Annoncée le 14 juin, la victoire du consortium EDF Renouvelable, Innogy et Blaurack au 3e appel d’offres éolien en mer a beaucoup fait parler. Deux points ont particulièrement retenu l’attention : tout d’abord, le prix proposé par le lauréat, largement inférieur à celui des deux précédents appels d’offres de 2011 et 2013.
Ensuite, la décision de révéler le prix exact de l’offre gagnante, chose jusqu’alors inédite. Il faut dire qu’avec 44 €/MWh, le prix atteint est un vrai contre-pied aux critiques les plus vives qui dénoncent « les coûts exorbitants » de la filière. Tous les pronostics ont été déjoués, à tel point que le Gouvernement a très vite revu sa copie en annonçant dans la foulée une hausse des objectifs de l’éolien offshore dans la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, passant de 0,7 à 1 GW par an jusqu’en 2028, comme le souhaitait initialement la filière.
Comment expliquer un tel écart de prix ?
Avec un prix 4 fois inférieur aux deux précédents appels d’offres, l’offre d’EDF a alimenté beaucoup de débats. Même au niveau européen, rares sont les parcs éoliens qui sont descendus en-dessous des 50 €/MWh. Avec 44 €/MWh, Dunkerque sort nettement du lot.
Avant d’aller plus loin dans les comparaisons des prix, il faut tout d’abord rappeler qu’il n’existe pas de prix de référence absolu dans l’éolien en mer, tant chaque zone présente des spécificités propres : éloignement des côtes, bathymétrie, potentiel éolien, contraintes géophysiques… D’un parc à l’autre, ces facteurs peuvent beaucoup varier et in fine influencer le prix.
A cela s’ajoute que l’éolien marin est très concentré en mer du Nord (Danemark, Royaume-Uni, Allemagne…). Cela veut dire que les parcs de cette zone bénéficient d’une infrastructure portuaire déjà tournée vers l’offshore, avec des équipements adaptés et disponibles pour transporter, lever et maintenir les éoliennes aux dimensions hors normes. Ce sont donc autant d’éléments qui sont déjà intégrés dans les réponses des candidats aux appels d’offres, et qui tendent à faire baisser les prix par rapport à d’autres zones moins bien équipées.
Dans le cas de la France, d’autres éléments permettent de comprendre l’écart de prix entre les appels d’offres de 2011 et 2013 et celui de Dunkerque. Il faut d’abord noter que les prix des premiers appels d’offres ont été renégociés depuis, passant de 200 à environ 150 €/MWh, au détail près que les coûts de raccordement, qui peuvent représenter 10% environ des coûts totaux, ont été transférés à RTE.
Ensuite, il faut rappeler que les premiers appels d’offres ne visaient pas forcément l’atteinte de l’optimum technico-économique. La France, bien qu’ayant un potentiel éolien important (et la deuxième plus grande longueur côtière en Europe derrière le Danemark), n’avait pas de parc éolien en mer au début des années 2010, contrairement à ses voisins du Nord, déjà tous lancés dans la course. Il fallait donc un geste politique fort pour rattraper le retard et mailler le territoire avec les compétences et les équipements nécessaires.
Le lancement des appels d’offres s’est fait alors qu’il restait encore beaucoup d’incertitudes sur les projets et que les études techniques, économiques et environnementales étaient partielles. La filière était inexistante en France et les offres des candidats tenaient beaucoup sur des promesses. En 2013, le groupement formé autour d’ENGIE s’était par exemple associé avec AREVA pour proposer une éolienne d’une puissance inédite de 8 MW, mais qui n’existait que sur le papier et qui finalement ne verra pas le jour. Au global, toutes ces incertitudes mises bout à bout ont fait peser des risques sur les projets, et les candidats se sont couverts en intégrant des primes de risques dans leurs offres, faisant mécaniquement monter les prix.
Par ailleurs, comme la CRE le reconnaît dans sa délibération N°2019-124, les premiers appels d’offres avaient incité les candidats à faire des choix industriels locaux pour maximiser leurs points, quitte à proposer une offre avec un prix décorrélé des standards européens. Cet aspect, plus politique qu’économique, avait permis d’amorcer une filière française et de faciliter l’acceptabilité des projets en valorisant la création d’emplois locaux. Mais cette stratégie a très vite montré ses limites : les champions nationaux désignés à l’époque pour construire le générateur, et sensés devenir la vitrine de la France à l’international, ont tous été rachetés par des groupes étrangers depuis[1]. Cela a sûrement amené la CRE à réinterroger ses critères et proposer pour Dunkerque des critères plus proches d’une logique économique et budgétaire.
