Nous l’avons vu encore cet été : les épisodes de canicule deviennent de plus en plus courants et le phénomène est accentué en ville. Du fait de leur densité, les centres-villes sont confrontés de plus en plus régulièrement à des phénomènes de chaleur intense, ou « îlots de chaleur urbains[1] ». Dans les bâtiments tertiaires, ces épisodes sont accentués par l’utilisation généralisée de matériel électronique (écrans, ordinateurs, serveurs…) et l’évolution de l’architecture -plutôt contre-productive en période chaude, vers plus de surfaces vitrées et une plus grande isolation face au froid.
Pour répondre à cette situation, on assiste à un développement important de la climatisation pour augmenter le confort dans les bâtiments, la productivité dans le secteur tertiaire et l’attractivité des surfaces commerciales.
Le parc de bâtiments climatisés est encore relativement réduit en France mais il est en constante augmentation, surtout dans le secteur tertiaire où près d’un quart des surfaces est déjà concerné. En 20 ans, elles ont ainsi doublé dans les commerces parisiens[2]. Or, le développement de solutions autonomes de climatisation -qu’elles soient individuelles ou collectives pour l’ensemble d’un bâtiment, pose de nombreux problèmes. Ces solutions augmentent encore la température dans les villes en recrachent un air chaud[3]. Elles s’avèrent par ailleurs particulièrement énergivores au point de représenter l’une des principales sources de consommation d’électricité du bâtiment. L’Agence Internationale de l’Energie a mis en garde contre un « cold crunch» : l’accès généralisé à un air tempéré « aura un impact significatif sur la demande énergétique globale, mettant la pression sur les réseaux électriques et faisant augmenter les émissions (de gaz à effets de serre) locales et mondiales». En France, l’utilisation des climatiseurs représente déjà 6% de la consommation électrique.
Conjugués à des solutions d’isolation et de rénovation énergétique, les réseaux de froid pourraient être une réponse pour maintenir un certain confort dans les bâtiments soumis aux îlots de chaleur tout en optimisant l’impact énergétique et climatique. Leur taux moyen de CO2 en France est, selon le SNCU[4], de 0,011 kg/kWh. Le réseau de froid parisien est même, depuis 2013, alimenté à 100% par de l’électricité renouvelable achetée sur le marché, ce qui permet de réduire de 50% les émissions de CO2 et de 65% la consommation d’eau par rapport aux solutions autonomes de climatisation, selon Climespace, le concessionnaire.
Un système aux nombreuses vertus
Aujourd’hui, les réseaux de froid répondent majoritairement à des usages tertiaires (bureaux, centres commerciaux, hôtels, bâtiments publics…) et, de façon encore très marginale, des immeubles d’habitation. Mais qu’est-ce qu’un réseau de froid ? Beaucoup moins connu que la climatisation autonome, son fonctionnement rappelle celui du réseau de chaleur. Un ensemble d’installations, majoritairement sous-terraines, produit, transporte et distribue du froid vers des bâtiments. L’eau qui vient rafraichir les bâtiments est produite par la centrale de production. Cette eau est ensuite distribuée grâce au réseau de canalisations venant desservir les postes de livraison des bâtiments, le « circuit primaire ». Dans un second temps, les canalisations secondaires des bâtiments, hors concession, viennent rafraîchir les surfaces occupées. L’eau qui a permis d’amener des « frigories » (quantité de froid) au poste de livraison du bâtiment repart vers la centrale de production chargée de calories. Trois installations principales viennent ainsi participer au fonctionnement du réseau de froid :
- Le site de production, qui produit l’énergie frigorifique, rafraîchit l’eau et évacue la chaleur ;
- Le réseau de canalisation d’eau, pour la distribution d’eau jusqu’aux bâtiments ;
- Le point de livraison, ou « sous-station » qui assure le transfert de froid du réseau primaire au réseau secondaire, dans chaque bâtiment.
