourcent en partie sur ces marchés, de proposer des prix concurrentiels par rapport aux TRV. Or, une hausse du prix des matières premières en 2018 a entraîné une hausse des prix de marché de gros qui ont atteint 59 euros/MWh en décembre 2018, contre 41 euros au début de l’année. Dans ce contexte, les fournisseurs alternatifs se sont reportés sur l’ARENH aujourd’hui fixé à 42 euros du MWh.
L’ARENH[1] est un dispositif qui permet aux fournisseurs alternatifs de racheter une partie de la production nucléaire à EDF et de bénéficier ainsi d’une partie de la « rente nucléaire ». Or, cet ARENH est plafonné à 100 TWh. En novembre 2018, pour la première fois, ce plafond a été atteint. Les volumes attribués ont été rationnés, puisque 133 TWh avaient été demandés par les fournisseurs alternatifs. Ces derniers ont donc reçu moins d’électricité « ARENH » que prévu, ce qui a donné lieu à un approvisionnement complémentaire sur le marché de gros. Ces coûts supplémentaires se sont répercutés sur les TRV, et sur la facture du consommateur final.
A la hausse des prix sur les marchés de gros s’est par ailleurs ajoutée une augmentation de 3,53% du TURPE (qui correspond à l’acheminement) et un renchérissement des certificats d’économie d’énergie (CEE). C’est la conjugaison de ces trois critères qui explique la hausse inédite des TRV en 2019, dont le premier bénéficiaire est EDF.
Quelles sont les pistes pour réformer les TRV, et quels sont les enjeux sous-jacents pour les différentes parties prenantes ?
Deux visions s’opposent. Les fournisseurs alternatifs réclament un meilleur accès à l’ARENH pour proposer des offres compétitives à leurs clients. Cela aurait également pour effet de réduire la composante « approvisionnement marché » des TRV, et donc de limiter leur hausse[2].
De l’autre côté, EDF considère que l’ARENH est un système organisé pour lui faire perdre des parts de marché, sans inciter les fournisseurs alternatifs à développer leurs propres capacités. EDF estime également que l’ARENH devrait atteindre 45 euros/MWh pour couvrir les coûts du nucléaire, au lieu des 42 euros actuellement en vigueur. Le fournisseur historique fait d’ailleurs de la hausse de l’ARENH la condition pour réaliser le projet de réorganisation Hercule : « Sans réforme préalable de l’Arenh, nous ne pouvons justifier d’aucune évolution de l’organisation d’EDF car nous ne pourrions pas atteindre le niveau d’investissement qui est indispensable à la transition énergétique », déclarait ainsi Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, au Sénat en novembre. Bruxelles, initialement réticente à l’idée d’accepter toute hausse de l’ARENH perçue comme anti-concurrentielle, pourrait l’accepter à condition qu’en parallèle, la séparation entre activités de production et activités de commercialisation prévue par le projet Hercule soit actée.
La solution pourrait donc consister en une augmentation conjuguée du volume et du montant de l’ARENH qui permettrait de maîtriser les variations des TRV. C’est tout l’esprit de la consultation lancée par les pouvoirs publics ces derniers jours. Celle-ci propose une introduction de quasiment toute la production nucléaire d’EDF sur le marché, soit environ 360 TWh. Les fournisseurs alternatifs auraient accès à cette production nucléaire à un prix encadré par un plancher couvrant les coûts d’EDF, et par un plafond, permettant d’éviter l’envolée de la facture des Français. Si les prix sur le marché dépassent ce prix plafond, alors EDF remboursera le trop-perçu aux fournisseurs alternatifs, et vice versa.
Ce faisant, les pouvoirs publics agiraient directement sur certains des coûts couverts par les TRV, plutôt que de remettre en cause leur méthode de calcul… et chacun peut y gagner si cette piste se confirme. Les consommateurs aux TRV pourront bénéficier d’une facture plus stable, les fournisseurs alternatifs pourront proposer des offres de marché potentiellement plus attractives et EDF aura une meilleure couverture de ses coûts liés au nucléaire.
Ces réflexions, qui posent in fine la question du « juste » prix de l’électricité, peuvent également être resituées dans le cadre plus général des marchés de l’électricité dans les autres pays européens. A titre d’illustration, en 2018, le prix du kilowattheure consommé par les ménages était 20 % moins cher en France que dans la zone euro. C’est pourquoi Atlante vous proposera dans les prochaines semaines un comparatif des prix de l’électricité en Europe.
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[1] Accès régulé à l’électricité nucléaire : ce tarif regroupe les coûts d’exploitation des centrales, les coûts d’investissements de maintenance ou nécessaires à l’extension de la durée d’autorisation d’exploitation, les coûts prévisionnels de démantèlement des centrales et de gestion des déchets et le coût de rémunération des capitaux immobilisés.
[2] La loi énergie-climat prévoit la possibilité d’augmenter le plafond de l’ARENH à 150 TWh. Cependant, le gouvernement a décidé de ne pas le mettre en œuvre pour le moment.