Le secteur du résidentiel et tertiaire représente 45% de la consommation en énergie et 27% des émissions de gaz à effet de serre. Il est le secteur le plus énergivore, devant les transports, l’agriculture et l’industrie et constitue de ce fait un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique.
A ce constat écologique s’ajoute un constat social : 7 millions de logements sont des passoires énergétiques et 3,8 millions de ménages ont des difficultés à payer leur facture ou se privent de chauffage. La rénovation énergétique des bâtiments était donc affichée comme un objectif primordial des gouvernements depuis 2010 et jusqu’à la crise en cours.
Après une chute de 15% à 20% du chiffre d’affaires dans le BTP attendue en 2020 d’après la FFB il sera l’heure de la reprise d’activité. Ces fondamentaux seront alors les mêmes. Un plan Marshall axé sur la rénovation énergétique des bâtiments pourrait participer au soutien du secteur du bâtiment, en concentrant les efforts sur des enjeux sociaux, énergétiques et climatiques tout en évitant de participer à l’artificialisation des sols.
Des plans de rénovation énergétique successifs qui ne permettent pas d’atteindre les objectifs
Depuis les Grenelles 1 et 2 (2009 et 2010), la France s’est engagée dans la rénovation énergétique massive des bâtiments et 500 000 logements sont censés être rénovés chaque année depuis 2014.
Or, dans les faits la France est bien en deçà. Sans pouvoir être chiffrée précisément faute de pilotage global, l’Observatoire du Climat montre une sous-réalisation de presque 17% de rénovation par le Programme « Habiter Mieux » de l’Anah et un dépassement de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments par rapport aux objectifs fixés en 2018.
En dépit de nombreux plans d’actions annoncés, aucun gouvernement n’a réussi à tenir l’engagement de rénovation de 500 000 logements par an et le pays prend chaque année du retard. Beaucoup espéraient le Grand Débat comme l’allumette pour enfin engager des travaux d’envergure dans la rénovation énergétique des bâtiments. Faux espoir…
Quels freins ?
Mais pourquoi l’un des secteurs les plus émetteurs d’émission de gaz à effet de serre en France est également celui qui prend le plus de retard dans l’atteinte de ses objectifs de réduction ?
Les nombreuses études réalisées font ressortir 4 principaux arguments :
- Des citoyens mal informés, perdus parmi des actions complexes, mal articulées et qui manque de lisibilité : le programme Habiter mieux de l’Anah, le chèque énergie, les combles à un euro, la prime à la conversion des chaudières au fioul, les aides à l’installation de double vitrage, auxquelles s’ajoutent de nombreuses aides régionales…
- Un manque d’accompagnement des travaux : une étude de l’Ademe montre que seulement 30% des travaux effectués par les ménages entre 2014 et 2016 ont eu un impact énergétique positif car, faute de suivi, de nombreux travaux, faits petits bouts par petits bouts, se révèlent inefficaces.
- Des moyens insuffisants : malgré les plans d’actions successifs – dont le dernier en 2018 – l’Institute for Climate Economics estime que le budget alloué devrait s’élever à 7 milliards d’euros annuels pour atteindre les objectifs fixés, soit le double du financement actuel.
- Une filière qui peine à se développer par manque de visibilité sur les moyens alloués et sur les évolutions du marché et avec la difficulté latente à recruter du personnel comme nous l’expliquions plus en détail dans notre article du 17 janvier.
Mais outre ces problématiques, la rénovation énergétique des bâtiments peine à décoller en raison de son fonctionnement qui repose uniquement sur l’incitation individuelle et une rentabilité à long terme.
Quelles pistes pour enfin déclencher la rénovation des bâtiments ?
