Alors que la consommation électrique française a triplé en 40 ans, nécessitant un développement rapide du réseau électrique, elle est désormais stable depuis 2010 avec un réseau dense et mature. Néanmoins, si aujourd’hui la consommation évolue peu, le besoin d’adaptation des réseaux reste tout aussi important. Pour répondre à l’enjeu climatique, notre modèle énergétique va évoluer vers la neutralité carbone, et induire à long terme des changements majeurs qui nécessitent de repenser le réseau électrique. Ce dernier, historiquement construit de « manière descendante », schématiquement depuis les sources de production centralisées vers les consommateurs finaux, doit s’adapter et se restructurer pour intégrer les EnR.

L’évolution des moyens de production et des usages comme indicateurs des futures transformations du réseau

Par le caractère non stockable de l’électricité, le réseau électrique doit assurer à tout instant l’équilibre offre-demande. Cette contrainte est mise en danger par deux facteurs principaux : l’augmentation des pointes de consommation sur les dernières années et l’évolution des moyens de production.

En France, la pointe de consommation, qui a augmenté de 20% en 17 ans, est thermosensible du fait de l’importance du chauffage électrique dans les périodes climatiques hivernales. Or, le parc de production étant dimensionné en fonction des pics de consommation hivernale et non de la consommation moyenne annuelle, le réseau doit s’adapter pour soutenir l’augmentation de ces pointes. Du reste, ces dernières pourraient s’amplifier avec les nouveaux usages liés à la transition énergétique et, dans une moindre mesure, l’intégration des véhicules électriques si elle était mal pilotée (voir notre article sur le sujet).

Par ailleurs, la décarbonation de la production électrique, dans laquelle la France s’est engagée[1], va modifier les moyens de production électrique. L’émergence de productions renouvelables intermittentes s’effectue au détriment des centrales contrôlables, comme celles au gaz et au charbon. Cette perte de flexibilité accentue la difficulté à gérer les pointes de consommation et demande une adaptation du fonctionnement du réseau à court et moyen terme. A long terme, elle demande un renforcement structurel du réseau, pour accueillir un développement à large échelle des productions éoliennes et solaires décentralisées, qui nécessitent de nouveaux points d’entrée.

Un réseau robuste à structure descendante, organisé par domaine de tension 

Afin de répondre au désir d’indépendance énergétique à la suite des chocs pétroliers, la France a décidé de développer un parc nucléaire important pour la production d’électricité. Pour cadrer avec ce choix politique, le réseau s’est développé selon une structure descendante : l’électricité produite dans des centrales nucléaires est injectée sur le réseau où elle sera transportée jusqu’à l’usager final en passant par différentes mailles de réseau. L’électricité produite est transportée sur de longues distances, à haute tension afin de limiter les pertes par effet joule (réseau HTB et HTA). En arrivant aux foyers de consommation, l’électricité est distribuée au consommateur sur un réseau dense basse tension (réseau BT), la limitation des pertes en lignes devenant secondaire.

Cette structure commune à l’ensemble du territoire français permet le transport de l’électricité d’un nombre restreint de lieux de production à un grand nombre de consommateurs individuels.

Anticiper les changements structurels du réseau

Sachant que la structure historique du réseau électrique français ne pourra supporter les nouvelles contraintes de long terme liées à la transition énergétique, des évolutions majeures du réseau sont nécessaires. RTE prévoit que le réseau actuel ne peut soutenir qu’une augmentation de production d’origine renouvelable de 50 GW[2], soit un doublement par rapport aux capacités solaires et éoliennes actuellement installées, avant de nécessiter des modifications structurelles. En effet, alors que le réseau permettait un transfert descendant de la ressource jusqu’au consommateur final calibré sur les flux de soutirage du réseau, l’apparition d’éoliennes et de panneaux solaires dans le réseau basse tension requiert la prise en compte de flux d’injection pour le dimensionnement du réseau.

Pour optimiser le fonctionnement du système électrique et anticiper les évolutions à venir, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) mène à travers le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE) une réflexion permanente sur les signaux économiques à envoyer aux acteurs du marché. La CRE a déjà favorisé un lissage de la consommation avec la mise en place d’un système « heures pleines, heures creuses » pour déplacer les consommations non critiques sur des horaires plus favorables à l’équilibre du réseau. L’arrivée des énergies renouvelables, dont la production est intermittente, pourrait par exemple être accompagnée d’incitations économiques à la consommation ou à l’injection, comme nous l’évoquions dans un précédent article.

Depuis les années 1970, le réseau électrique s’est grandement densifié et est devenu un des réseaux les plus robustes au monde. Cette performance s’accompagne d’une forte inertie au changement pour le réseau qu’il faudra, néanmoins, surpasser afin de maîtriser les nouveaux besoins de la transition énergétique. Devant les enjeux financiers colossaux que représente une telle adaptation, il est fondamental d’anticiper suffisamment en amont ces évolutions, en les intégrant dans une vision stratégique globale de long terme.

[1] On peut citer : l’accord de Paris sur le Climat 2015, la Stratégie Nationale Bas-Carbone 2015, le plan climat 2017 ou la Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019

[2] RTE, Schéma décennal de développement du réseau