L’énergie au Laos en quelques chiffres clés
Malgré l’absence de littoral, on s’aperçoit rapidement que l’eau est omniprésente au Laos. Le Mékong et ses nombreux affluents sont sources de vie pour une part importante de la population.
Depuis les années 90, le potentiel hydroélectrique de cette ressource est exploité : il représente désormais 85% du mix électrique. Le gouvernement Laotien a mis en œuvre une politique de développement massif de l’hydroélectricité afin de lutter contre la pauvreté et d’initier une croissance économique rapide du pays : en 2018, 51 barrages étaient en exploitation, 46 en cours de réalisation et 112 en études représentant 22 GW de capacité électrique pour un potentiel total identifié de 23 GW. L’industrie hydroélectrique contribue grandement à la croissance du PIB à 7% par an depuis 2005 et semble désormais indispensable.
La géographie du pays permettant l’abondance de cette source d’énergie rend paradoxalement difficile la construction d’un réseau électrique national. Seul 87% de la population jouît d’un accès électrique avec une consommation totale ramenée au nombre d’habitant 10 fois inférieure à celle de la France. Par ailleurs, 70% de la production électrique est exportée vers les pays voisins et en particulier la Thaïlande.
Pour comprendre de manière approfondie le secteur hydroélectrique au Laos, nous avons visité la centrale de Nam Theun 2 – la plus grande centrale hydroélectrique d’Asie du Sud-Est – avec Laurent Jupin, appui au chef de service de la maintenance du site.
Nam Theun 2 : exemple national de prise en compte des impacts environnementaux et sociaux
Située sur le fleuve Theun, un affluent du Mekong, Nam Theun 2 est la centrale la plus productive d’Asie du Sud-Est avec 6 000 GWh/an. Cette production est exportée à 95% vers la Thaïlande ; les 5% restant sont dédiés à la consommation locale et correspond à 20% du pic de demande au Laos. La centrale a été construite par la Nam Theun 2 Company (NTPC), un consortium détenu par EDF, EGCO (producteur thaïlandais) et le gouvernement du Laos.
Le potentiel hydroélectrique exceptionnel du plateau de Nakai avait été identifié dès 1927 mais le projet n’a vu le jour qu’après de longues années d’études interrompues par la crise asiatique de 1997. Soutenu par des organismes internationaux tels que la Banque Mondiale, la Banque de Développement Asiatique et l’Agence Française de Développement, le projet a consacré 20% des 1,4 milliards de dollars d’investissement à la prise en compte des impacts environnementaux et sociaux.
Déplacement des villageois du plateau de Nakai
La consultation des villageois du plateau de Nakai a débuté dès 1995 afin de décrire le projet et de proposer différentes alternatives de réinstallation. Ce dialogue a abouti entre autres à la construction de 16 nouveaux villages, et à l’attribution de bateaux de pêche et de terres pour l’agriculture à chacune des familles déplacées. La majorité des 6 300 villageois a réagi positivement car le projet leur permet d’améliorer leur condition de vie et d’accéder à des services plus modernes : électricité, eau, éducation et santé.
Différentes maisons traditionnelles laotiennes ont été construites en fonction de la taille des familles
Protection environnementale
Le plateau de Nakai est bordé à l’Est par l’une des plus grandes réserves naturelles du Laos. Cette forêt, outre son importante biodiversité, permet de remplir le réservoir en eau lors de la saison des pluies et est donc vital pour le fonctionnement de la centrale.
NTPC consacre 1 million de dollars par an pour la protection de cette zone naturelle en s’appuyant sur des organismes locaux dont les missions sont de limiter le braconnage et la déforestation notamment par des programmes d’éducation des populations locales.
Un laboratoire d’analyse de l’environnement aquatique géré en partenariat avec EDF, permet de surveiller la qualité de l’eau dans le réservoir et en aval du barrage, la vie aquatique, les émissions de CO2, et s’assure que NTPC respecte les normes internationales.
Par ailleurs, NTPC s’engage dans des programmes de santé publique et d’éducation et s’était fixé une cible, atteinte fin 2014, d’un revenu minimum pour les habitants du plateau de Nakai. Les investisseurs internationaux contrôlent par l’examen des rapports d’activités et d’une visite trimestrielle l’atteinte des objectifs fixés sur la bonne prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. Les résultats sont publiés par la banque mondiale dans un rapport annuel.
Cependant, tous les sites hydroélectriques ne jouissent pas d’un potentiel de rentabilité économique aussi fort et ne peuvent pas se permettre d’allouer une part si importante de leur budget à la gestion de ces impacts.
La ruée vers l’or bleu
Dans la course à l’hydroélectricité lancée dans les années 90’, le gouvernement laotien n’a malheureusement pas les moyens techniques et financiers de réguler et surveiller efficacement la construction et l’exploitation des barrages. De plus, contrairement à Nam Theun 2 qui a bénéficié du soutien de nombreuses institutions internationales, le Laos s’associe désormais majoritairement avec des investisseurs privés thaïlandais ou chinois. Ces partenaires sont souvent moins regardant sur la prise en compte des impacts environnementaux et sociaux mais assurent un développement plus rapide des projets et sont plus attrayants économiquement.
Par ailleurs, de nombreuses associations environnementales internationales comme WWF alertent depuis plusieurs années sur les conséquences environnementales et sociales de l’exploitation toujours plus importante du potentiel hydroélectrique du Mékong. La multiplication du nombre de barrages sur le fleuve abaisse le niveau de l’eau, gêne la migration des poissons et met donc en péril un écosystème sur lequel repose la survie de plus de 60 millions de personnes au Laos, au Cambodge et au Vietnam.
Avec la Thaïlande, ces 4 pays sont réunis au sein de la Mékong River Commission (MRC) qui a pour rôle d’émettre des recommandations sur les projets de barrages sur le Mékong. Cependant, cette commission, souffrant d’un manque de légitimité, n’a pas le pouvoir de s’opposer à quelconque construction de barrage. Il est donc peu probable que la MRC freine le Laos dans sa frénésie de construction.
Néanmoins, l’effondrement du barrage de Xe Pian Xe Nam Noi en juillet 2018, qui a entraîné la mort d’une trentaine de personnes et des centaines de disparus, a mis en lumière les conséquences potentielles tragiques de cette ruée à l’hydroélectricité. Le gouvernement a depuis mis un frein temporaire au développement de nouveaux projets et a renforcé les contrôles sur l’ensemble des barrages du territoire. Ils doivent notamment répondre à une évaluation sûreté en fournissant au ministère de l’énergie un dossier complet sur la conception du site et son exploitation.