Pour limiter à 2°C le réchauffement de la planète d’ici 2100, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) faisait du captage et stockage du carbone le 3ème levier le plus efficace à la réduction des émissions de CO2 d’origine fossile d’ici 2060, avec une contribution de 14%, derrière l’efficacité énergétique (40%) et le développement des énergies renouvelables (35%) (« scénario de développement durable » (2DS) de 2017).
Mais, dans son dernier rapport, l’AIE souligne que cette technologie (Carbon Capture and Storage – CCS en anglais) a du mal à séduire depuis son lancement dans les années 1990. A peine plus de 23 MtCO2 sont stockées dans le monde chaque année, soit l’équivalent de 5% des émissions de CO2de la France. Entre les problèmes d’acceptabilité sociale, de coût ou de performance, seuls une vingtaine de projets ont vu le jour dans le monde.
Quels sont les défis qui restent à relever pour faire du CCS une solution concrète pour réduire efficacement les émissions de CO2 ?
Une technologie prometteuse au constat en demi-teinte
Des améliorations attendues pour les 3 méthodes de captage
Les techniques de capture et stockage du carbone supposent de capter le CO2 sur des centrales de production d’électricité qui utilisent des énergies fossiles ou sur des sites industriels : sidérurgie, cimenterie, raffinage, chimie, pétrochimie… Le CO2 peut ensuite être transporté et réinjecté dans des réservoirs géologiques hermétiques – par exemple d’anciens champs pétroliers – pour y être stocké définitivement. Dans certains cas, il peut aussi être réutilisé (on parle alors de CCUS).
A date, 3 solutions existent pour capter et stocker le CO2 : la postcombustion, l’oxycombustion et la précombustion. Chacune de ces techniques sont confrontées à des défis techniques, économiques ou sociaux :
- La postcombustion est le procédé le plus usité. Il implique l’extraction du CO2 des fumées de combustion à l’aide de solvants.
- L’oxycombustion résulte d’une combustion en présence d’oxygène, qui a tendance à concentrer le CO2.
- La dernière technique, dite de précombustion, est une technique qui induit une transformation du combustible en gaz de synthèse dont est, dès le départ, soustrait le CO2.
Le CCS doit encore répondre aux défis technico-économiques et aux défis sociaux
Malgré l’engouement pour le CCS au début des années 2010, une grande partie des projets en développement n’a pas éclos. La Commission Européenne hésite d’ailleurs à refinancer le CCS en raison des échecs des débuts des années 2010. Haitze Siemers, haut responsable en charge des nouvelles technologies énergétiques à la Direction Générale de l’Energie de la Commission européenne parle même de « gueule de bois suivant la première vague de projets de capture du carbone entre 2009 et 2011 » où la Commission s’est brûlée les doigts en versant des millions d’euros de financement dans des projets qui n’ont finalement jamais vu le jour.
La raison de cet essoufflement vient en grande partie des défis que le CCS doit relever, en premier lieu technico-économiques : Le coût de la mise en œuvre du CCS sur un site émetteur est estimé à 100-150€/tCO2 captée, transportée et stockée. Le captage représente la majeure partie du coût (environ 60 %) et peut même aller jusqu’à 75 % du coût en fonction des émetteurs. En effet, les grands volumes permettent de réaliser des économies d’échelle nécessaires à la rentabilité des investissements engagés.
De manière plus globale, des efforts de R&D importants doivent donc encore être réalisés pour diminuer le coût du captage. Le transport et le stockage géologique doivent également être optimisés.
Toutefois, même en optimisant les technologies de captage, le CCS restera une technologie coûteuse car il s’adresse à un nombre de sites limité et doit être adapté au cas par cas.
