Phénomène encore peu répandu en France, l’autoconsommation d’électricité arrive sur le devant de la scène. Encouragée par des signaux positifs (contexte économique favorable et forte demande sociale), elle dispose depuis février d’un cadre légal qui peut potentiellement faire évoluer le paysage énergétique.

Richard Loyen (Enerplan) s’enthousiasme en évoquant une transition vers une « nouvelle économie du circuit court de l’électron ». Cette nouveauté conduira-t-elle à une véritable transformation du modèle électrique en France ?

Vers le développement d’un nouvel usage : l’autoconsommation totale ou partielle, individuelle ou collective

Actuellement, on estime à 14 000 le nombre de foyers pratiquant l’autoconsommation quand 350 000 revendent leur énergie à EDF en obligation d’achat. Ce chiffre est en augmentation : alors que moins de 4% des demandes de raccordement concernaient des installations en autoconsommation sur le réseau de distribution d’électricité en 2014, ont été enregistrées par Enedis fin 2016.

Très attendue par les professionnels du secteur des énergies renouvelables et en particulier du photovoltaïque, la loi du 24 février 2017 ratifiant l‘ordonnance du 27 juillet 2016, définit la notion d’autoconsommation individuelle et introduit celle d’autoconsommation collective.

La loi définit ainsi l’autoconsommation comme « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation. La part de l’électricité produite qui est consommée l’est soit instantanément, soit après une période de stockage. »

Avec ce nouveau cadre, l’autoconsommation revêt de nouvelles formes à une échelle locale et devrait trouver des applications dans de multiples secteurs (résidentiel, tertiaire, agricole ou industriel).

L’autoconsommation individuelle s’envisage dans deux cas de figure, principalement dans le résidentiel : l’autoconsommation avec vente de surplus (ou cession à titre gratuit au gestionnaire du réseau de distribution électrique) et l’autoconsommation individuelle sans injection pour les petites puissances essentiellement.

La principale innovation porte sur l’autoconsommation collective, « lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale ».

L’énergie peut ainsi être partagée entre différents producteurs et consommateurs dans de nombreuses situations (copropriétés, lotissement, ensemble tertiaire ou commercial, ensemble à usages mixtes…). La loi pose une condition géographique : « les points de soutirage et d’injection sont situés « en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension ».

Des cartes à jouer pour les acteurs du secteur énergétique ?

L’autoconsommation réinterroge la chaîne de valeur de l’énergie. Alors que les acteurs traditionnels du secteur sont contraints d’adapter leurs modèles, d’autres émergent pour en tirer parti.

Les clients aspirent à l’indépendance énergétique et se laissent tenter par l’aventure malgré une rentabilité encore faible des projets. Selon un sondage Opinionway pour Quality’ENR, 87 % des français pourraient envisager de s’équiper en énergies renouvelables, si cela représentait un coût négligeable. Les français sont donc sensibles à la transition énergétique à condition de conserver une énergie peu chère. Cette tendance, confirmée par le sondage IFOP pour Synopia réalisé en janvier 2017, fait de l’autoconsommation un enjeu sociétal majeur.

Pour l’instant, la loi favorise le développement des petites installations en autoconsommation avec des procédures de raccordement simplifiées, la mise en place d’un tarif spécifique d’utilisation des réseaux publics de distribution pour les installations inférieures à 100 kW et l’exonération de la CSPE pour les producteurs exploitant des installations de puissance installée inférieure à 1MW. En parallèle, les projets plus importants des secteurs industriels, tertiaires et agricoles sont encouragés par des appels d’offres régionaux et nationaux. Compte tenu du prix actuel de l’électron et des tarifs d’achat toujours plus intéressants, la rentabilité des projets n’est pas toujours au rendez-vous. Les porteurs de projets attendent à présent que le cadre financier se précise, avec notamment, les arrêtés tarifaires définissant des mécanismes de soutiens pour les installations photovoltaïques <100 kWc et le tarif spécifique devant être fixé par la CRE. A terme, la fin des tarifs d’achat, la baisse des coûts des installations et l’augmentation du prix de l’énergie devraient rendre l’autoconsommation plus compétitive.

