Le gaz est une ressource naturelle considérée comme une arme géopolitique pour la Russie. Comment la stratégie de la Russie évolue selon le contexte diplomatique ? ou comment la Russie, elle-aussi, bascule vers l’Asie ?

Les chiffres clés du gaz russe

La Russie est le deuxième producteur mondial après les États-Unis que l’exploitation du gaz de schiste a fait passer en tête. Le pays possède 47 000 milliards de m3 sur les 185 000 milliards de m3 de réserves mondiales, en ne tenant compte que des principales régions de production. La production actuelle repose sur trois grands gisements en Sibérie occidentale. Le gisement de Shtokman, situé en mer de Barents découvert en 1988 n’est pas exploité pour l’instant car très onéreux au vu des conditions climatiques extrêmes loin des côtes. 19% du PIB russe de 2 000 milliards de dollars et 50% du budget fédéral reposent sur le secteur de l’énergie.

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Les sanctions liées à la crise ukrainienne et la baisse du cours du pétrole ont fortement impacté la croissance russe, de 0,6% seulement en 2014 contre 1,3% en 2013, avec un risque de récession très fort pour 2015. Gazprom, issue d’un ministère soviétique, est la société qui domine 80% de la production de gaz russe et possède un monopole sur les exportations : premier producteur mondial, son chiffre d’affaires est de 5 250 milliards de roubles en 2013.

Les exportations : du partenariat historique brouillé…

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L’infrastructure historique relie l’ouest de la Sibérie à l’Europe : elle traverse la Russie, la mer Baltique, la Biélorussie et l’Ukraine avant d’arriver sur le territoire de l’UE, qui a un besoin annuel de 500 milliards de m3, importé à 66%. La Russie fournit 44% de ces importations et la Norvège 33%. La France ne dépend qu’à 22% du gaz russe tandis que l’Allemagne, bien que dépendante à 40%, est directement reliée par le gazoduc Nord Stream depuis 2012 et ne souffre donc pas des aléas du transit par l’Ukraine sur lequel se concentrent des tensions géopolitiques entre voisins. A cet égard, la récente annexion de la Crimée a généré des répercussions économiques et diplomatiques à long terme.

Encore plus que l’Europe de l’Ouest, l’Europe centrale et orientale a développé une surdépendance au gaz russe livré via l’Ukraine, au point de susciter une enquête de la Commission européenne en 2012 afin de déterminer si Gazprom fait obstacle à la concurrence sur le marché européen avec des pratiques telles que la restriction de la revente dans huit Etats-membres, le blocage de la concurrence et des prix basés sur ceux du pétrole. A cette enquête a répondu un oukase présidentiel de Vladimir Poutine sur les responsabilités des « entreprises stratégiques » russes. Ces entreprises et leurs filiales étrangères doivent à présent obtenir une autorisation gouvernementale si elles souhaitent fournir des informations sur leur compte, modifier leurs contrats et vendre des actifs situés à l’étranger, empêchant ainsi Gazprom de répondre à la commission d’enquête, qui a été arrêtée en septembre 2014 avant l’ouverture d’une procédure en avril 2015, dans le cadre de laquelle la bataille juridique sera serrée.

En plus de cette bataille juridique se livrent des jeux d’influence au sein des « pays intermédiaires » qui ne font qu’accentuer les crispations. Le projet de gazoduc South Stream, qui devait passer par la mer Noire, a été abandonné fin 2014 du fait du refus de la Bulgarie du passage de cette infrastructure sur son territoire, en réalité sous la pression de l’Union européenne.

… au pivot asiatique, l’alliance des géants.

Dans un contexte de sanctions économiques de l’UE qui s’ajoutent aux sanctions américaines, il semble naturel que l’ours russe se retourne vers l’Asie.

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En 2014, l’accord entre la Russie et la Chine sur la fourniture de gaz naturel a conclu de longues négociations et marqué un virage stratégique dans les relations entre les deux pays. Les termes du contrat, d’un montant total de 400 milliards d’euros, prévoient la livraison annuelle de 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel pour une période de 30 ans à partir de 2018, à des tarifs de livraison très compétitifs via la « route de l’Est ». Pour satisfaire la demande chinoise, l’exploitation du champ Chaya- Dinsk en Yakutie, région du nord est de la Sibérie, a été lancée sous l’impulsion de Poutine. Enfin, début mai 2015, concomitamment à l’invitation du président chinois aux commémorations de la « Grande guerre patriotique », l’accord a été finalisé en grande pompe par des ratifications passant les fourches caudines des institutions russes : Douma, puis Conseil de la fédération de Russie.

Le centre de gravité russe se déplace ainsi vers l’Asie, nouveau marché, dans un contexte crispé de relations avec l’Occident dont la demande ne va pas augmenter à long terme, contrairement à la Chine, premier consommateur mondial d’énergie.