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Après “L’impact de Fukushima a des précédents”, voici le deuxième volet du tour d’Europe du nucléaire pour alimenter le débat qui traverse le continent.

Les décisions spectaculaires des suisses, des allemands et des italiens ne doivent pas faire oublier qu’au moins huit pays européens affirment vouloir renforcer leurs capacités nucléaires. Même si ceux-ci n’ont pas tous confirmés leur choix suite à l’accident de Fukushima, cela témoigne des atouts que conserve cette énergie pour répondre aux défis énergétiques.

Le quart des pays de l’union européenne souhaitent développer le recours à l’énergie nucléaire

Les décisions spectaculaires des suisses, des allemands et des italiens ne doivent pas faire oublier qu’au moins huit pays européens affirment vouloir renforcer leurs capacités nucléaires. Même si ceux-ci n’ont pas tous confirmés leur choix suite à l’accident de Fukushima, cela témoigne des atouts que conserve cette énergie pour répondre aux défis énergétiques.

Le premier groupe de pays est composé de trois pays d’Europe centrale et orientale : la Slovaquie, la Bulgarie et la Hongrie. Ces trois pays s’appuient déjà sur le nucléaire pour alimenter leurs réseaux électriques. Le premier à plus de 50%. Les deux autres sont plus proches du tiers de l’électricité consommée. Mais les trois comptent construire de nouveaux réacteurs pour supporter la croissance de leur demande intérieure.

C’est également l’argument de la Pologne, aujourd’hui non nucléarisée, qui doit se doter de nouvelles capacités pour accompagner la forte croissance de son économie de ces dernières années. De plus, le pays cherche à s’affranchir de sa dépendance au charbon. Ce combustible représente aujourd’hui 91% de son électricité ! Pour cela, la découverte d’importants gisements de gaz de schiste est accueillie avec bienveillance par le gouvernement. Cette nouvelle source pourra être complétée par la construction d’un ou deux réacteurs. Ironie de l’histoire, leur mise en service est prévue pour 2022, alors que de l’autre côté de l’Oder, le dernier réacteur sera en cours de fermeture.

La Grande Bretagne s’appuie sur 19 réacteurs pour assurer 18% de l’électricité produite. En Europe, le pays se distingue par son ambitieux programme nucléaire : le gouvernement compte construire 4 EPR en Angleterre et au Pays de Galles. Les premières livraisons sont attendues en 2018. Mais l’onde de choc de la catastrophe de Fukushima a traversé la Manche et atteint les îles britanniques. Le consensus politique entre conservateurs et travaillistes pour moderniser un parc de centrales thermiques vieillissant et polluant semblait pourtant solide. Nick Clegg, le vice-premier ministre lib-dem, souligne désormais le nouveau surcoût du nucléaire et les autorités britanniques ont annoncé un retard de quelques mois dans la construction des réacteurs, en attendant la remise de la version finale du rapport de l’inspecteur en chef des installations nucléaires du pays. Le processus d’évaluation de la sûreté de l’EPR français ainsi que du réacteur AP1000 de Westinghouse devait normalement se terminer à la fin du mois de juin. Il devra finalement attendre le mois de septembre, date de remise de la version finale du rapport demandé par le gouvernement sur les leçons à tirer de Fukushima tant pour les réacteurs existants que pour ceux en projet.

Ce report est éminemment politique : il s’agit de donner des gages en matière de sûreté pour garantir la pérennité du programme nucléaire. L’enjeu est également majeur pour EDF Energy. Le groupe français a fait l’acquisition en 2009 du principal opérateur nucléaire du pays, British Energy, pour la somme non négligeable de 12,5 milliards de livres. Cette acquisition avait pour objectif de profiter des meilleurs sites possibles pour la construction des 4 réacteurs EPR.

