Formule transformatrice héritée de la campagne présidentielle, la « planification énergétique » irrigue désormais le débat public. A l’heure où les mesures à courte échéance sont privilégiées pour passer l’hiver et mobilisent pleinement les acteurs publics et privés, la planification énergétique – qui supposerait une certaine sérénité et de l’anticipation – doit s’effectuer en départ lancé. La préparation de la future Stratégie Française Energie Climat (SFEC), un ensemble structurant de feuilles de routes énergétiques de la France, est en cours de préparation alors même que des mesures d’accélération intègrent l’agenda politique pour surmonter la crise actuelle. La gouvernance de la transition énergétique doit ainsi se structurer et parvenir à mettre en cohérence des objectifs réactualisés – français et européens – avec des décisions actées (inscrites dans la PPE, la SNBC, etc.) et des mesures d’accélération.
La planification est loin d’être une modalité d’intervention de la puissance publique inconnue de l’histoire française. Au contraire, l’après-guerre a initié une politique nationale de planification « à la française », guidée par une instance phare, le commissariat général au Plan, chargée de la réalisation de travaux de modernisation des différents secteurs d’activités stratégiques. La planification rimait alors avec la hiérarchisation des investissements pour doter l’économie nationale des infrastructures nécessaires et ainsi booster les secteurs jugés prioritaires (énergie, transport, industrie, etc.).
La résurrection de la « planification » coïncide aujourd’hui avec la volonté d’accélérer sur les questions environnementales et énergétiques et vise à renforcer la souveraineté nationale sur des secteurs critiques (alimentation, pharmaceutique, énergie, etc.). Alors que la planification s’invite à l’agenda politique, son incarnation par une instance unique (autrefois le « Plan ») a laissé place à un écosystème d’acteurs plus ou moins récents. Ce système de gouvernance doit impérativement parvenir à se structurer afin de mener efficacement son principal chantier d’envergure : la préparation de la future SFEC.
Comment la gouvernance de la « planification énergétique » se structure-t-elle pour accélérer et répondre à la situation énergétique actuelle tout en engageant la transformation profonde de l’économie imposée par les objectifs de neutralité climatique ?
La question n’a pas échappé à l’œil du Haut Conseil pour le Climat (HCC) qui met en garde contre la potentielle incohérence de politiques adoptées depuis l’été et des mesures de transition de plus long terme : « Certaines mesures d’urgence adoptées en réponse à la hausse des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine, si elles étaient maintenues et non remplacées par des politiques plus ciblées, pourraient avoir des conséquences structurelles négatives sur la trajectoire d’émissions à long terme et nuire à l’atteinte des objectifs climatiques. »
Constituer, sur la base de mesures d’urgence, les premiers jalons d’une stratégie de long terme
Bouleversée par la crise géopolitique, la planification énergétique doit désormais répondre durablement aux enjeux énergétiques tout en intégrant les effets des mesures prises pour surmonter la situation critique actuelle.
Des projets de loi de simplification pour accélérer
Déterminé à rattraper le retard dans le développement des énergies renouvelables (qui ne représentent que 19,3% de la consommation énergétique en 2021 contre un objectif fixé à 23,7%) et à respecter l’objectif européen de 40% voire 45% d’EnR en 2030 défini dans « Fit for 55 », le gouvernement a proposé au Parlement des mesures d’urgence « temporaires, fortes et systémiques » pour accélérer le développement des projets d’énergies renouvelables. Ce projet de loi d’accélération doit simplifier les procédures administratives des projets et accélérer les recours. Il marque une reconnaissance tacite du rôle des énergies renouvelables face aux crises énergétique et climatique.
Dans le sillage de ce texte, le gouvernement s’est attelé à la préparation d’une loi d’accélération du nucléaire civil. Encore en phase de gestation, le texte devra, selon la Ministre de l’énergie, faire l’objet d’une concertation avec les associations de défense de l’environnement, les entreprises et les élus. Il prolonge les annonces du président et pourrait annoncer une révision du plafonnement à 63,2 GW de la capacité installée du nucléaire inscrit actuellement dans la PPE.
