Un exercice de conciliation d’intérêts contradictoires. Peut-on qualifier ainsi la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) présentée le 27 novembre, en pleine crise des gilets jaunes, par le Président de la République devant le nouveau Haut Conseil pour le Climat ?

Cette feuille de route devait concrétiser les engagements ambitieux pris par la France depuis plusieurs années, au niveau européen et national, dans le dernier Paquet Energie-Climat et dans la Loi de Transition énergétique pour une Croissance Verte. Elle fait également suite au débat public, mené de mars à juin dernier, dont la vocation était de collectivement définir les moyens et la méthode qui nous permettraient de suivre la « trajectoire ambitieuse »[1] de la France pour engager sa transition énergétique.

Pour autant, les grands axes présentés cette semaine semblent être davantage une conciliation des intérêts divergents de la filière et des revendications formulées au cours des récentes crispations sociales, que le fruit de ces engagements et des longs mois de débat public.

 width=

L’accent sur la décarbonation de l’énergie maintient le nucléaire au centre du jeu

La PPE réaffirme la volonté de décarbonation de l’énergie tout en conservant une sécurité des approvisionnements et une énergie à bas coût. Aussi, la place du nucléaire est-elle réaffirmée, d’une part via le report à 2035 de l’objectif de 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité, initialement prévu à horizon 2025, et d’autre part, via la porte ouverte à la mise en place de réacteurs nouvelle génération.

Pour parvenir à cette réduction de la part du nucléaire, le Président de la République a annoncé la fermeture de 14 réacteurs à horizon 2035, sur les 58 que compte aujourd’hui le parc français, chiffre qui ne devrait pas évoluer à court terme, l’arrivée de l’EPR de Flamanville devant coïncider avec la fermeture de Fessenheim. Il précise toutefois plusieurs conditions, dont la disponibilité d’énergies alternatives et de capacités de stockage suffisantes. Dans ce cadre, le Premier Ministre est chargé de proposer plusieurs scénarios de fermeture, pour préciser les trajectoires et les modalités.

Parallèlement, consigne a été passée à EDF de dessiner pour 2021 les contours d’un nouveau programme nucléaire avec des coûts de production réduits. L’entreprise développe depuis plusieurs années le nouvel EPR, qui doit être plus compétitif que celui de Flamanville. La décision de poursuivre ou non vers cette nouvelle technologie devrait revenir in fine aux Français.

La PPE anticipe ainsi plutôt une croissance de la production d’électricité dans les prochaines années, ce qui peut laisser deviner en creux une volonté d’augmenter les exportations françaises en Europe. Le Président a d’ailleurs insisté sur la nécessaire coordination européenne en matière de politique énergétique qui implique notamment le renforcement des interconnexions du réseau électrique européen.

Une ambition plutôt timide sur le renouvelable, principalement solaire et éolien terrestre

Les mesures proposées en matière de renouvelable, bien que timides, visent à atteindre les objectifs de développement de ces énergies précédemment définis[2]. Le soutien au développement de ces énergies devrait ainsi augmenter de 5 à 7-8 milliards d’euros par an, conformément à la trajectoire qui avait été définie au cours du précédent quinquennat.

Les deux énergies renouvelables présentant les profils de rentabilité les plus intéressants sont à l’honneur. L’exécutif prévoit en effet de multiplier par cinq la production d’électricité solaire et par trois les capacités de l’éolien terrestre d’ici 2030.

Quant à l’éolien en mer et le gaz vert, les ambitions restent décevantes par rapport aux attentes des acteurs des filières. Le principal motif étant les coûts de ces énergies insuffisamment compétitives. Le premier parc d’éolien en mer sera prochainement mis en service au large de Saint-Nazaire et l’ouverture de quatre nouveaux appels d’offres a été annoncée. La PPE prévoit ainsi d’atteindre pour l’éolien en mer 5,2 GW en 2028, objectif réduit de moitié par rapport aux recommandations de la filière, selon France Energie Eolienne.

