L’organisation d’un système énergétique diffère selon le contexte historique et les caractéristiques géographiques du territoire qu’il dessert. Cette organisation évolue également selon de multiples contraintes endogènes ou exogènes : vieillissement des moyens de production ou des réseaux, innovations technologiques, conditions climatiques, décisions politiques, etc.

Face à ces contraintes, parfois soudaines, des initiatives citoyennes et locales ont émergé dans plusieurs pays visant à participer à la mutation de leur modèle d’approvisionnement en énergie.

Les Etats-Unis, l’Allemagne et le Danemark ont fait ainsi face ces dernières années à des problématiques impliquant une évolution rapide de leur système énergétique. Dans ces trois pays, diverses initiatives se sont développées révélant la volonté croissante des citoyens de prendre part au choix de l’énergie qu’ils produisent et consomment et de valoriser leurs ressources locales.

Aux Etats-Unis, l’agrégation des demandes locales d’énergie satisfaite par des moyens de production de proximité

Les Etats-Unis rencontrent une problématique de vieillissement des infrastructures qui peut s’expliquer par les contraintes techniques inhérentes au vaste territoire américain mais également par la multiplicité des acteurs du secteur de l’énergie et la complexité du cadre régulatoire propre à chaque état. Par conséquent, l’essentiel du réseau de transport américain, construit il y a plus de 40 ans, a connu un déficit d’investissements de maintenance. Face à l’augmentation de la demande d’électricité et la répétition d’évènements climatiques extrêmes, la vétusté du réseau provoque aujourd’hui de multiples pannes de courant [1].

Face à cette situation, généralisée à d’autres infrastructures de réseau, Barack Obama a dédié le mois de novembre 2015 à la sécurité et à la résilience des infrastructures essentielles du pays.

Dans ce cadre, plusieurs états ont récemment autorisé la création d’un nouveau modèle d’approvisionnement énergétique intermédiaire entre la régie municipale, propriétaire et responsable de son réseau de distribution d’électricité, et l’utility. Ce nouveau système, appelé Community Choice Aggregation (CCA), permet aux gouvernements locaux d’agréger les demandes en énergie de leurs résidents, entreprises et comptes municipaux, afin d’obtenir des contrats alternatifs d’approvisionnement en énergie et de développer leurs propres moyens de production d’énergie. Prévu par la loi dans sept états aujourd’hui[2], le CCA est un système qui travaille en partenariat avec l’utilitiy existante de la région qui continue à fournir de l’énergie, entretenir le réseau et proposer des services aux consommateurs. Ce nouveau modèle permet ainsi au gouvernement local de faire le choix de développer des moyens de productions proches des lieux de consommation afin d’avoir un système électrique davantage fiable et réactif, et qui valorise les ressources énergétiques de la région. Il permet également d’obtenir des tarifs moins élevés soumis à de moindres contraintes d’acheminement.

En Allemagne, des initiatives citoyennes au service de l’Energiewende

Ce système énergétique à échelle locale s’est également développé en Allemagne ces toutes dernières années. La volonté du gouvernement d’accélérer l’Energiewende (transition énergétique), marquée par l’arrêt des 8 réacteurs nucléaires les plus anciens suite à l’accident de Fukushima en 2011, a en effet accru la nécessité de développer les actions locales.

Les politiques menées ont ainsi permis à d’importantes initiatives citoyennes de voir le jour et de développer des projets centrés sur les énergies d’origines renouvelables. Près de 50% de la puissance installée d’énergie renouvelable aujourd’hui est issue de projets portés par des particuliers (36%) ou encore des agriculteurs (11%). [3]

Ces actions, conduites par les 754 coopératives de l’énergie que comptabilisait l’Allemagne au 1er janvier 2013, ont été menées à bien notamment grâce au soutien trouvé auprès des quelques 800 régies municipales allemandes (Stadtwerke). Ces régies, qui fournissent plus de 45 % de l’électricité vendue dans le pays et 62 % pour le gaz, sont contrôlées par les municipalités elles-mêmes. En devenant sociétaires de coopératives d’énergie, les Stadtwerke assurent la stabilité des projets en apportant à la fois une compétence technique mais également des facilités financières (garantie financière publique).

