Après de nombreuses péripéties et avant l’ouverture du service aux parisiens prévue le 5 décembre prochain, Autolib’ est enfin entré en phase de test le 2 octobre dernier lors d’une formidable opération de relations publiques orchestrée par Bolloré et la mairie de Paris.
L’arrivée de ce service confirme une tendance profonde qui anime la mobilité urbaine ces dernières années : l’émergence d’une troisième voie entre transports collectifs et véhicules privés, le transport public individuel.
Au delà de l’effet buzz de Velib’ ou d’Autolib, l’émergence de ce type de consommation dite “à l’usage” est le résultat de la convergence de quatre facteurs : le changement de comportement de certaines catégories de population vis-à-vis de la propriété et de ses contraintes, la servicization de l’économie, l’incapacité des transports publics traditionnels à répondre à tous les besoins avec un coût raisonnable pour la collectivité, et enfin l’émergence de nouvelles technologies.
Le premier facteur est la montée en puissance de l’objet fonctionnel. Le monde de l’automobile, aujourd’hui en pleine crise, pourrait être le secteur où cette mutation serait la plus spectaculaire. Depuis Ford, les constructeurs ont réussi, avec des marques fortes, à ne pas se limiter à vendre un moyen de transport mais un objet statut, associé au plaisir et à la liberté. Cette fonction n’a pas vocation à disparaître mais l’on observe une scission du marché de l’automobile où, tandis que le haut de gamme reste concentré sur des valeurs de plaisir voire de luxe, le moyen et bas de gamme se recentrent sur les fonctionnalités, tirant les produits vers le “low cost”. Contraints par des budgets restreints alors que la hausse des coûts d’utilisation est régulière (décote, entretien, carburant, assurance et parking), les clients du moyen et bas de gamme ne s’attachent alors plus que marginalement aux valeurs véhiculées par la marque pour se concentrer sur les besoins rationnels que sont le prix kilométrique, la fiabilité et la revente. Le dernier observatoire Cetelem de l’Automobile nous apprend par exemple que près du tiers des jeunes Allemands ou Britanniques, s’ils ne peuvent s’offrir une Audi ou une Aston Martin se montrent alors totalement indifférents à la marque de leur voiture. Cette évolution ouvre la voie vers une désacralisation de la propriété de la voiture puisque le prix, la qualité du service rendu et la simplicité deviennent les premiers critères de choix de son moyen de transport.
Parallèlement à l’évolution des attentes, les entreprises occidentales, poussées par la commoditization (ou banalisation) de leurs produits et l’arrivée de la concurrence internationale sur leur marché domestique ont entamé un mouvement de mutation de leur offre du produit vers le service depuis la fin des années 70. Les clients B2B ont été les premiers a y être réceptifs, saisissant l’occasion pour variabiliser leurs coûts et externaliser des activités annexes nécessitant la maîtrise de technologies de plus en plus complexes. Des entreprises orientées produit comme Xerox, IBM ou Michelin se sont engouffrées dans la brèche. Le passage à la vente de services leur permet de construire une relation récurrente avec leurs clients : l’abonnement entretient la fidélité du client et la régularité des revenus du fournisseur. La frontière entre les secteurs manufacturé et de service devient alors poreuse. Les entreprises de services ne pouvaient rester sans réagir et se sont lancés dans la commercialisation d’offres packagées remplaçant l’achat, le financement et la maintenance des produits. Les banques ont proposé la gestion de flotte automobile pour les grandes entreprises, les opérateurs téléphoniques la gestion de parcs informatiques… Les particuliers sont plus difficiles à convaincre car moins sensibles à des arguments rationnels de prix ou de dimensionnement de leur besoin. Cela parait normal d’aller au travail tous les jours seul dans un monospace alors que celui-ci ne transporte la famille que quelques jours par an. Mais les habitudes changent et le marché du produit vendu comme service s’élargit aux particuliers avec des initiatives très visibles comme Velib’ mais aussi à travers des signaux faibles comme la naissance de la consommation collaborative et de la location entre particuliers avec des offres comme Ziloc.
Pour revenir plus particulièrement à la mobilité, les transports publics traditionnels ne peuvent pas adresser tous les besoins. Dépendants d’infrastructures particulièrement couteuses en investissement et en maintenance dans un contexte de crise de liquidité, particulièrement marquée pour les collectivités locales, les trains intercité, metro, tramway ou bus ne peuvent répondre à un coût acceptable aux problématiques des heures creuses, du déplacement en porte à porte pour tous ou des besoins exceptionnels de transport d’objet, ou de déplacement en famille. Les grands investissements se concentre, en région parisienne, prioritairement sur le désenclavement de certains îlots urbains, le développement de nouveaux pôles d’activité ou le transport de banlieue à banlieue. Dans les zones urbaines denses, cela laisse la place à de nouveaux services de mobilité complémentaires voire « cumulables » aux transports en communs actuels dans une logique d’intermodalité, élargissant ainsi le public potentiel des transports en commun. Les opérateurs de mobilité ne vendent déjà plus un simple trajet en bus mais réfléchissent par zone ou par trajet multimodaux. La porte est ouverte pour enrichir cette vente au kilomètre de nouveaux moyens de transports considérés jusqu’ici comme strictement individuels.
Enfin, l’arrivée de nouvelles technologies permet d’imaginer des solutions de mobilité inédites. La généralisation des terminaux mobiles type Iphone facilite la réservation de véhicules et la pratique de l’intermodalité pour les clients. La communication sans fil permet la gestion d’une flotte de véhicules en mouvement et l’optimisation de la capacité de stockage de multiples stations en limitant les travaux de voirie à l’électricité. Les technologies sans contact et les objets communicants ouvrent la porte à l’automatisation des usages (véhicules en libre-service) ou à l’identification des besoins en entretien à distance pour réduire les coûts d’exploitation…
Ces quatre facteurs convergent vers une mutation du transports public, d’une logique de transport de masse à une logique de personnalisation, de consommation à la carte et de mobilité partagée. Son usage ne se fait plus seulement “en commun”, il peut s’envisager de manière individuelle.