De même, les ambitions que portaient les acteurs de la filière gaz sur le biométhane ont été confirmées, avec quelques bémols. L’exécutif a réaffirmé la cible de 10% de gaz vert en 2030 envisagée dans la dernière PPE, tout comme le point de passage de 8 TWh en 2023 ; GRDF porte avec les acteurs de la filière un objectif de 30%. L’obligation d’achat à tarif réglementé a été consolidée, mais un effort très important de compétitivité est évoqué. Les producteurs sont invités à baisser considérablement les coûts de production pour atteindre 67 euros/MWh en 2023, grâce à l’industrialisation des processus et l’augmentation de la production ; cet horizon de prix était plutôt envisagé par la filière d’ici 2030, en cohérence avec la cible des 30%…

Au total, l’Etat prévoit que les énergies renouvelables électriques (éolien, solaire et hydraulique) représenteront 40 % de l’électricité produite d’ici 2030, plus du double de la part actuelle (17 % en 2017). La part des renouvelables dans le mix énergétique atteindrait parallèlement 38 % de la consommation de chaleur, 15 % de celle des carburants et 10 % de la consommation de gaz. La fermeture des centrales à charbon à horizon 2022 a également été confirmée.

 width=
            Source : Ministère de la Transition écologique et solidaire 

Le transport du quotidien “propre” en phase d’accélération

Le Président a annoncé sa volonté de renforcer l’effort public pour le transport du quotidien « propre » à la portée de tous. Le transport reste en effet aujourd’hui une des principales sources d’émission de gaz à effet de serre.

Dans un contexte social tendu, l’exécutif a concédé le principe d’une révision de la taxe sur les carburants à rythme trimestriel en fonction des cours mondiaux d’énergie, afin de limiter l’impact fiscal sur les ménages. Il a également augmenté la portée de la prime à la conversion (avec une « super-prime » pour les ménages à revenus modestes), qu’il souhaite faire profiter à 1 million de bénéficiaires.

Il a également confirmé le projet de « façonner les transports du futur » dessiné la veille par la ministre des transports, Élisabeth Borne, dans le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), qui sera débattu au Parlement début 2019.

Zoom sur la loi LOM

Le projet de loi table en effet sur l’émergence de nouvelles solutions de mobilité (véhicules électriques, au GNV, autonomes, le vélo, la trottinette…) ainsi que des manières innovantes de les utiliser (auto-partage, co-voiturage, multi-modalité…).


Cela se traduit notamment par un « forfait mobilité » pour aller travailler en co-voiturage ou à vélo, ou encore l’obligation de pré-équiper certains parkings de bornes de recharge.

La compétence « Mobilités » est parallèlement étendue à l’ensemble des collectivités territoriales en vue de repenser plus près du terrain l’aménagement du transport dans les territoires. Enfin, la modernisation des infrastructures de transports (routiers et ferroviaires) favorise les lignes du quotidien, longtemps délaissées au profit du TGV.

Que retenir ? Quelles suites ?

Les déclarations d’Emmanuel Macron et du gouvernement inscrivent la politique énergétique de la France dans une approche « pragmatique ». L’objectif semble être de s’inscrire dans la trajectoire fixée précédemment afin de réussir la transition énergétique du territoire, en s’appuyant clairement sur l’électricité, avec une inflexion tangible du positionnement en faveur de l’énergie nucléaire. Les annonces relatives à la performance énergétique restent quant à elles pour le moment principalement théoriques.

En écho aux récentes crispations sociales autour des mesures écologiques du gouvernement, la méthode et le discours évoluent. Celui-ci met l’accent sur le coût de l’énergie et du transport, en écho à la récente contestation de l’impact des réformes de la fiscalité écologique sur les ménages. On dénote également une volonté d’engager davantage les Français dans la transition énergétique. Celle-ci devra en effet concilier enjeux environnementaux, développement de capacités de production françaises et pouvoir d’achat des ménages, pour être acceptée par les citoyens.

Le décret finalisé de la programmation pluriannuelle de l’énergie sera publié à l’été après la consultation de plusieurs autorités compétentes. Entre temps, une grande consultation de trois mois sera orchestrée par le gouvernement sur le sujet plus large de la « transition écologique et solidaire », ouvrant la voie à de possibles nouvelles décisions gouvernementales dans les mois à venir. Le feuilleton PPE est donc loin d’être terminé.

[1] Edito de Nicolas Hulot, Dossier du maitre d’ouvrage du débat public sur la PPE, février 2018

[2] Retrouvez notre article sur les prérequis au développement du renouvelable en France : https://atlante.fr/blog/leleve-france-et-les-energies-renouvelables-beaucoup-de-potentiel-peut-mieux-faire/