Afin de respecter l’Accord de Paris et limiter la hausse des températures en dessous de 2°C, l’UE ambitionne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et a décidé en avril 2021 de rehausser son objectif 2030 : une réduction nette d’au moins 55% des émissions de GES par rapport au niveau de 1990 (vs. 40% précédemment).
Le développement des EnR est l’un des principaux leviers à sa disposition : afin de remplir ces objectifs, elles devront représenter à minima 38% du mix énergétique en 2030. Cela correspond à une augmentation de 65% par rapport à 2020, un pas de géant pour l’UE à franchir en une décennie.
Dans le même temps, l’UE s’est dotée d’une stratégie pour développer les énergies marines renouvelables (EMR) afin d’en faire le fer de lance de sa transition énergétique. Pourquoi l’UE a-t-elle fait ce choix ? Quelle place tiennent ces énergies dans la transition vers la neutralité carbone visée à 2050 ?
Un panel d’énergies aux avantages multiples
Les Énergies Marines Renouvelables (énergies issues des mers et des littoraux) regroupent 4 principales typologies de production : l’éolien en mer, l’énergie marémotrice ou hydrolienne, la production houlomotrice, et l’énergie thermique des mers. Elles représentent un gisement énergétique qui paraît exceptionnel : d’un point de vue théorique celui-ci est estimé à 2 000 000 TWh/an selon le World Energy Council, soit plus de 10 fois la consommation primaire d’énergie mondiale[1].
Un potentiel exploitable de 435 000 TWh/an, c’est 8 fois la demande d’électricité mondiale en 2050 !
Ce potentiel théorique ne sera jamais atteint, même partiellement, pour des raisons géographiques, économiques et techniques. Il est plus pertinent de se focaliser sur le Potentiel Technique Exploitable (PTE) : il s’agit des ressources dont l’exploitation est viable d’un point de vue technique et économique. Le potentiel mondial est alors estimé à 435 000 TWh/an dans les conditions économiques actuelles avec une répartition faisant la part belle à l’éolien en mer, posé et flottant.
Dans son dernier rapport sur l’économie marine, l’UE se risque à fournir une estimation PTE pour l’hydrolien de 2 800 TWh/an et l’houlomoteur de 50 TWh/an. Le potentiel de l’éolien en mer dépend lui des restrictions qui pourraient être mis en place mais il pourrait atteindre jusqu’à 14 250 TWh/an en Europe, soit 2,4 fois la consommation électrique actuelle du continent.
Il faut dire que la géographie européenne se prête particulièrement à la situation avec 54 000 km de littoral bordant principalement 5 bassins maritimes (océan Atlantique, mer Méditerranée, mer Baltique, mer du Nord et mer Noire) aux potentiels variés selon leurs caractéristiques (profondeur, courants, littoral, température).
Pour ce qui est de l’énergie thermique des mers (ETM), son potentiel est plus limité et localisé car nécessitant des eaux à 20°C. Néanmoins cette solution apparaît comme une piste prometteuse pour désenclaver énergétiquement les territoires ultramarins européens. De plus, elle permet de développer d’autres usages que la seule production d’électricité : production d’eau douce ou de froid renouvelable pour la climatisation notamment.
En plus de leur potentiel théorique exceptionnel, les EMR sont moins assujetties à certaines difficultés rencontrées par les énergies renouvelables terrestres.
Ainsi, alors qu’il est fréquemment reproché l’intermittence des moyens de production d’électricité renouvelable, les EMR disposent de facteurs de charges plus élevés réduisant les besoins d’équilibrages du réseau. Leur implantation devrait également rencontrer moins d’obstacles en termes d’acceptabilité (certains champs éoliens sont distants de plus de 100 km des côtes réduisant largement la pollution visuelle).
Dès lors, les EMR apparaissent comme une solution prometteuse pour décarboner l’électricité européenne.
Si les projets d’EMR se multiplient, leur complexité en font des chantiers au long cours
A l’heure actuelle cependant, seul l’éolien posé est en phase de déploiement industriel avec 12 GW de puissance installée dans l’UE. Si les projets se multiplient, leur complexité en font des chantiers à long cours : le 1er parc français devrait entrer en service en 2022 au large de Saint Nazaire, 10 ans après les résultats du premier appel d’offre réalisé en France. Les autres technologies sont encore en phase de R&D ou de pilote avec pour chacune d’elles plusieurs pistes étudiées en parallèle.