Le second défi concerne lui, l’acceptation sociale du procédé : Par le passé, les projets de stockage géologique ont rencontré une forte opposition de la population locale. En Europe, cela s’est traduit par l’arrêt de l’intégralité des projets CCS onshore à cause d’une forte contestation des habitants proches des sites de stockage géologique. Un des projets phares européens stoppé à cause des contestations locales est celui de Barendrecht aux Pays-Bas : parmi les raisons de refus, les habitants citent que le projet mettrait la ville en danger et entraînerait une chute des prix des logements.
Avec le stockage géologique offshore, la question de l’opposition sociétale se pose nettement moins mais complexifie la mise en œuvre et double ou triple son coût de transport et de stockage.
Des nouveaux leviers de performance pour le CCS
De nouvelles techniques innovantes voient le jour
Développé par l’IFP Énergies Nouvelles (IFPEN), le procédé DMX consiste à utiliser un solvant plus performant limitant la consommation d’énergie. DMX est destiné à capter les émissions d’installations telles que des hauts-fourneaux, des centrales à charbon ou à biomasse, des incinérateurs, des cimenteries… Le gain énergétique ciblé est compris entre 30 et 40 %.[1].
Le procédé DMX va faire l’objet d’un démonstrateur à Dunkerque à partir de la fin 2021 sur un site sidérurgique d’ArcelorMittal (pour une capacité de captage de 0,5 tCO2/h) et devrait ensuite pouvoir être mis sur le marché en 2025. A plus long terme, si cette technologie fait ses preuves, l’idée est de l’utiliser à travers la création de clusters collectant les émissions de CO2 de plusieurs industriels.
Une seconde innovation notable a été pensée par les chercheurs de la Chalmers University of Technology et de l’Université de Stockholm. Cette innovation se présente sous la forme d’une mousse constituée de gélatine, de cellulose et de zéolithe, un minéral reconnu pour sa particularité à absorber le CO2 dans une couche très dense. Ce minéral durable, écologique et réutilisable a par ailleurs l’avantage d’absorber un volume important de dioxyde de carbone à faible coût d’exploitation par rapport aux solutions aminées qui nécessitent une quantité conséquente d’énergie.
Le reformage du gaz, principale source actuelle d’hydrogène, peut être décarboné grâce au CCUS
La production d’électricité et d’hydrogène résulte en une grande quantité de CO2 sous forme de produit dérivé. Le reformage du gaz, principale source actuelle d’hydrogène, peut être décarboné grâce au CCUS. Les installations d’hydrogène représentent d’ailleurs aujourd’hui près de 10% du CO2 capturé dans le monde, quand ce chiffre était nul il y a une décennie.
L’hydrogène est encore aujourd’hui produit à plus de 95% à partir d’énergies fossiles, utilisant 6% de la production mondiale de gaz naturel et 2% de la production mondiale de charbon. L’essentiel de la production d’hydrogène est issu soit du vaporeformage du gaz naturel, soit, dans une moindre mesure, du procédé ATR (Autothermal Reforming), dans les deux cas dans de grandes installations et en émettant beaucoup de CO2.[3]
Pour obtenir de l’hydrogène décarboné, une solution est de recourir au CCUS (captage, stockage et utilisation du carbone), et l’on parle alors d’hydrogène « bleu ». Ce CCUS rajoute un coût de l’ordre de 50 à 200€ par tCO2. Au final, selon diverses études, l’hydrogène produit par SMR (reformage du méthane à la vapeur) avec CCUS revient à environ 2 à 2,5 €/kg en Europe, tandis que le coût du vaporeformage se situe aux alentours de 1,5 €/kg.
Des perspectives de développement contrastées
Un potentiel limité en France
Au regard des contraintes techniques, géologiques et économiques, l’ADEME a identifié en France trois zones industrielles – dont une en cours d’expérimentation à Dunkerque – où le captage et stockage du carbone pourraient être mis en place. Parmi les installations nécessaires, y figurent les canalisations de transport, la concentration de sites industriels et les capacités de stockage géologique.