Complétant des mesures de sécurité énergétique pour la protection du pouvoir d’achat (août 2022), ces deux projets de texte sont des réponses concrètes pour permettre l’accélération des filières et alléger les procédures. Prises en tant que mesures d’urgence, elles trouvent leur justification dans l’atteinte d’objectifs de long terme, aussi bien dans l’augmentation de la production d’énergie de sources renouvelables que dans l’atteinte des objectifs de transition.
Une tisane, un pull et… un plan de sobriété pour passer l’hiver
Anticipant les difficultés du passage de l’hiver, le gouvernement a mis en place, avec les gestionnaires de réseaux, des mesures pour anticiper les contraintes sur les réseaux et des mécanismes de limitation de la consommation d’énergie. E. Borne et A. Pannier-Runacher ont présenté le 6 octobre dernier un plan général de sobriété énergétique. Cet ensemble de mesures doit réduire les consommations d’énergie de 10 % d’ici deux ans, par rapport à 2019. Il fait office de premier pas vers l’objectif européen de réduction de la dépendance aux énergies fossiles et de réduction de la consommation d’énergie de 40 % d’ici 2050.
La planification énergétique, un « work in progress »
A l’heure de la libéralisation du marché de l’énergie et de la décentralisation de l’action publique, la planification énergétique s’écarte d’un modèle de concentration des prérogatives autour d’une instance unique. Désormais transverse, la question énergétique fait au contraire partie intégrante du portefeuille de différentes instances, faisant émerger l’enjeu de mise en cohérence de sa gouvernance.
La nouvelle organisation ministérielle est la première illustration du positionnement au sommet de l’État de la planification écologique. Elle se concrétise d’abord par l’inscription explicite de la planification écologique dans le portefeuille de la première ministre, elle-même entourée d’une nouvelle structure de coordination gouvernementale : le Secrétariat général à la planification écologique en charge de « coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire ». Ensuite, les sujets de transition écologique, jusque-là incarnés par un Ministère unique (le Ministère de la Transition écologique) sont désormais pilotés par le ministère de la planification énergétique, dédié à la politique énergétique, et par le ministère de la Planification écologique territoriale permettant de la décliner au niveau local. Cette organisation bicéphale s’appuie sur différentes instances, notamment le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) chargé de conseiller les pouvoirs publics et d’évaluer les politiques publiques en particulier sur la question environnementale.
Afin de croiser les expertises en matière de climat, et au regard de l’ampleur de la transition énergétique, le gouvernement a établi le Haut Conseil pour le climat (HCC). Rattaché à la Première ministre, cette instance indépendante dotée de moyens spécifiques est chargée de faire le bilan régulier de la politique climatique de l’État et de sa mise en œuvre concrète et opérationnelle dans tous les secteurs. Dans son rapport annuel, le HCC considère d’ailleurs que la SFEC constitue une opportunité pour instaurer une véritable feuille de route nationale et qu’elle « doit aller plus loin, en devenant un outil de pilotage opérationnel de l’action climatique de la France ».
Dans ce paysage institutionnel, le Parlement prend lui aussi position et s’insère pleinement dans l’exercice de planification. Tel que prévu par la Loi Energie Climat (2019), il sera en effet en première ligne dans la préparation de la première loi de programmation Energie Climat (LPEC), le pilier législatif de la future (SFEC). La loi relative à l’énergie et au climat transfère en effet au pouvoir législatif la responsabilité de déterminer les objectifs et les priorités d’action de la politique énergétique nationale. Le Parlement français devrait voter avant le 1er juillet 2023 la première LPEC qui sera ensuite révisée tous les 5 ans.
Bien que l’heure ne soit pas à élucider si les mesures d’urgence sont la résultante d’une absence d’anticipation et de planification, la gouvernance de l’action climatique se confronte à des calendriers multiples et des échéances croisées. Pour s’en accommoder, les institutions semblent faire le pari que les mesures d’urgence constituent les premières actions concrètes préfigurant le dessin de la future stratégie énergétique de la France (la SFEC) au risque de donner l’image d’une action précipitée. Un ressenti qui ne doit cependant pas se généraliser dans un contexte où l’acceptabilité des mesures intègre pleinement un enjeu de cohésion nationale.