Entre miracle et réalité, les articles et les études se multiplient sur le cas de la transition énergétique allemande. Souvent citée en exemple, elle s’accompagne d’un cortège d’effets inattendus qui grèvent de plus en plus la compétitivité économique du pays et ne présentent pas de bénéfice pour l’environnement, pour l’instant.

Le volontarisme allemand : vers une transition brutale

Tout commence en 2000 avec la loi qui prévoit le raccordement obligatoire des installations produisant de l’électricité renouvelable au réseau, avec un rachat de la production à un prix au-dessus du marché et garanti sur 20 ans. Ces conditions excessivement avantageuses seraient pour autant responsables de forts déséquilibres à moyen terme car les EnR sont en dehors des mécanismes de marché. Les prix du photovoltaïque sont par exemple garantis avec un surcoût par rapport au prix de marché, d’où une distorsion artificielle de la concurrence.

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Puis, le tournant s’opère en août 2011, à la suite de l’accident de Fukushima, les Verts allemands sont devenus assez influents pour provoquer la décision de sortir définitivement du nucléaire dès 2022. En outre, avec la révision de la loi atomique allemande par le Bundestag et par le Bundesrat, les réacteurs les plus anciens ont dû cesser immédiatement leur activité.  Bien que le nucléaire ait toujours été un sujet de méfiance au sein de la société civile et ne représente que 25% du mix énergétique allemand, cette décision a eu des conséquences brutales sur l’économie.

Des objectifs ambitieux

L’Allemagne a mis en place une politique énergétique dotée d’objectifs très ambitieux : les EnR doivent passer de 16% du mix énergétique à 60% en 2050, et la demande d’énergie doit diminuer de 20% en 2020 à 80% en 2050 par rapport au niveau de 1990.

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Une transition énergétique moins verte qu’annoncé
Ce vaste programme présente des inconvénients et des coûts cachés dont l’ampleur a été sous-estimée pour les différentes parties prenantes par les responsables de la politique énergétique allemande.

Les consommateurs

Les surcoûts sont massivement reportés sur les consommateurs via les tarifs de l’électricité. Or les consommateurs insatisfaits sont également des électeurs, et Angela Merkel a été la cible de nombreuses critiques sur sa gestion de la sortie du nucléaire. La hausse de la facture d’électricité provoque également une augmentation de la précarité énergétique dans un pays où le taux de pauvreté atteint 15,2% avec de fortes inégalités entre les Länder. Les ménages allemands payent désormais 27 centimes d’euro le kWh en 2012 dont 5,28 centimes de taxe énergies renouvelables (passée à 6,24 centimes depuis fin 2013), alors que les ménages français ne payent que 14 centimes le kWh.

Les entreprises

Les modalités de cette politique énergétique entravent ainsi la compétitivité des entreprises :

Zoom – Des actions en justice contre l’Etat fédéral allemand

Des actions en justice ont été intentées contre la révision de la loi atomique qui prévoit une sortie du nucléaire dès 2022, et des différends juridiques entre les sociétés et l’Etat allemand ont éclaté au grand jour. Vattenfall a ainsi déposé une demande d’arbitrage international au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), en raison de la décision arbitraire de fermeture des centrales Krümmel et Brunsbüttel et demande une indemnisation de 3,4 milliards d’euros à l’Etat fédéral allemand. Dans ce cadre, des accords d’investissement  internationaux servent de référence, comme le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE). Trois clauses pourraient être citées : la règle sur la protection contre l’expropriation sans indemnisation, l’engagement d’accorder à tout instant un traitement juste et équitable et le respect des obligations qu’une partie contractante a contractées vis-à-vis d’un investisseur. La constitutionnalité de la décision de sortir du nucléaire est même remise en question car E.ON et RWE ont déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle allemande respectivement en novembre 2011 et RWE en février 2012.

la hausse des coûts de l’électricité est très pénalisante pour les petites et moyennes entreprises allemandes, alors que le tissu de PME industrielles allemandes est un moteur pour l’économie. Ainsi, si les prix de gros demeurent très bas, le prix consommateur est très élevé, en raison des tarifs garantis pour les producteurs d’énergies renouvelables. Cette rigidité artificielle du marché nuit à l’ensemble de la structure industrielle en aval. Toutefois, les entreprises les plus électro-intensives sont exemptées de la taxe énergies renouvelables.

