A l’heure où la croissance verte et la décarbonation des mix énergétiques semblent constituer la pierre angulaire de notre avenir énergétique, de nombreuses technologies se développent : production renouvelable, véhicules électriques ou hybrides rechargeables, potentiels de stockage… Les besoins de ces technologies vertes, mêlés à la transition numérique qui les accompagne, sont déjà importants et ne seront que croissants dans les années à venir[1]. Or la construction de ces nouvelles technologies repose sur un nombre important de métaux. Parmi ces métaux, certains sont abondants dans l’écorce terrestre, comme le cuivre, le fer, le cobalt ou encore le lithium – d’autres le sont bien moins : c’est le cas des terres rares.

Ainsi, ces nouvelles ressources, actuellement considérées comme indispensables à la transition énergétique formeraient-elles l’ombre d’une nouvelle « addiction » ? Une nouvelle dépendance énergétique tel que le charbon au XIXe ou le pétrole au XXe siècle ? Cette potentielle dépendance est-elle alors cohérente avec les ambitions écologiques et les trajectoires de transition énergétique annoncées ?

Que sont les terres rares ?

Les terres rares constituent un ensemble de 17 métaux, tous regroupés sur la 3e colonne de la table périodique : les 15 lanthanides, auxquels s’ajoutent le scandium et l’yttrium. Elles ne doivent pas être confondues avec les métaux rares ou encore métaux critiques.

Ces terres rares ne sont pas « rares » dans l’absolu car abondantes en termes de proportions et de quantités de réserves sur la surface de la terre – elles le sont toutefois de manière relative, puisque jusqu’à 1000 fois moins présentes que d’autres métaux. En revanche, leur extraction est complexe puisque les terres rares sont diluées à d’autres minerais dans l’écorce terrestre : pour les utiliser, il faut donc suivre un procédé spécifique d’exploitation, d’extraction, de séparation et de transformation.

La qualification de « rares » est également liée aux propriétés spécifiques de ces 17 métaux : des technologies miniaturisées aux potentiels de performance magnétique ou encore électronique plus développés que ceux des métaux plus traditionnels. Propriétés d’autant plus recherchées que certains de ces métaux, comme le néodyme, sont, à performance égale ou comparable, difficilement remplaçables. Le néodyme dispose de propriétés magnétiques plus fortes par unité de volume et présente donc l’avantage d’être plus efficace, moins encombrant et plus léger qu’un aimant composé de métaux plus traditionnels uniquement.

Quelles utilisations des terres rares pour la transition énergétique ?

Les terres rares sont utilisées pour les éoliennes, pour certains types de panneaux photovoltaïques ou encore pour les batteries de véhicules électriques ou hybrides rechargeables[2]. Elles sont avant tout recherchées pour leurs capacités conductrices et magnétiques. Parmi les 17 terres rares, le néodyme, le dysprosium et le praséodyme sont les plus prisées dans les technologies de la transition énergétique.

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Les enjeux des terres rares : dépendance énergétique et impact environnemental

Dépendance énergétique ?

Bien que disponibles sur une grande partie du globe, de nombreuses réserves de terres rares ne sont pas exploitées. La Chine possède actuellement un quasi-monopole de l’extraction et de la production de terres rares : le plus important gisement de terres rares se trouve en Mongolie-Intérieure et 95% du marché est détenu par la Chine.

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Aimant d’éolienne et batteries pour les véhicules électriques, cœur de la transition énergétique européenne notamment, proviennent ainsi principalement de Chine. Ce quasi-monopole pose donc réellement la question de la dépendance énergétique des pays occidentaux. Cela n’a toutefois pas toujours été le cas : jusque dans les années 1980/90, la France possédait à La Rochelle une usine purifiant 50% du marché de terres rares. Le site a dû fermer pour respect de normes sanitaires et écologiques. Les Etats-Unis ont fermé leur unique mine de terres rares en 2015 suite à une montée en puissance de la Chine et des coûts de production devenus trop élevés (Mountain Pass, Californie). L’ensemble de la chaîne des terres rares a finalement été exporté en Chine et la technologie apparentée y a été transférée.

