L’éolien flottant est une technologie encore discrète mais qui pourrait à l’avenir faire beaucoup parler d’elle. Mardi 2 décembre 2014, Manuel Valls a annoncé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) de 150 millions d’euros pour les premiers projets éoliens flottants au large des côtes françaises, et Ségolène Royal a confirmé ce calendrier lors du colloque de l’ADEME en avril. La filière, encore peu mature, promet à qui sait la maîtriser un accès à des ressources éoliennes aujourd’hui inaccessibles. Quels sont les enjeux qui se cachent derrière cette technologie ? Qui sont les acteurs qui se positionnent sur le marché ? Quel avenir pour la filière ? Un point à la veille du lancement de l’AMI.

Ideol

Une technologie innovante

Il existe deux grandes familles dans l’éolien : celle sur terre, dite éolien terrestre, et celle en mer, souvent appelée éolien offshore ou éolien en mer. Au sein de cette seconde famille, on distingue l’éolien offshore posé de l’éolien offshore flottant. L’éolien offshore posé consiste en une fondation qui, comme son nom l’indique, repose sur le fond des océans. Cette technique commence à être bien maîtrisée et est utilisée par tous les parcs existants. L’éolien flottant se distingue uniquement par sa fondation : si l’éolienne est la même (mât, nacelle, pâles…), la fondation est flottante. Cela permet entre autre de ne plus être dépendant de la profondeur. Réussir à faire poser une éolienne sur une structure flottante est un vrai défi qui demande une rupture technologique. Il faut que la structure résiste à la force du vent et au rythme des vagues en ayant pour seul appui la surface de l’eau. Le principal problème auquel doivent répondre les ingénieurs est donc de concevoir une structure qui soit stable sans que le coût pour y parvenir soit rédhibitoire. Cette filière est encore au stade de la R&D et voit naître plusieurs projets concurrents. Elle pourrait à l’avenir se développer et prendre des parts de marché significatives dans les bouquets énergétiques.

Avantages et inconvénients de la technologie

A première vue, l’idée de poser une éolienne sur des flotteurs peut paraître ambitieux tant l’équation à résoudre n’est pas simple. Pourtant, la maîtrise de cette technologie apparaît comme une étape fondamentale au développement de l’éolien en mer : en faisant flotter une éolienne, on s’affranchit de la contrainte de la profondeur qui oblige aujourd’hui les champs éoliens à rester proches des côtes. On accède alors à des régions présentant de meilleurs potentiels éoliens, tout en réduisant l’impact visuel depuis la côte.

Aujourd’hui, les entreprises lancées dans le développement de l’éolien en mer doivent résoudre un nombre d’inconnues important. Par exemple, elles doivent être capable d’analyser les sols marins et de choisir en conséquence les fondations les plus appropriées[1]. Cette partie comporte un risque significatif car le sol peut réserver de mauvaises surprises : sachant que le coût de la fondation peut représenter jusqu’à 25% des CAPEX, le choix de la technologie est stratégique et peut engendrer des surcoûts et des retards significatifs au projet.

L’aspect social et économique est également un critère à regarder de près. Pour chaque projet, l’impact socio-économique sur les communes à proximité doit être réalisé afin d’engager une discussion avec les parties prenantes, parfois très nombreuses (associations, pêcheurs, élus, syndicats, administrations…). Par exemple, pour les parcs éoliens offshore actuellement en projet en France, l’impact visuel depuis la côte doit être pris en compte et être intégré comme une donnée source lors de la conception de l’agencement des éoliennes. C’est un élément qui vient alors enrichir les débats, notamment auprès des maires soucieux des retombées sur le tourisme local.