Certaines pistes ont été avancées afin d’engager la France dans la rénovation énergétique des bâtiments. Atlante a sélectionné les solutions qui paraissent aujourd’hui avoir le plus d’avenir sur chacun des leviers primordiaux de l’accompagnement, du financement et de la règlementation :
La création d’un Service public de la performance énergétique, porté par une agence de l’état ou concédé localement à des opérateurs privés
Prévu dans la loi de 2015 mais resté flou jusqu’en 2018, le service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) vise aujourd’hui à accompagner en tant qu’assistance à maîtrise d’ouvrage (conseils techniques, juridiques et financiers) les ménages qui souhaitent s’engager dans un projet de rénovation énergétique de leur logement. Il se décline au niveau régional par la création de plateformes de rénovation énergétique.
Mais ce service n’a qu’une faible portée puisqu’il ne vise que les individus souhaitant déjà réaliser des actions de rénovation énergétique. Une alternative de service public, plus proactive, pourrait cibler les habitats les plus énergivores et prendre en charge les travaux en se remboursant sur l’économie d’énergie réalisée sur vingt ou trente ans, qui seraient adossés sur les logements et non sur les propriétaires. En échange de cette gratuité, aucun propriétaire ou syndic de copropriété ne pourrait s’y opposer. Ce service public pourrait être assumé par une entité étatique ou être concédé à un ou plusieurs opérateurs au niveau local, pour rechercher plus d’efficacité dans l’accompagnement client, la démarche commerciale et l’organisation de la filière.
Une banque du climat européenne
Lors de la campagne des élections européennes, le financement de la lutte contre le changement climatique est devenu incontournable et plusieurs initiatives ont été mises en lumière dont celle du climatologue Jean Jouzel et de l’économiste Pierre Larrouturou qui proposent la création d’une banque du climat européenne, qui financerait la transition écologique dans tous les pays membres. Cette idée a suscité le débat sur le rôle de la BEI et le 14 novembre dernier, elle a annoncé cesser de financer des projets liés aux énergies fossiles, de consacrer 50 % de ses financements à la lutte contre le changement climatique d’ici 2025 et à mobiliser 1 000 milliards d’euros dans ce but d’ici 2030.
Suite à la crise liée au Coronavirus, et dans la continuité du pacte vert adopté par la nouvelle Commission Européenne, cette idée d’une relance orientée vers les enjeux énergétiques, et notamment le bâtiment, paraît encore plus réalisable.
Une alliance du privé et du public pour assurer la puissance financière nécessaire pour relever ces défis et donner de la visibilité l’échelle européenne sur les moyens alloués permettrait de développer la filière et de faire face aux problématiques de compétences.
Des lois plus strictes
Aujourd’hui basée sur une politique volontariste, la rénovation énergétique des bâtiments devra également en passer par des obligations pour réussir enfin à tenir ses engagements. Deux mesures phares sembles pertinentes :
- L’interdiction de mise en location de logement sous un seuil de performance thermique minimum ;
- L’obligation de réalisation de travaux de rénovation lors de la vente d’une passoire thermique par la consignation d’un montant dédié.
Avant la période inédite que nous vivons, il semblait y avoir enfin une vraie volonté des politiques de mettre en place le cadre qui aurait permis de faire décoller la filière : les initiatives locales se multipliaient, la transition énergétique a été un enjeu au cœur des municipales 2020, la convention citoyenne pour le climat venait de finaliser ses 150 mesures pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et le Green Deal européen d’Ursula von der Leyen plaçait la rénovation des bâtiments au cœur de ses préoccupations.
L’urgence de la relance post Coronavirus et l’émulsion d’initiatives à la fois locales et européennes va-t-elle permettre de faire enfin décoller la filière ? Avant cette crise sanitaire, tous les voyants (financement, accompagnement, obligation) semblaient au vert… La période actuelle n’épargne pas la filière du bâtiment et beaucoup d’entreprises sont mises en grande difficulté, une relance ambitieuse de la rénovation énergétique pourrait leur ouvrir un marché énorme et leur offrir des perspectives sur le long terme.