Sur les 107 MtCO2 émis par les 1 092 sites industriels soumis au marché carbone européen, une première estimation conduit à un gisement pouvant aller jusqu’à 24 MtCO2/an d’émissions, soit 22% des émissions. La captation du carbone se répartirait autour de 41 sites répartis autour de trois zones, à Dunkerque, Le Havre et Lacq. 90 % du carbone capté serait stocké en mer hors du territoire français, notamment en mer du Nord (Dunkerque et le Havre-Rouen). Ce gisement sera cependant réduit lorsque d’autres actions de réduction d’émissions de CO2 (efficacité énergétique, électrification des procédés ou développement des énergies renouvelables) seront mises en place sur ces sites industriels.
Une Europe à double sens
Alors que l’Europe a diminué ses émissions de CO2 de plus de 20% en 30 ans, nous observons que l’Europe reste à double sens entre une Europe de l’Ouest et du Nord qui poursuit ses efforts de réduction d’émissions de CO2 et celle de l’Est qui, elle, voit ses émissions augmenter.
Cette tendance se confirme lorsqu’on cartographie les installations de captage et stockage de CO2. Les zones de captage sont en grand majorité concentrées autour de la Mer du Nord, Baltique et de la Manche. Les nouveaux projets gagnent également les pays du sud comme l’Italie, la Croatie ou encore l’Espagne.
En Norvège ou au Royaume-Uni, le CCS est même devenu une priorité nationale :
- Le gouvernement norvégien a indiqué vouloir investir 1,6 milliard d’euros dans le captage et stockage de carbone, pour financer prioritairement la réalisation de projets de captage et stockage de CO2 de 3 usines. Un des projets phares récemment approuvé par le gouvernement norvégien est le financement de Northern Lights, porté par la compagnie nationale Equinor, Shell et Total. Un million et demi de tonnes de CO2 seront stockées sous la mer du Nord, au large de la Norvège, tous les ans à partir de 2024. [4]
- Au Royaume-Uni, le gouvernement de Boris Johnson a mis au point un plan « pour une révolution industrielle verte » en dix points, qui inclut l’objectif de devenir leader du CCUS. Alors que la Norvège est pionnière dans le stockage sous-marin, le Royaume-Uni veut être à l’avant-garde dans les technologies de captage et d’utilisation du CO2. Un milliard de livres sera investi avec un premier soutien de 200 M£ pour créer deux clusters industriels de captage du carbone d’ici le milieu des années 2020, et deux autres clusters devraient être créés d’ici 2030 dans les grandes régions industrielles du pays. 11 projets sont en cours de développement au Royaume-Uni, soit 3 de plus qu’aux Pays Bas, le second pays européen.
D’abord vue comme une technologie très prometteuse dans les années 1990 et 2000, le captage et stockage du CO2 ne parvient pas encore à être une solution opérationnelle à grande échelle. Les projets à l’étude sont freinés face aux défis technico-financiers de la solution et seule une infime partie du CO2 est stockée chaque année dans le monde (moins de 1 pour 1 000). A l’heure actuelle, le captage et stockage du CO2 apparaît ainsi comme une solution peu signifiante face aux enjeux du climat. Pour autant, des signaux positifs font surface depuis quelques années : accélération des projets à l’étude, construction de nouveaux projets de grande envergure (ex. Northern Lights en Norvège), politiques gouvernementales favorables, et émergence de techniques innovantes, le CCS espère se redonner un nouveau départ.
[1] https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/innovation-et-industrie/nos-expertises/climat-environnement-et-economie-circulaire/captage-stockage-et-utilisation-du-co2/nos-solutions
[2] https://www.industrie-techno.com/article/dossier-co2-ces-pieges-a-carbone-que-developpe-l-ifpen.59261
[3] https://cordis.europa.eu/article/id/87153-capturing-co2-from-hydrogen-production/fr
[4] https://cordis.europa.eu/article/id/87153-capturing-co2-from-hydrogen-production/fr