Le gouvernement compte mettre en place avant les prochaines échéances électorales un important plan d’investissement dans le domaine des infrastructures offshore afin de développer l’énergie éolienne et de créer une véritable filière en France. Cette dynamique pourra profiter à l’énergie éolienne en général ainsi qu’aux énergies marines. Ce programme vise également à contribuer au respect des engagements du Grenelle de l’Environnement et des objectifs européens de réduction des GES. Comment est organisé cet ambitieux programme ? Comment les acteurs se préparent à y répondre alors que les annonces d’alliance se succèdent depuis quelques mois ?
Un calendrier très serré
Ce plan d’investissement représente plus de 20 milliards d’euros pour une capacité installée de 6000 MW d’ici à 2020, soit environ 1200 éoliennes. Il sera réparti en deux appels d’offre. Le premier, portant sur 3 000 MW sur 5 zones, sera publié avec deux mois de retard la première semaine de juillet. Le retour des dossiers des candidats serait attendu pour la première semaine de janvier 2012 tandis que les lauréats seraient ensuite désignés la première semaine d’avril. Quelques jours avant l’élection présidentielle.
Et le gouvernement ne compte pas s’arrêter là. Il hésite à lancer le second appel d’offres au premier semestre 2012, dans la foulée du premier. Cependant, les acteurs sont sceptiques sur la capacité de l’Etat à précipiter la calendrier alors que la CRE va déjà être largement sollicitée par la bonne organisation du premier et que certains délais de la procédure d’appels d’offres européens restent incompressibles.
Les trois critères majeurs de sélection devraient rester les mêmes : les retombées industrielles pèseraient à hauteur de 40 % dans les critères d’attribution des projets, contre 40 % pour le prix et 20 % pour l’environnement. Sur le fond, la règle du plafond de prix lié au tarif d’achat, prévu dans le cahier des charges ouvert à la consultation, devrait être assouplie à la demande des industriels. Et le gouvernement compte privilégier les turbines de grande puissance afin de limiter l’emprise sur la mer, une technologie encore émergente.
Des compétences multiples qui appellent à des réponses en partenariat
Un tel programme requiert une expérience et des compétences très spécifiques et exigeantes en matière d’ingénierie des infrastructures complexes, de production et distribution énergétique, ainsi que la prise en compte des contraintes environnementales. Aucun acteur ne peut répondre seul à ce type d’appel d’offres. Contrairement à la filière classique de l’électricité en France, héritière d’une histoire monopolistique, ces nouveaux projets éoliens pourraient donner plus de place à des assemblages d’acteurs venant d’horizons différents, à moins que les acteurs historiques de l’énergie en France, EDF et GDF Suez, ne prennent trop de place dans ces partenariats… On observe que la concurrence se polarise déjà autour de deux grands consortiums menés par ces deux groupes.
EDF, ou plus précisément sa filiale EN est à la tête du premier consortium regroupant Alstom et les développeurs Poweo Energies Renouvelables, WPD Offshore et Nass&Wind. Alstom, qui a récemment racheté en 2007 le turbinier Ecotècnia, s’est lancé dans un ambitieux projet de construction d’une éolienne de 6 MW et 150 m de diamètre pour répondre aux exigences du cahier des charges. Il cherche déjà à développer des capacités de production avec une usine sur un grand port français de l’Atlantique ou de la Manche et un équivalent outre manche pour le marché britannique.
Le deuxième consortium s’articule autour de GDF Suez et d’Areva. Les deux groupes français ont scellé un partenariat majeur et exclusif sur trois des cinq zones -Dieppe-Le Tréport, Courseulles-sur-Mer et Fécamp, et s’appuieront également sur Vinci. Ces 3 zones représentent 60% des 3 000 MW, soit un marché d’environ 6 milliards d’euros. GDF Suez a renforcé sa candidature en acquérant le bureau d’étude Maïa EolMer qui travaillait déjà sur l’avant projet de deux des trois zones. Pour le troisième site du Tréport, GDF Suez détenait déjà un avantage important avec sa filiale La Compagnie du Vent, qui développe le projet des Deux-Côtes. L’énergéticien pourra compter sur les arguments très solides du groupe nucléaire public. Celui-ci met en avant son expérience allemande acquit grâce à sa filiale Areva Wind (ex-Multibrid) et son carnet de commandes de 600 MW en Europe avec son éolienne de 5 MW. Il réfléchit à la construction de deux usines en France : l’une sur les nacelles et l’autre sur les pales. Trois ports ont été identifiés pour accueillir ces sites industriels : Dunkerque, Le Havre et Cherbourg. Vinci, un des leaders mondiaux des concessions, de la construction et des grands projets d’infrastructures, apportera quant à lui son savoir-faire dans le montage de financements et pourra mobiliser sa filiale Vinci Concessions et sa branche Contracting (construction et énergies). Sur les deux autres zones hors alliance, chaque entreprise est libre de s’associer avec un autre partenaire. Vinci travaillera par exemple avec Alstom sur un site d’essais d’éoliennes en mer dans la région nantaise, à Fossoy.