Cette stratégie plus libérale s’est d’ailleurs accompagnée pour la première fois d’une phase de discours concurrentiel. Tirant la conclusion que le peu de temps laissé aux candidats pour construire leurs réponses lors des premiers appels d’offres n’avait pas favorisé la concurrence et laissé trop d’incertitudes dans les réponses, faisant alors monter les prix, la CRE a changé de méthode : l’Etat a tout d’abord pris à sa charge quelques études de levée de risques (vent, environnement, bathymétrie) puis un dialogue concurrentiel s’est instauré avec les candidats pour qu’ils puissent affiner leurs offres, mieux sécuriser leurs projets et recevoir in fine un cahier des charges optimisé pour la zone.
Dunkerque marque-t-il un tournant vers le décollage de la filière en France ?
Si l’Hexagone monte sur le podium dans la catégorie “coût du projet éolien”, il reste la lanterne rouge pour le nombre de parcs éoliens déjà installés, avec seulement deux prototypes flottants mis en service depuis l’année dernière[2]. La France reste loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui ont déjà connecté respectivement 8,2 et 6,4 MW au réseau à fin 2018, soit 70% de l’éolien offshore européen. Ces pays ont eu des stratégies différentes, poussés par un besoin plus immédiat pour décarboner leur électricité : pour les pays côtiers, connecter de grandes puissances renouvelables au réseau est un levier significatif pour prendre le relai des énergies fossiles en perte de vitesse. Au Royaume-Uni, une annonce historique en mai a révélé que pour la première fois depuis 1882, la production d’électricité n’avait pas utilisé de charbon pendant une semaine pleine.
Great Britain has now officially gone a full week without coal!!!
This is the first time since the original coal power station launched back in 1882 #zerocoal
— National Grid ESO (@ng_eso) May 8, 2019
En France, avec une énergie déjà très peu carbonée, l’éolien marin a peut-être plus de mal à se faire une place. Mais si le pays n’a toujours pas vu pousser d’éolienne sur son littoral, la raison est peut-être à chercher ailleurs. Depuis les résultats des appels d’offres de 2011 et 2013, c’est un vrai parcours du combattant auquel sont confrontés les lauréats pour obtenir toutes les autorisations. Les résultats ont fait l’objet de recours en justice et les différentes autorisations ont systématiquement été attaquées par des associations de riverains. Les tribunaux ont mis jusqu’à deux ans pour traiter chaque affaire, et la plupart des décisions ont été suivi de recours en appel, voire ensuite de pourvois en cassation.
Dans ce contexte, l’engagement du Premier ministre de mettre en service d’ici 2022 le premier parc éolien en mer au large de Saint-Nazaire n’est pas anodin. Il répond en réalité au sentiment de lassitude largement partagé par toute la filière de la complexité pour avoir l’autorisation définitive d’exploiter un parc en mer.
C’est aussi pour cette raison que le permis unique a été créé, afin de simplifier les démarches et permettre un raccourcissement des délais entre la décision d’exploiter et la mise en service. Dans l’idéal, il faudrait que les appels d’offres soient en amont posés sur des bases plus solides, avec des projets purgés de tous recours.
Quoi qu’il en soit, Dunkerque marque peut-être un tournant décisif pour faire réellement décoller la filière et placer la France dans le peloton de tête. La présence de l’ensemble des poids lourds de la filière (Ørsted, E.ON, Vattenfall, Innogy) pour candidater à Dunkerque montre combien la France reste un territoire attractif. Avec un potentiel évalué à 200 GW[3] et un signal très positif envoyé par la PPE, l’éolien au large des côtes françaises a le vent en poupe et nourrit clairement les appétits de tous les grands du secteur. Fort des retours d’expérience des premiers d’appels d’offres et du succès rencontré à Dunkerque, l’éolien marin semble plus que jamais prêt à prendre son envol.
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[1] Général Electric pour Alstom et par Adwen pour AREVA
[2] Floatgen (2MW) et Eolink Prototype (0,2 MW)
[3] D’après France Energie Eolienne