Les EMR sont donc pour l’instant avant tout des énergies d’avenir, et l’Union Européenne acte de fait cette posture dans sa nouvelle ambition pour les Energies Marines Renouvelables présentée en novembre 2020, définissant les objectifs de développement à horizon 2030 et 2050 :
- 60 GW de puissance installée pour l’éolien en mer et 1 GW pour les énergies océaniques (houlomoteur, hydrolien, marémoteur et ETM) en 2030.
- 300 GW et 40 GW pour ces mêmes énergies en 2050.
800 Mds € pour atteindre les objectifs EMR de l’UE, dont 2/3 consacrés aux infrastructures connexes
Les EMR ne seront pas le game changer pour l’échéance de 2030, quand en comparaison il devrait y avoir 370 GW de puissance photovoltaïque installée à la même date. C’est ensuite que leur plein potentiel sera mis à contribution au prix d’investissements colossaux : au total, l’UE estime que 800 milliards d’euros seront nécessaires atteindre ses objectifs en matière d’EMR, dont les deux tiers consacrés aux infrastructures connexes. C’est le prix que l’UE est prête à payer pour se garantir une place de choix dans l’économie décarbonée du futur.
Une opportunité pour l’UE de faire rimer énergies renouvelables et développement économique
Du fait de son potentiel maritime et de ses préoccupations énergétiques et environnementales, l’Europe a pris les devants en matière de développement des EMR. Cela se traduit tant au niveau de l’innovation que de la capacité installée dans les eaux européennes.
Ce leadership a permis à l’UE de s’imposer sur le marché mondial des EMR et notamment de l’éolien en mer qui sert de locomotive au secteur (la balance commerciale européenne est excédentaire et en croissance). Un marché qui devrait connaître un boom exceptionnel sur les prochaines décennies. Maintenir une position dominante pour l’UE est donc une priorité afin de ne pas reproduire les erreurs faites dans le solaire photovoltaïque où l’Europe pionnière s’est fait dépasser progressivement : en 2015, la Chine fabriquait déjà près de 70% des panneaux photovoltaïques au monde.
Cela est d’autant plus important que les EMR ont un fort pouvoir d’entrainement économique non seulement pour les littoraux mais également l’intérieur des terres.
Ainsi, alors que 93% des éoliennes offshore européennes ont été fabriquées au sein de l’UE, les composants nécessaires arrivent de République Tchèque, d’Autriche ou des régions intérieures de France, Pologne, Espagne ou encore Allemagne. S’agissant de productions à forte valeur ajoutée avec un haut niveau de compétences requis, les risques de délocalisation sont réduits.
Plus largement le développement des EMR est source de synergies au sein de l’économie européenne. Leur implantation et leur maintien en service nécessitent tout un écosystème de services portuaires et énergétiques (opérateurs marins, génies maritime, opérateurs réseaux) qui pourraient notamment profiter aux grands ports européens. Ces segments sont également une opportunité de transformation pour les entreprises pétrolières et parapétrolières européennes, à l’image du pionnier Ørsted, ancien producteur danois de charbon et pétrole devenu l’un des leaders mondiaux de l’éolien offshore.
Enfin, des synergies sont envisageables à court et moyen terme pour la production d’hydrogène vert par électrolyse en haute mer grâce à de l’électricité renouvelable. Celle-ci présenterait en effet des avantages en matière de stockage et transport par rapport à une production terrestre tout en pouvant être déployées à grande échelle en profitant de ressources (eau et électricité) à un coût compétitif. La réutilisation des plateformes offshore pourrait à cette fin pourrait d’ailleurs être envisagée.
Énergies au potentiel séduisant, les énergies marines renouvelables demeurent en phase de développement et leur rôle pour tenir les ambitions climatiques de l’UE ne sera pas déterminant à l’horizon 2030. Néanmoins, en se dotant d’une stratégie dédiée, l’UE veut poser les bases nécessaires au développement d’un secteur qui sera décisif tant pour atteindre la neutralité climatique en 2050 que pour soutenir une économie européenne en quête de relais de croissance, et préparer déjà le monde d’« après-demain ».
[1] BP Statistical Review of World Energy, 162 000 TWh/an