Au regard de ces contraintes, l’éolien flottant peut s’avérer être une solution judicieuse. Plusieurs avantages peuvent être répertoriés :

  • Tout d’abord, la question de la nature du sol et de sa profondeur n’est plus un problème pour l’éolien flottant. L’éolien posé est techniquement et économiquement contraint à se cantonner à des profondeurs inférieures à 50 m, ce qui est une distance rapidement atteinte au large de côtes européennes, exception faite pour la mer du Nord et la Baltique. L’éolien flottant peut lui s’installer sans ce soucier de cette profondeur (entre 50 et 300 m), ce qui lui ouvre des espaces d’exploitation beaucoup plus vastes.
  • Pour l’éolien offshore posé, l’installation représente une étape importante qui pèse jusqu’à 15% des CAPEX. C’est un point à risque car dépendant d’un facteur qu’il n’est pas possible de maîtriser : la météo. Pour pouvoir installer des éoliennes, il faut bénéficier de conditions météorologiques avantageuses, notamment une houle et un vent faible. Cette contrainte non maîtrisable fait peser sur le planning une incertitude importante qui oblige à laisser une marge importante et incompressible, allongeant ainsi les délais du projet. Au contraire, la plupart des technologies d’éolien flottant a l’avantage de pouvoir être assemblée au port, à l’abri des aléas climatiques, pour être ensuite remorquée sur site.
  • Enfin, la contrainte d’acceptabilité des parties prenantes, élément difficile à maîtriser, peut être réduit en augmentant la distance des parcs de la côte. Certains maires pourront ainsi être rassurés de savoir que le parc éolien flottant n’est plus visible depuis leurs plages.

Le prix à payer pour accéder à tous ces avantages n’est pas mince : il faut être capable de maîtriser la technologie, savoir gérer un champ plus éloigné des côtes (par exemple en terme de maintenance) ou encore être capable de construire un modèle économique rentable sans pouvoir bénéficier de retour d’expérience.


De nombreux acteurs qui se positionnent sur le marché

A ce jour, 3 projets expérimentaux ont été mis à l’eau afin de pouvoir lever les grandes incertitudes techniques et économiques.

Il y a tout d’abord le projet Hywind, le premier à avoir été mis à l’eau par Statoil en Norvège. Doté d’une éolienne Siemens de 2,2 MW, ce pilote a été connecté au réseau en 2009. La technologie de flotteur consiste en un large tube d’acier servant de ballaste et ancré au sol par trois câbles.

Ensuite, le projet WINDFLOAT au large du Portugal, par le bureau d’étude Principal Power et EDP. Situé à 6 km environ des côtes, ce projet embarque une éolienne Vestas V80 de 2MW posée sur 3 flotteurs servants de ballasts. Depuis son installation, l’éolienne a produit en février 2015 plus 12 GWh, et a traversé deux grandes tempêtes en 2012 et 2013 avec des vagues allant jusqu’à 16 m.

Enfin, le projet Fukushima FORWARD, installé à une vingtaine de kilomètres des côtes témoins de la catastrophe nucléaire. Regroupant onze acteurs nippons, ce projet a mis à l’eau deux prototypes d’éoliennes flottantes de 2 puis 7 MW.

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Beaucoup d’autres projets d’éolien flottant existent, mais n’ont pas à ce jour de démonstrateur à l’échelle 1. La France voit mûrir beaucoup de projets grâce à ses entreprises expertes dans l’énergie et l’exploitation industrielle en milieu marin. On peut notamment citer :

  • Le projet VERTIWIND, piloté par Technip (avec EDF EN comme partenaire), lauréat des Investissements d’Avenir de l’ADEME. Ce projet, en teste à la Fos-sur-Mer, repense entièrement l’éolienne offshore, en proposant une éolienne à axe vertical posée sur 3 flotteurs.
  • Le projet SEA RED, rassemblant DCNS et Alstom, également lauréat des Investissements d’Avenir de l’ADEME, envisage de poser sur 3 flotteurs l’Haliade de 6MW d’Alstom.
  • Le projet d’IDEOL, start-up française, a quant à lui imaginé un nouveau type de flotteur, le « damping pool ». Certes petite en comparaison de géants qui se sont positionnés sur le secteur, cette entreprise a vu son concept renforcé en signant un contrat d’ingénierie pour 2 démonstrateurs avec le leader japonais de l’éolien en mer : Hitachi Zosen.

