Le 21 juin 2020, après près de 9 mois de réflexions rythmés par 7 sessions de travail, les 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ont remis leurs travaux à Elisabeth Borne. Près de 150 mesures pour répondre à la question posée par le gouvernement : comment réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 40 % d’ici 2030[1] dans un esprit de justice sociale ?

Les mesures présentées par la CCC permettront-elles de relever ce défi ? Répondent-elles aux attentes de justice sociale qui avaient été exprimées notamment lors de la crise des gilets jaunes ? Posent-elles les briques du monde de demain ?

C’est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans ce deuxième épisode de notre série d’articles dédiée à la Convention Citoyenne sur le Climat (retrouvez l’épisode 1 ici).

Un mandat globalement rempli, sans rupture majeure

Yolande, membre de la Convention, l’affirme : « On a fait le boulot ». Laurence Tubiana, co- présidente du comité de gouvernance de la CCC, abonde : « Le paquet de mesures permet globalement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 ». S’il est difficile à date de pouvoir juger de la véracité de cette affirmation, ce qui est certain c’est que la convention a été très vigilante à ce que cette réduction se fasse dans un esprit de justice sociale : ils ont ainsi veillé à ce que leurs propositions n’impactent pas de manière disproportionnée les plus fragiles et à ce que tous, sans conditions de revenus, puissent en bénéficier. La CCC a par ailleurs favorisé l’émergence de solutions consensuelles, dans l’espoir que si une proposition était considérée comme juste par la CCC, elle pourrait être acceptée par l’ensemble des citoyens. Toutes les propositions de mesures – sauf une[2] – ont ainsi été validées avec plus de 90% des suffrages exprimés, preuve de la capacité de la Convention à générer du consensus.

Certains regrettent toutefois un manque d’ambition de la part des conventionnels : très peu des mesures initient des ruptures violentes. Laurent Jeanpierre, sociologue, a suivi tous les travaux de la Convention. Il déplore le manque d’audace des propositions, alors même que la crise sanitaire récente « a imposé des restrictions très lourdes sans rejet massif de la population », prouvant que les Français seraient capables d’accepter des mesures potentiellement plus strictes et coercitives que celles qui ont été proposées. Pour lui, la CCC, qui jouit pourtant d’une forte légitimité du fait de sa représentativité, a été inhibée par son souci constant d’acceptabilité et s’est ainsi interdite de proposer plus de solutions de rupture. Le refus des membres de de proposer une modalité de taxe carbone, ou leur rejet d’une mesure visant à réduire la durée du temps de travail sont symptomatiques de cette préoccupation.

Comme l’admet, Laurence Tubiana elle-même, « La majorité de ces mesures n’est pas nouvelle ». Cependant, « les citoyens sont allés plus loin que ce qui existait déjà. Leur ensemble est cohérent, ambitieux et technique ». La force des travaux de la Convention ne résiderait donc pas forcément dans le contenu des mesures, mais dans la nouvelle légitimité qu’elle donne à ces propositions préexistantes en les inscrivant dans un ensemble cohérent et en les portant politiquement.

D’aucuns dénoncent également des travaux partiels, ayant laissé de côté certains pans de la réflexion. Le comité de gouvernance, co-présidé par Laurence Tubiana et Thierry Pech, a en effet organisé les travaux autour de 5 grands thèmes, correspondant « à des expériences quotidiennes et aux grands facteurs d’émission des GES »[3] : se loger, se nourrir, se déplacer, consommer, travailler/produire. Or, les membres de la Convention ne se sont pas émancipés de ce cadre : une tentative de créer un groupe de travail transverse n’a pas suscité l’adhésion. En conséquence, certains sujets n’ont pas été traités aussi en profondeurs que d’autres :

  • La question du financement a été abordée et travaillée par les conventionnels, mais peu de temps lui a été allouée en séance.
  • La question de la transition énergétique a été éludée : en assemblée plénière les seuls acteurs « énergie » qui sont intervenus étaient Elisabeth Borne (pour parler uniquement de transports) et le directeur de la DGEC (qui a abordé la PPE de manière très tangentielle, dans une discussion sur les outils des politiques publiques de l’énergie). Le DG d’ENGIE et le directeur énergie d’Enercoop ont également été assez brièvement auditionnés, mais seulement par les membres du GT « travailler/produire » et très tardivement dans le processus de définition des propositions de mesures.