Ce graphique montre la répartition des origines géographiques des importations en terres rares de l’Union européenne en 2015, avant la fermeture de la mine californienne. Si la part provenant de Chine a depuis continué d’augmenter, il n’en demeure pas moins que la transition énergétique de l’Union européenne reste fortement dépendante de ses pays.

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Une empreinte écologique remise en question ?

Avant d’obtenir les terres rares telles qu’utilisées pour les aimants, batteries ou cellules de panneaux photovoltaïques, plusieurs processus doivent être suivis : extraction de couches de minerais contenant les terres rares, séparation des terres rares et enfin purification de celles-ci. L’empreinte carbone de la chaîne complète du traitement des terres rares n’est toutefois pas neutre : son fonctionnement nécessite un usage important d’électricité. Or, en Chine, l’électricité provient avant tout du charbon[4]. Autre point, le processus de purification des terres rares soulève des questions importantes liées à la pollution des sols. En effet, pour la purification d’une tonne de terre rare, il est nécessaire d’utiliser 200 m3 d’eau, qui, selon le pays, est parfois directement rejetée dans l’environnement sans être préalablement purifiée.  Autre point important : l’extraction des terres rares se fait parfois en présence de substances radioactives, comme le thorium et les actinides,  nécessitant de prendre des précautions très strictes. Si l’Europe décide de s’engager dans l’utilisation de technologies moins polluantes pour effectuer sa transition énergétique, elle ne devra toutefois pas négliger l’impact écologique engendré par l’extraction des terres rares, qui a souvent lieu dans des pays aux normes environnementales moins exigeantes.

Finalement, si l’on souhaite une transition énergétique à la fois cohérente, ambitieuse et réussie, il faut adopter une vision claire et précise de l’impact environnemental qu’elle pourrait engendrer. La pollution qui accompagne l’extraction et le traitement des terres rares tout comme la dépendance en terme de production envers la Chine est un fait. La prise de conscience collective constitue un premier pas vers la levée de ces obstacles et l’aboutissement à des solutions en phase avec une transition énergétique responsable. Parmi ces solutions, on pourrait citer : l’investissement dans la R&D afin de développer le recyclage des terres rares[5] (projet français RECUPTR’ par exemple), la recherche de moyens de substitution, comme le proposent déjà certains acteurs pour leurs batteries de VE (Renault, Tesla) – des projets sont également en cours dans le secteur éolien[6] – ou encore le changement de vision sur la production, à savoir ne plus produire au moindre coût et adopter une vision globale d’un produit (écoconception, économie circulaire…). L’évolution et l’adoption de ces solutions dépendent avant tout de choix politiques, qui, idéalement, seront faits dans une logique de transition énergétique raisonnée et de long terme.

[1] Prévision de développement des ENR en forte croissance et un objectif français fixé par la PPE de 1,2 million de voitures particulières électriques et hybrides rechargeables en circulation en 2023

[2] A noter que concernant les véhicules électriques, le lithium représente également une problématique importante, mais ce métal n’appartient pas aux terres rares. Voir notre article [3] sur le sujet.

[3] https://atlante.fr/blog/fin-du-monde-ou-fin-de-mois-la-ppe-ou-comment-concilier-des-interets-divergents-sans-perdre-le-sens/

[4] Environ 70% de l’électricité produite provient de charbon (World Energy Outlook, 2016)

[5] Actuellement moins de 1% des terres rares sont recyclées. Il faut toutefois garder en mémoire que cela ne pourra se développer à l’échelle industrielle que si le coût de recyclage est inférieur au coût d’extraction

[6] Un projet européen en cours au Danemark (supraconducteur sans terre rare) et un programme UK pour des éoliennes offshore avec de la ferrite pour remplacer les terres rares