Le système de climatisation par réseau de froid offre des avantages sur de nombreux plans :
- Performances énergétiques et économiques. Les réseaux permettent de mutualiser la production de froid, en recourant à des machines industrielles à très haut rendement énergétique (1,5 à 3 fois supérieur aux installations autonomes). De plus, leur exploitation est optimisée par rapport à celle de petits groupes froids autonomes dispersés dans les bâtiments : les réseaux de froid sont équipés d’une instrumentation appropriée et d’un système d’acquisition de données permettant un pilotage et un contrôle en continu, les équipes interviennent plus facilement. Par ailleurs, la gestion centralisée permet de rechercher des synergies avec le système électrique : les périodes de production et l’utilisation de moyens de stockage peuvent être pilotées selon les besoins d’effacement ou de soutirage du réseau et les contraintes d’intermittence des EnR. Enfin, la consommation électrique peut être couverte en partie par des EnR, comme la géothermie ou la valorisation de la fraîcheur d’une ressource d’eau située à proximité de la centrale de production. A Paris, 5% des besoins énergétiques du réseau sont assurés grâce à cette ressource : la Seine devient une EnR, c’est le « Free Cooling »
- Environnementaux et sanitaires. L’exploitation centralisée, la contrôlabilité du système et les normes très exigeantes pour les réseaux de froid permettent de mieux maîtriser le risque de fuite de fluides frigorigène, à l’impact climatique catastrophique : le taux de fuite de fluide frigorigène des réseaux de froid est inférieur à 1 % par rapport à des installations autonomes qui peuvent atteindre les 10%. Par ailleurs, contrairement aux systèmes autonomes utilisant de l’air sec, les sites de production des réseaux de froid utilisent de l’eau ou de l’air humide pour évacuer la chaleur, ce qui participe à l’adaptation au changement climatique et à la lutte contre le phénomène d’îlots de chaleur urbaine.
- Encombrement et confort. Les systèmes de climatisation en réseau sont discrets : ils sont invisibles de l’extérieur et silencieux. L’installation dans les bâtiments est limitée à une sous-station, ce qui limite les opérations d’entretien, élimine les fuites de fluides frigorigènes et libère de la place par rapport à une centrale autonome. Enfin, la maintenance et la mise à niveau des parties techniques complexes est externalisée en dehors des bâtiments.
L’ensemble de ces avantages a convaincu les autorités publiques de favoriser le développement de cette solution : la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a ainsi visé le quintuplement des quantités de froid renouvelable et de récupération livrées par les réseaux d’ici 2030 par rapport à 2012.
Paris, 1er réseau urbain de froid en Europe
Cartographie Atlante, à partir de données publiques disponibles sur Climespace et data.gouv.fr
Pour développer ces réseaux, la France pourra capitaliser sur l’expérience parisienne. On le sait peu mais, avec 75 km de canalisation desservant plus de 650 clients soit plus de 6 millions de m2 rafraîchis, la Ville de Paris possède le réseau de froid le plus important d’Europe. Deux choses en sont à l’origine : une erreur humaine et une spécificité française.
La suite dans notre prochain article…
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[1]Le terme d’îlots de chaleur urbain (ICU) décrit la spécificité climatique des villes par rapport aux zones rurales ou péri-urbaines avoisinantes. Les villes de par leur caractère totalement artificiel sont le lieu de phénomènes de surchauffes notables qui peuvent s’avérer problématiques lorsque surviennent des épisodes caniculaires, c’est le caractère « amplificateur » de la ville qui rendra ces épisodes plus difficilement supportables et qui pose des questions sanitaires qui appellent des mesures d’adaptation du territoire.
[2]« Les besoins en froid des bâtiments parisiens », APUR, avril 2019
[3]On estime qu’à Paris ces rejets contribuent à faire augmenter la température entre 0.25 et 2°C d’après le rapport Climat urbain et climatisation publié par le CNRS en 2010
[4]Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation (SNCU)