La Finlande a, elle aussi, décidé de se doter d’un réacteur EPR pour satisfaire les besoins de ses industriels électro-intensifs comme les papetiers notamment et compléter son parc installé de quatre réacteurs nucléaires, qui produisent 33% de son électricité. Ce cinquième réacteur a été approuvé en 2002 et attribué à Areva et Siemens. Il est en construction depuis 2005. Mais sa mise en service initialement fixée à 2009 a été reportée à plusieurs reprises. Les dernières estimations fixent celle-ci à 2013. En juillet 2010, les députés ont par ailleurs voté la construction de deux autres réacteurs.

Au Pays-Bas, après l’accident de Tchernobyl, le gouvernement a renoncé à son programme nucléaire et s’est contenté d’une seule centrale destinée à la production d’électricité. Le réacteur de Borssele, d’une puissance modeste (487 MW), a été construit par Siemens pour produire de l’électricité à coût réduit pour le producteur d’aluminium Pechiney. Mais le groupe Delta envisage désormais la construction d’une centrale en partenariat avec l’électricien français EDF qui pourrait être opérationnelle d’ici à 2019.

La Suède a suivi un chemin comparable avant les Pays-Bas. Ses 10 sites de production fournissent aujourd’hui environ 37% de l’électricité du pays. Pourtant, après l’accident de Three Mile Island en 1979, la Suède se prononce par referendum contre l’utilisation de l’énergie nucléaire. La sortie du nucléaire est alors programmée pour 2010. En 1997, le parlement décide d’arrêter le réacteur 1 de la centrale de Barsebäck en 1998 et le réacteur 2 en 2001. L’échéance est repoussée à 2010 par le gouvernement suivant. Mais le réacteur 1 est arrêté en 1999 et le réacteur 2 en 2005. En juillet 2006, un incident de niveau 2 sur l’un des réacteurs de la centrale nucléaire Forsmark, qualifié de « très sérieux » par l’organisme de l’inspection de la sûreté nucléaire suédois, suscite l’inquiétude et provoque l’arrêt temporaire de 3 des 10 réacteurs nucléaires suédois. En février 2009, la Suède lève finalement son moratoire sur la construction de centrales nucléaires, mais uniquement pour remplacer des centrales existantes.

L’exception Française

Décidée à développer son indépendance énergétique à la suite de la seconde guerre mondiale, la France s’est dotée d’un outil industriel incomparable. Elle compte 58 réacteurs à eau pressurisée répartis dans 19 centrales pour une puissance totale de 63 GW qui représente 74% de l’électricité produite. Le groupe Areva est le premier constructeur mondial de réacteurs nucléaires, détenu à près de 90% par l’Etat français (majoritairement via le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA). Le groupe EDF est le premier exploitant nucléaire mondial, détenu à près de 85 % par l’Etat Français.  Les deux groupes sont associés pour construire un réacteur de nouvelle génération EPR à Flamanville en Manche tandis qu’un second à Penly en Seine-Maritime est prévu.

Jusqu’ici, l’opinion publique française était plutôt favorable au nucléaire et à son trio d’avantages (indépendance énergétique, prix et limitation des émissions de GES) mais Fukushima a quelque peu changé la donne et le débat s’est ouvert à la veille des élections présidentielles : 6 français sur 10 seraient désormais pour une sortie du nucléaire selon deux sondages ViaVoice et Ifop publiés en juin 2011. Une révolution dans un pays où cette filière est si importante, source de fierté et surtout d’emplois : selon un rapport (commandé par Areva), l’industrie électronucléaire représenterait 125 000 emplois directs en France, soit 4 % de l’emploi industriel. Le total monterait même à 410 000 emplois en comptant les emplois indirects et induits. Soit 2 % de l’emploi en France…

Jusqu’ici le consensus sur le nucléaire, et plus généralement les choix énergétiques, était partagé par toute la classe politique et privait les français de débat. Fukushima et les élections de 2012 pourraient changer la donne et remettre en question cette exception française. Pour Bertrand Pancher, député UMP de la Meuse, qui a déposé un projet de loi pour un grand débat sur l’énergie en France, il est temps de demander son avis au peuple sur des questions aussi essentielles : « Est-ce vraiment à l’Etat central de prendre la décision d’un virage énergétique ou de se buter sur ses convictions sans aucun débat sur le sujet ? ».