Ce que l’on peut remarquer, c’est la grande diversité des projets et des technologies. L’éolien flottant en est à ses prémisses, ce qui laisse encore de la place à la créativité.

Quel avenir pour la filière ?

Devant la diversité de projets, se pose la question du potentiel de la filière. Pour y répondre, plusieurs aspects doivent être regardés.

Il y a d’abord la question de la viabilité technico-économique intrinsèque des projets. La très grande diversité des solutions techniques en concurrence est le signe qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes à lever. De nombreux acteurs sont aujourd’hui engagés dans une course contre la montre. Les prochaines années vont au fur et à mesure faire le tri entre tous les projets, et sélectionner ceux qui répondent au mieux aux enjeux de la filière. L’équilibre à trouver n’est pas simple car, en l’absence de retour d’expérience significatif, la question n’est pas seulement technologique : il faut aussi savoir trouver les bons partenaires, réussir à lever les financements, puis prouver la viabilité du projet avant qu’un autre projet concurrent n’y parvienne et s’accapare le marché.

En plus d’être en concurrence entre eux, les projets d’éolien flottant sont en concurrence avec les autres énergies renouvelables, et de manière plus générale avec les autres énergies. Pour pouvoir donner sa chance à la filière et lever certaines barrières à l’entrée, des États se sont lancés dans une politique de soutien financier à la filière.

C’est le cas du Japon, dont les profondeurs des côtes avoisinent facilement 120 m. Si le développement de l’éolien passe forcément par l’éolien flottant, le choix pour le Japon de se tourner vers cette technologie est aussi stratégique : dépendant à 30 % du nucléaire et n’ayant que 3% d’énergies renouvelables dans son mix énergétique en 2011, le pays a du payer le prix de l’importation d’hydrocarbures après la catastrophe de Fukushima. Pour réduire ce risque, l’éolien flottant a donc été l’une des solutions envisagées. La filière bénéficie aujourd’hui d’une politique d’encouragement de l’État qui s’est fixé pour objectif d’ici 2030 d’installer 25 GW au large de ses côtes.

La France est également engagée dans un politique volontariste de développement de l’éolien flottant. Le Grenelle de la mer s’était fixé comme objectif 6 GW d’ici 2020. La France, pays côtier, bénéficie d’une position avantageuse pour exploiter l’éolien en mer, notamment avec des zones à très forts potentiels situées au Nord-Ouest et dans le Golf du Lion. France Energie Eolienne évalue ainsi le potentiel technique autour de 120 GW. Au-delà de ce chiffre, c’est surtout la question de savoir si ce potentiel sera un jour exploité. L’AMI prévu prochainement permettra de donner un cadre stable au sein duquel les lauréats pourront lever les principales inconnues et renforcer la crédibilité de leur projet. Cette étape devrait aussi leur permettre de renforcer leur présence sur la scène internationale et leur permettre d’aller conquérir de nouveaux marchés.

A l’heure actuelle, il est encore trop tôt pour savoir si une solution technologique va l’emporter, ou bien si on contraire plusieurs solutions concurrentes vont se développer en parallèle. Cela dépendra du coût des solutions proposées, de la capacité des acteurs à maîtriser de nouvelles technologies, des politiques d’aide au développement de la filière, et de la place que les autres filières leur laisseront dans le mix énergétique. Cependant, le potentiel de cette technologie, qui pourrait lever certains obstacles au développement de l’offshore, semble prometteur. Le résultat de l’AMI pourra être un premier indicateur sur les voies suivies pour le développement de cette filière.

[1] On distingue plusieurs technologies de fondations en concurrences comme les mono-piles, les gravitaires, les Jackets