La polarisation joue donc à plein : GDF Suez et EDF EN s’affrontent sur le plan énergétique, accompagnés respectivement par Areva et Alstom sur le plan industriel. Sur les projets, la Compagnie du Vent et Maïa EolMer s’opposeront à EDF EN, appuyés par ses trois alliés Poweo, WPD Offshore et Nass&Wind. Dans ce contexte, la concurrence a-t-elle une chance ?
Quelle place pour les acteurs alternatifs et étrangers ?
Ces alliances concentrent désormais fortement la compétition, tout en plaçant de très fortes barrières à l’entrée pour la concurrence étrangère. Pourtant, ce sont des groupes comme Siemens et Vestas dans la fourniture d’éolienne ou Dong et E.ON dans l’exploitation qui dominent le marché mondial et possèdent les compétences associées. Ces acteurs seraient par exemple mieux à même d’estimer précisément le futur prix de revient de l’électricité produite. Un argument qui pourrait séduire la CRE, qui s’attachera à la qualité de la constitution du prix. Ce sont donc les acteurs français, qui ont très peu d’expérience dans l’éolien offshore, et plus généralement toute la filière industrielle offshore en gestation qui profiteraient de la participation d’acteurs étrangers.
Le marché de la construction d’éolienne est dominé de manière écrasante par le duopole Vestas / Siemens. Ce dernier, qui a équipé le premier parc éolien offshore il y a 20 ans a déjà installé 600 turbines en mer, d’une capacité de 1,6 GW, et son carnet de commandes atteint 4 GW. L’Allemand s’appuie actuellement sur son best seller, des turbines de 3,6 MW. Cependant, l’arrivée de turbines bien plus puissantes d’au moins 5 ou 6 MW comme en France, pourrait remettre en cause ce duopole et c’est notamment sur ce créneaux que les acteurs français veulent tenter leur chance.
Areva sera le premier à profiter des compétences d’un étranger sur les deux zones laissées libres par son alliance avec GDF Suez. Le groupe nucléaire y sera le fournisseur exclusif d’éoliennes d’Iberdrola tandis qu’un groupe de construction devrait également les rejoindre très prochainement. Avec ce partenariat, Areva s’assure une présence sur l’ensemble de l’appel d’offres tandis qu’Iberdrola Renewables tente de mettre un pied sur le marché français.
A terme, d’autres acteurs étrangers devraient se dévoiler. Des poids lourds comme E.ON ou Siemens ne font pas mystère de leur intérêt pour le marché français. L’entreprise publique suédoise Vattenfall, co-leader en Europe dans l’exploitation de fermes offshore, a pour sa part annoncé qu’elle ne participera pas au premier appel d’offres car les délais étaient trop courts mais qu’elle ne renonçait pas à participer à la seconde vague. Il ne faut en effet pas oublier qu’après le feuilleton de la loi Nome finalement peu favorable aux alternatifs, la France devra faire une place aux autres fournisseurs d’énergie pour répondre aux pressions de Bruxelles. Hors, ceux-ci, compte sur une stratégie axée sur l’hydroélectricité et l’éolien pour devenir (Vattenfall) ou renforcer (E.ON) leur position de producteur d’énergie dans le pays à moyen terme.
Pour un acteur étranger, même fort de son leadership hors de France, il sera de toute façon difficile de s’implanter en France sans l’aide d’un groupe français qui pourrait notamment lui apporter son lobbying local, indispensable pour se doter de bases industrielles et de l’appui des collectivités locales concernées. On remarque d’ailleurs qu’un acteur français, Veolia, n’a pas encore dévoilé clairement ses intentions sur le sujet : il pourrait naturellement se tourner vers EDF mais un partenariat avec un acteur étranger n’est pas à exclure.
Alors, la France saura-t-elle accueillir d’autres acteurs que les multinationales françaises pour profiter du savoir faire de nos voisins et rattraper son retard dans l’éolien offshore ? Réponse en avril 2012.