Brièvement abordée par le Premier Ministre Edouard Philippe dans son discours aux Assises de l’économie de la mer organisées au Havre, à peine évoquée lors du débat public organisé sur la prochaine PPE, la filière des énergies marines renouvelables semble avoir perdu de sa popularité. Les contraintes technico-économiques et administratives, ainsi que les difficultés d’acceptabilité rencontrées en France par les porteurs de projets maritimes sont venues tempérer l’enthousiasme affiché à la suite du Grenelle de l’environnement.

Pourtant, la France, avec son gigantesque espace maritime, a tous les atouts pour jouer les premiers rôles dans le secteur de « l’énergie bleue ». Dix ans après l’affichage politique, où en est le développement des énergies marines renouvelables en France ?

Energies marines, une filière à haut potentiel

La filière des énergies marines renouvelables, c’est avant tout une diversité de formes d’énergie à exploiter et autant de technologies à développer. Cependant, ces technologies ne sont pas au même niveau de maturité.

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En France, l’énergie marémotrice fait figure de pionnière dans le secteur. Cette technologie fit l’objet d’un programme volontariste qui aboutit à la construction en 1966 de la centrale marémotrice à l’embouchure de la Rance en Bretagne. Mais cette technologie offre des perspectives de développement limitées, par la difficulté de trouver un espace bénéficiant à la fois d’un bassin de retenue d’eau et d’un marnage suffisant.

L’éolien offshore connu un développement commercial plus tardif. Si les pays du Nord de l’Europe, notamment le Danemark, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont démarré des projets industriels dès les années 1990-2000, la France a attendu 2011 pour lancer son premier appel d’offre sur l’éolien offshore. Un retard historique que la France peine à rattraper aujourd’hui. D’autres formes de technologies éoliennes en mer sont actuellement en développement : l’éolien en haute-mer (farshore) – à plus de 30 km des côtes en eaux profondes (60 mètres et plus) – et l’éolien flottant. Selon le pôle de compétitivité France Energie Marine, cette dernière technologie bénéficierait en France d’un potentiel de puissance installée de 50 GW, bien supérieur à l’offshore posé (15 GW). Une technologie très prometteuse, qui donne aujourd’hui de premiers résultats : l’éolienne flottante Floatgen, installée au large du Croisic (Loire-Atlantique) est entrée en production le 18 septembre, devenant ainsi la première éolienne en mer raccordée au large des côtes françaises.

Enfin, l’exploitation des énergies hydrolienne, houlomotrice ou encore de l’énergie thermique des mers en sont encore au stade de démonstrateurs, alors que l’énergie osmotique – bénéficiant d’un unique site expérimental en Norvège – offre peu de visibilité quant à un développement industriel. Une phase de démonstration qui est essentielle pour valider la pertinence des différentes technologies et les marges de progrès en termes de coûts.

Un développement paradoxal en France

La filière des énergies marines renouvelables peine à émerger en France. Les marques de ce décalage par rapport aux pays nord-européens sont nombreuses. Les premiers parcs éoliens en mer posés, décidés en 2012 et 2014, n’ont toujours pas été livrés. Parallèlement, les acteurs attendent le premier appel d’offre commercial sur l’éolien flottant, promis sous le quinquennat précédent et finalement repoussé à 2019. Dernier exemple en date, Naval Energies, qui avait inauguré en juin dernier à Cherbourg la première usine d’hydrolienne au monde, a décidé de la fermer quelques semaines plus tard, mettant fin à ses investissements dans le domaine.

La filière qui s’est structurée en France durant la dernière décennie fait face à plusieurs écueils. Les procédures administratives sont jugées trop longues par les porteurs de projets, soumis à un risque de recours juridiques prolongeant ces délais. Edouard Philippe et le Nicolas Hulot avaient souhaité y répondre en promettant un « travail de simplification radicale des procédures d’instruction ».

La problématique du raccordement a également fait l’objet d’aménagements ces dernières années. La loi Brottes, votée en 2013, offre notamment des dérogations à la loi Littoral et au code de l’urbanisme afin de faciliter l’implantation et le raccordement d’énergies marines renouvelables. La loi hydrocarbure votée en décembre 2017 a été l’occasion pour le gouvernement de faire supporter au gestionnaire de réseau de transport RTE le coût de raccordement des installations EMR. Une décision qui a vocation à faciliter le développement des projets, en les dispensant de la problématique de connexion au réseau électrique.

L’aléa politique est également pointé du doigt par les acteurs des EMR, qui reprochent à l’Etat le manque de visibilité sur les investissements qu’ils doivent engager. Tout d’abord, le système de subventions publiques, intervenant après les phases de développement, est régulièrement dénoncé par l’industrie qui dit porter seule le développement du secteur des EMR. Par ailleurs, la renégociation à la baisse par le gouvernement des contrats conclus dans l’éolien offshore (diminution des tarifs de rachat à hauteur de 15 milliards d’euros sur 20 ans), a conduit les entreprises lauréates à demander des garanties à l’Etat sur le maintien des projets.

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Une politique énergétique à conforter

D’autres pays européens ont montré la voie, démontrant que l’intégration des énergies marines comme une composante clé du mix énergétique est possible. Au Royaume-Uni, la volonté du Gouvernement britannique de restructurer son mix énergétique, avec la fermeture des centrales à charbon à horizon 2025 et de fortes ambitions dans les EMR, a eu un effet-choc : avec les éoliennes offshore les plus puissantes du marché (8 MW), le coût d’achat a ainsi été divisé par deux entre les appels d’offres attribués en 2015 et 2017. Parmi ces derniers, le projet Hornsea 2, plus grand projet éolien offshore au monde, promet d’injecter du courant à 63 €/MWh pendant les 15 premières années d’exploitation, nettement en dessous des 150 €/MWh des parcs éoliens offshore français attribués en 2012 et 2014, et inferieur au tarif garanti de rachat de l’électricité de l’EPR d’Hinkley Point (104 €/MWh).

En France, la clé du problème reste la compétitivité des énergies marines. Dans l’éolien, les PME et TPI peuvent s’appuyer sur leur savoir-faire dans la construction terrestre pour l’étendre au domaine offshore. Avec ces compétences réparties sur l’ensemble de la chaîne de valeur, elles se positionnent et remportent des marchés auprès des principaux donneurs d’ordres de la filière, lesquels multiplient les projets en Mer du Nord en attendant que le marché français ouvre de nouveaux appels projets. Les autres EMR – éolien flottant, énergies hydrolienne et houlomotrice – pâtissent à ce stade d’un prix trop élevé pour permettre un développement commercial ambitieux (entre 200 à 250 €/MWh). L’enjeu des démonstrateurs est donc clé pour amorcer une baisse des coûts de production.

La diversité des technologies pousse les responsables politiques à arbitrer entre elles et définir des priorités à court moyen termes. Malgré une forte réduction de l’aide publique, l’éolien offshore reste donc encouragé en France – avec des ambitions affirmées dans les technologies éoliennes flottantes – à l’inverse des énergies hydrolienne ou houlomotrice qui doivent encore convaincre.

Cette avance de l’éolien en mer posé avait ainsi conduit le gouvernement à faire de son développement une priorité de sa précédente programmation pluriannuelle de l’énergie en 2016 : la puissance totale installée devait atteindre les 3 000 MW en 2023, contre seulement 100 MW pour les autres types d’EMR. Les orientations de la prochaine PPE devront donner une indication plus précise de l’impulsion donnée pour le développement de ces filières.