Pour les gestionnaires de réseaux, cet engouement encore marginal implique de se préparer à des conséquences sur le réseau et le modèle d’affaires. Enedis, gestionnaire du réseau public de distribution électrique, sera la première impactée. Chargée de faciliter le développement et le raccordement des installations d’autoconsommation, Enedis est entrée dans une phase d’expérimentation en accompagnant une vingtaine de projets d’autoconsommation collective jusqu’en 2018. La généralisation d’une solution de raccordement pour l’autoconsommation collective est annoncée pour fin 2018. Elle s’appuiera sur les compteurs communicants qui permettront de mesurer à la fois les flux de consommation et de production en temps réel.

Le modèle d’affaires du distributeur pourrait également être amené à évoluer. Le TURPE sur lequel repose son chiffre d’affaires est construit pour l’essentiel sur la quantité d’énergie qui transite sur le réseau. Le développement de l’autoconsommation pourrait donc induire une baisse des revenus alors même qu’Enedis doit poursuivre une politique d’investissements pour maintenir et moderniser le réseau. Enedis souhaite ainsi un rééquilibre du tarif en faveur d’une meilleure prise en compte des nouveaux usages et des coûts fixes associés au maintien du réseau.

Les fournisseurs, qu’ils soient traditionnels ou alternatifs, sont dans les starting blocks pour séduire les clients avec de nouvelles offres adaptées aux usages principalement basées sur le solaire. Ils tentent ainsi de fidéliser leur clientèle en leur proposant des solutions complètes comprenant l’installation et un accompagnement tout au long du projet. Certains n’ont pas attendu la loi, à l’instar d’EDF ENR qui a lancé l’offre « Mon soleil et moi » dès juin 2016 et Engie qui lui a vite emboité le pas avec « My Power ».

D’autres fournisseurs alternatifs cherchent également à tirer leur épingle du jeu comme Enercoop qui se positionne en acteur du développement de l’autoconsommation et propose des kits d’autoconsommation. EkWateur, petit nouveau sur le marché depuis septembre 2016 (nous en parlions en janvier), s’associe à la start up In Sun We Trust. Il propose d’évaluer le potentiel solaire puis, de racheter le surplus d’énergie produite par ses clients tout en leur fournissant l’électricité en l’absence de production.

Les industriels du secteur des ENR, à commencer par les acteurs du solaire, profitent de l’élan donné par la loi, et dévoilent leurs nouveaux produits. Solarwatt, par exemple, a présenté fin 2016 ses solutions clés en main avec batterie. Les technologies de stockage, encore peu matures et chères, seront sans doute clefs dans le futur. Associé à l’augmentation du prix de l’électricité, le développement de l’autoconsommation devrait appeler des investissements supplémentaires.

Enfin, les acteurs numériques y voient une aubaine. Les solutions de pilotage automatisé des usages deviennent incontournables comme l’illustre un projet d’autoconsommation collective rue Lecourbe à Paris qui s’appuie sur un système de gestion conçu par MyLight Systems. Comwatt, start up créée en 2013, se positionne en bonne place en proposant des solutions d’optimisation et de pilotage automatisé des usages reposant sur des technologies de machine learning. D’autres acteurs encore, comme la startup SunChain, travaillent sur des solutions de blockchain permettant de mesurer et de certifier les flux énergétiques dans le cas d’une autoconsommation partagée. Une expérimentation avec Enedis est actuellement en cours à Perpignan sur 5 bâtiments tertiaires.

Pour finir, les promoteurs immobiliers et les gestionnaires de parcs pourraient également profiter de la dynamique pour développer des offres smart pour les bâtiments nouveaux ou existants. Ces offres, combinant équipements ENR, bornes de recharge de véhicules électriques, et solutions de pilotage des équipements pourraient attirer des occupants y voyant un intérêt pour l’environnement ou leur facture.

Une première étape franchie

La loi du 24 février 2017 sonne comme un premier pas vers un système décentralisé et un signal en faveur de la transition énergétique. Si cette pratique démontre un intérêt certain, reste à stabiliser certaines technologies et modèles d’affaires. De plus, le développement de l’autoconsommation se heurte aux spécificités des réseaux électriques, construits selon un modèle centralisé et du fort attachement au principe de péréquation tarifaire. La remise en cause de ce modèle soulève donc encore de multiples interrogations, alors même que l’Union européenne entend aller plus loin en favorisant les boucles énergétiques locales.

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