Dans la continuité de l’Accord de Paris, l’Union Européenne se veut aujourd’hui à la pointe du combat contre les dérèglements climatiques. En témoigne le Clean Energy Package (actuellement à l’étude au Parlement européen), qui vise à verdir les mix énergétiques des Etats membres. Nous avions montré que le gaz pouvait être l’un des vecteurs de la décarbonation de ces mix, a fortiori parce que le gaz d’origine renouvelable, produit par méthanisation, était amené à se substituer progressivement au gaz naturel. Alors que certains pays (au premier rang desquels l’Allemagne) présentent aujourd’hui des filières matures de méthanisation, l’essor du biogaz (et du biométhane, lorsque le biogaz est épuré) tarde à se concrétiser dans une grande partie de l’Union Européenne.

Où en est-on aujourd’hui ?

Si la filière méthanisation connaît un développement à plusieurs vitesses en Europe, un modèle s’est néanmoins affirmé depuis une décennie avec un type d’installation et un mode de valorisation qui prédominent pour le moment :

  • Les installations agricoles (à la ferme ou centralisées) constituent le modèle le plus répandu d’unités de méthanisation (la matière potentiellement méthanisable se trouve généralement à proximité de ces installations agricoles), même si ces dernières, souvent plus petites que les stations d’épuration (STEP) ou les unités industrielles, ont des capacités de production moindres.
  • Le biogaz est par ailleurs principalement valorisé sous forme d’électricité et/ou de chaleur. L’injection de biométhane dans le réseau, désormais souvent privilégiée, et la valorisation en tant que carburant se développent rapidement, même si elles restent aujourd’hui encore relativement limitées à l’échelle de l’Europe.

Ce « modèle type » ne doit pas masquer la diversité des filières d’un Etat membre à l’autre. Trois groupes de pays peuvent être distingués selon la production de biogaz par habitant :

  • Les pays à filière développée, au centre géographique de l’Union Européenne, de la Suède à l’Italie. L’Allemagne, dont la filière est de très loin la plus développée d’Europe, constitue le chef de file de ce groupe. Notons que la méthanisation ne progresse plus que très lentement dans ces pays et que les incitations financières sont aujourd’hui largement revues à la baisse… ce qui caractérise les filières ayant atteint un stade de développement avancé.
  • Les pays à filière émergente, dont le meilleur représentant est la France (aux côtés de l’Espagne, la Pologne…), voient leur production nationale de biogaz se développer progressivement. Cette production reste néanmoins marginale au regard du mix énergétique de ces pays (le biogaz représentait en France, en 2015, 0,6% de la production primaire d’énergie renouvelable – la part du renouvelable dans le mix total étant d’environ 15%).
  • Les pays à filière peu développée (Irlande, Portugal, Bulgarie, Roumanie…), où les unités de méthanisation sont (au mieux) au stade expérimental.

Comment expliquer ce développement à plusieurs vitesses ?

Au-delà des disparités liées aux caractéristiques propres à chaque pays (développement de l’agriculture et du potentiel méthanisable associé, accès facilité à d’autres énergies – renouvelables ou non…), deux critères permettent de rendre compte de l’émergence de filières robustes dans certains pays de l’Union Européenne.

  • Un soutien politique avec des mesures accommodantes, simples et pérennes, par exemple des tarifs d’achat élevés sur une durée allant souvent jusqu’à 20 ans (Allemagne), sans condition de valorisation sous forme de chaleur (Italie). En Suède, la méthanisation s’est développée pour un usage carburant du biométhane (détaxation du bioGNV doublée d’une interdiction progressive d’enfouir les déchets organiques). Au Royaume-Uni, les fournisseurs d’énergie ont une obligation de détenir des Renewable Oligations (RO) en proportion de l’électricité vendue. Le nombre de RO a doublé en 2009, ce qui a permis à la filière de décoller. Un critère déterminant est la pérennité des incitations mises en place, qui garantit un haut degré de visibilité pour les porteurs de projets.
  • Les pays les plus avancés se sont par ailleurs largement appuyés sur la valorisation de cultures énergétiques, en dépit des problématiques posées en termes de concurrence d’usages des sols. En Allemagne, où les cultures énergétiques représentent près de la moitié des intrants de la filière, un bonus était, jusqu’en 2012, versé aux producteurs utilisant ces cultures. En République Tchèque (jusqu’en 2012) ou en Italie (jusqu’en 2013), aucune limitation n’était portée à de tels usages. A titre de comparaison, la filière française s’appuie sur la valorisation de déchets et de sous-produits (agricoles, industriels ou municipaux), ce qui conduit à une très grande diversité d’intrants. Les procédés de méthanisation en digesteurs sont donc nombreux, ce qui complexifie l’industrialisation du processus de méthanisation et dégrade son bilan économique.

Le développement de filières fonctionne par ailleurs tel un cercle vertueux. Les producteurs des pays les plus avancés bénéficient aujourd’hui de garanties financières solides et s’appuient sur des procédés industriels éprouvés ainsi que sur une main-d’œuvre bien formée et expérimentée.

Pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés (1 000 installations agricoles d’ici 2020, 10% de gaz renouvelable d’ici 2030…), la France doit pouvoir s’inspirer des expériences à l’étranger, dans un cadre de développement qui lui est propre (part importante des déchets agricoles parmi les intrants, choix d’un recours limité aux cultures énergétiques…). Afin de contribuer à la réflexion, Atlante livrera, dans une publication à paraître d’ici la fin de l’année 2017, sa grille de lecture de la situation actuelle et identifiera certains leviers qui pourraient être actionnés pour que la filière française de méthanisation contribue à sa juste part à la transition énergétique.