Au-delà des TPE et des PME, le plus inquiétant est l’affaiblissement des géants de l’énergie comme comme RWE, E.ON, EnBW  et le suédois Vattenfall, considérés comme des fleurons de l’économie allemande. Le nucléaire, particulièrement rentable jusqu’à la décision hâtive de fermer les réacteurs les plus anciens en août 2011, entraîne dans sa chute les profits de ces entreprises. Les restructurations ont été drastiques, avec par exemple près de 6 000 suppressions de postes pour E.ON en 2012, car le tarissement des sources de profits a été très soudain. Une autre conséquence logique est la baisse des capitalisations boursières de RWE et d’E.ON, cotées au DAX de Francfort.

Le secteur des énergies renouvelables

Les coûts cachés sont multiples : concurrence chinoise dans le secteur de l’énergie solaire avec des panneaux photovoltaïques moins coûteux et non recyclables, énergies renouvelables trop subventionnées et trop grande dispersion des projets. Le secteur des énergies renouvelables commence lui-même à tanguer avec des faillites dans l’éolien. Pour pallier l’intermittence de ces sources d’énergie, les centrales alimentées à la houille et au lignite sont réactivées mais sont très polluantes. De plus, les éoliennes de la mer du Nord doivent encore être raccordées au continent puis au sud de l’Allemagne via des lignes à haute tension qui seront mal accueillies par les populations locales.

L’impact sur l’environnement

Au-delà de ces déboires, il est à noter que les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 2% en 2012, ce qui est bien supérieur au niveau des pays plus nucléarisés. Ce sursaut est dû à l’exploitation des centrales à charbon qui fonctionnent à plein régime afin de préserver tant bien que mal la rentabilité des grands énergéticiens via des exportations et afin de répondre à la demande allemande.

Les perspectives de l’Energiewende

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Sigmar Gabriel, le ministre allemand de l’Energie, a déclaré à l’issue du conseil des ministres du 8 avril qu’une nouvelle loi sur les énergies renouvelables entrera en vigueur en août 2014 pour amener doucement les producteurs d’EnR à vendre leur production au prix du marché à partir de 2017. Cette loi non rétroactive plafonnera les subventions et mettra en place un système d’appels d’offres pour avoir droit à ces dernières. Enfin, les producteurs d’EnR n’auront plus d’accès garanti au marché et devront vendre leur électricité par eux-mêmes alors qu’ils étaient auparavant protégés de ces mécanismes de marché. Cette loi devrait permettre de résorber une grande partie des distorsions de concurrence sur le marché des EnR allemandes. Il subsiste toutefois la question majeure de la rentabilité des centrales fossiles qui doivent fonctionner en permanence à bas régime en réponse à la question de l’intermittence inhérente aux EnR.

Par ailleurs, la foire industrielle d’Hanovre qui vient de s’achever le 12 avril a mis en exergue l’atout à l’export que devient le domaine de l’efficacité énergétique  pour les grands  industriels allemands, comme les fabricants de machines-outils. Le ministère fédéral de l’Economie et de l’Energie promeut cet avantage compétitif via son site vitrine Efficiency for Germany.

En conclusion, malgré les nombreux effets pervers de la transition énergétique allemande subis actuellement par une majorité de parties prenantes, la situation actuelle laisse entrevoir des  perspectives d’exportations florissantes grâce aux premiers effets vertueux. Une autre piste d’amélioration pourrait résider dans la coopération à l’échelle de l’Union européenne, ou dans la coopération bilatérale, tout particulièrement en recherche fondamentale, très onéreuse. 

Zoom – Transition énergétique et coopération franco-allemande

Le budget de l’office franco-allemand pour les énergies renouvelables (800 000€) est trop faible pour avoir un réel impact sur les synergies entre les entreprises et les instituts de recherche. Cependant, ses missions ont été renforcées lors du sommet franco-allemand du 19 février 2014 pour « couvrir notamment l’industrialisation des technologies nécessaires à la transition énergétique » d’après le relevé de décisions du sommet et un rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations et le Kreditanstalt für Wiederaufbau devra également entamer un projet sur « l’accompagnement des investissements privés dans les structures locales ».Le principal thème de la coopération franco-allemande serait le stockage de l’énergie avec le développement des nouvelles technologies afférentes, comme le « power-to-gas », et serait piloté par les industriels. Des projets existent déjà dans le domaine du photovoltaïque afin de faire concurrence aux panneaux solaires chinois : par exemple, le consortium composé du CEA, de l’institut Fraunhofer ISE de Francfort et du Swiss Center for Electronics and Microtechnology a été créé dans une démarche R&D de long terme.