Enfin, le niveau d’ambition des mesures proposées est également à évaluer à l’aune de l’évolution à venir de la législation de l’Union européenne. En effet, si l’Union adopte l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 dans le cadre du Green Deal, ce n’est pas de 40% mais bien de 55% que les émissions de GES devront avoir baissés en 2050. Les propositions de la Convention ne permettent pas d’atteindre cet objectif. Mais, elles fournissent les premiers outils pour infléchir les trajectoires d’émissions et, surtout, elles permettent d’ouvrir le débat sur les efforts nécessaires pour construire le monde demain.

La mise en œuvre des propositions, véritable critère de réussite de la Convention

Lors de son audition devant la Convention en janvier, le Président avait encouragé les citoyens à proposer des mesures concrètes, si possible déjà traduites en droit et avec un financement afférent : « Plus c’est précis, clair et détaillé, plus ça peut être [repris] “sans filtre”. Forts de cette consigne, les conventionnels ont décliné plus d’un tiers de leurs mesures en propositions de loi et rendu un rapport d’une centaine de pages sur les sources possibles de financement.

Les citoyens ont donc donné au gouvernement et à l’Assemblée des outils pour faciliter la mise en œuvre de leurs propositions.Ils sont maintenant tributaires des décisions politiques : aucun texte contraignant n’oblige au suivi de leurs recommandations, que ce soit sur le fond (le contenu) ou la forme (les modalités proposées d’adoption des mesures).

Ce manque de garanties génère notamment des inquiétudes sur la question référendaire. Les conventionnels souhaitent soumettre au vote des français des mesures symboliques : modification de la Constitution pour rendre la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement obligatoire et pénalisation de l’écocide. Leur approbation devrait légitimer l’action de la Convention et faciliter la mise en œuvre de toutes les autres mesures. Or l’exécutif semble de son côté tenté par un « référendum à choix multiples », qui permettrait de consulter les français sur un ensemble de propositions opérationnelles, mais aussi de marquer le tournant « vert » du quinquennat. Au risque que le référendum se transforme en vote-censure du gouvernement et que les mesures soient rejetées.

Ce risque peut toutefois être atténué, comme le montre l’exemple Irlandais : en 2018, ce pays très catholique dépénalisait l’avortement via un référendum organisé à la suite d’une recommandation d’une assemblée citoyenne précurseure de la Convention. Les raisons du succès : un travail commun à tous les politiques de création de lieux de débat et d’échanges découplés de la politique politicienne, permettant à chacun de prendre une décision informée.

Les membres de la Convention souhaitent bien sûr que les politiques suivent la lettre et l’esprit de leur recommandations, mais ils leur demandent également de « prendre leurs responsabilités et de porter eux-mêmes le débat public » : l’acceptabilité et le consensus autour des propositions de la CCC doivent être consolidés, et c’est au pouvoir public qu’il revient d’organiser l’information de la population, pour donner à tous les citoyens la possibilité de s’approprier les sujets comme l’ont fait les membres de la Convention.

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Les travaux de la CCC ont certes leurs limites : points aveugles, manque d’audace… La critique est d’autant plus facile que l’exercice était périlleux. Mieux ne vaut-il pas plutôt saluer les efforts des 150 conventionnels, qui ont réussi à proposer un ensemble cohérent de mesures permettant de réduire de 40% les émissions de GES dans un esprit de justice sociale ? Des efforts qui ne seront toutefois pas suffisants pour garantir la réduction effective des émissions : pour cela, l’action des politiques est cruciale pour renforcer l’acceptabilité de ces mesures et surtout garantir leur mise en œuvre.

Le président a annoncé qu’il répondrait aux propositions de la Convention le 29 juin. Puis, les membres de la convention se retrouveront une dernière fois à l’automne pour élaborer une réaction formelle à cette réponse. Ils ne comptent toutefois pas se contenter de cet ultime échange : ils ont créé une association « les 150 » pour s’assurer de la postérité de leur contribution à la transition écologique.

[1] Tous les objectifs de réduction d’émissions de GES évoqués dans ce texte font référence aux niveaux d’émission de 1990.

[2] Le passage de la limitation de vitesse à 110 km/h sur les autoroutes

[3] Thierry Pech https://www.youtube.com/watch?time_continue=53&v=NKCq6dBmlHk&feature=emb_logo