De plus la participation des Länder en tant qu’investisseurs publics et acteurs de la transition énergétique a permis de rassembler et d’accroître l’engagement citoyen en faveur de cette mutation énergétique. Certains ont notamment mis en place des réseaux de conseil et de formation auprès des coopératives citoyennes pour amplifier la dynamique.

L’enjeu pour les Länder est également de faire accepter aux citoyens le développement d’importantes infrastructures électriques essentielles pour transporter l’électricité issues d’énergies renouvelables majoritairement produite dans le nord du pays et davantage consommée dans le sud.

Au Danemark, le développement d’une énergie éolienne participative

Le Danemark produit aujourd’hui 39% de son électricité à partir de l’énergie éolienne et a comme objectif d’atteindre les 50% pour 2020 [4].

Le choix par les danois de développer les énergies renouvelables, et en particulier l’éolien, remonte au début des années 70 après le choc pétrolier. Fort d’un tissu rural bien développé, de petites coopératives se sont organisées pour acquérir une ou plusieurs machines. En 1990, 60% des turbines danoises étaient détenues par ces coopératives. Cependant, à partir de 2002, le gouvernement en place met en œuvre le programme de « repowering » qui vise à stimuler les parcs de grande puissance. Des investisseurs importants entrent alors en scène et de nombreuses coopératives disparaissent ainsi que les petites éoliennes individuelles exploitées par des fermiers.

Le Danemark est aujourd’hui leader dans presque tous les secteurs de l’éolien : fabrication, ingénierie, exploitation et maintenance. Les coopératives se sont professionnalisées autour des métiers de l’ensemble de la chaîne de production d’énergie éolienne : coopératives de distribution d’électricité, plateforme de trading permettant de fixer le prix à l’achat avec les producteurs locaux et le prix à la vente avec les fournisseurs d’électricité, etc. Grâce à des technologies de l’information performante, ces structures permettent le maintien d’une production éolienne décentralisée et une gestion des marchés de l’électricité réactive.

Cependant, le développement des parcs de grandes tailles a suscité l’inquiétude de la population et engendré de nombreux conflits ces dernière années. Dans le but de préserver l’adhésion de la population, le cadre réglementaire évolue de nouveau en 2009 en faveur d’une participation citoyenne. Ce nouveau cadre fixe un nouveau modèle de propriété de parc éolien, il stipule notamment que tout développeur privé de projet éolien terrestre doit proposer au moins 20% de son capital à des petits investisseurs locaux (dans un rayon de 4,5 kilomètres autour du site). Au bout d’un mois, si toutes ces parts réservées n’ont pas été souscrites, elles sont proposées aux autorités locales, avant que l’opérateur n’en retrouve la maîtrise en cas de manque d’intérêt.

De plus, un fonds est créé afin d’aider les associations de propriétaires locaux de turbines à financer les études préliminaires sur les projets d’implantation. Face au déclin démographique des régions danoises, les énergies renouvelables, et en particulier l’éolien, sont de nouveau considérées comme un levier de redéploiement économique local et de revitalisation du tissu rural.

Ces initiatives, rencontrées aux Etats-Unis, en Allemagne et au Danemark, révèlent la volonté des citoyens de mieux comprendre et de participer à l’évolution du modèle énergétique de leur pays. Ceci est de bonne augure pour l’appropriation et l’application au niveau local des mesures contre le réchauffement climatique qui sont actuellement discutées dans le cadre de la COP 21.

Pour aller plus loin :

Notes :

[1]  Par comparaison, le réseau américain de transport et distribution d’électricité subit en moyenne 240 minutes de coupure d’électricité par an alors que le réseau français subit près de 62 minutes de coupure par an. (Source : Electricity Reliability, Galvin Electricity Initiative)

[2] Sept états américains ont admis les CCA : la Californie, l’IIllinois, le Massachusetts, le New Jersey, l’Ohio, l’état de New York et le Rhode Island. On comptait près de 1 000 CCA établis en 2014. (Source : CCA by state, LEAN Energy US)

[3] A titre d’exemple, en France, le premier parc éolien financé à 100% par des citoyens a été inauguré à l’été 2014 dans le Morbihan.

[4] La part de l’éolien représentait 3,1% de la production d’électricité en France en 2014.