Des facteurs géopolitiques et économiques contribuent à la chute de plus de 70% des cours du pétrole depuis mi-2014. Le marché reste saturé, conséquence d’une demande mondiale presque atone et d’une croissance chinoise ralentie, de la décision fin 2014 de l’OPEP de maintenir son quota de production pour étouffer les producteurs de pétrole de schistes américains ou encore du retour de l’Iran sur le marché depuis la levée de ses sanctions. Cette baisse semble s’inscrire dans la durée : l’Agence Internationale de l’Energie mise sur un rééquilibre de l’offre et de la demande en 2017 et un redressement progressif des prix. Récemment, deux événements ont redonné un peu d’espoir aux marchés :

  • L’accord de Doha du 16 février 2016 au cours duquel l’Arabie Saoudite, la Russie, le Venezuela et le Qatar ont accepté de geler la production de pétrole à son niveau du mois de janvier. Une nouvelle rencontre doit avoir lieu en mars pour élargir cet accord à d’autres pays producteurs.
  • Des signaux indiquant une baisse à venir de la production de pétrole aux Etats-Unis (fermeture de 110 puits en février). Toutefois, l’effet de ces annonces est relatif si on prend en compte un gel de la production à un niveau record pour les pays de l’accord de Doha et une progression des stocks américains bruts de 3,8 millions de barils début mars. Les marchés ont des raisons de rester instables.

1. Cours du baril de pétrole (WTI), en dollars par baril

2. Panorama de la situation des principaux pays producteurs de pétrole

 Etats-Unis, 1er producteur mondial
La levée de l’interdiction d’exporter du pétrole ouvre des débouchés sur le long terme pour les stocks records accumulés ces dernières années aux Etats-Unis. A court terme et tant que les cours n’auront pas remonté, elle ne devrait pourtant pas produire d’effet. Or, le risque de faillites pour les producteurs et de lourdes pertes pour les banques d’investisseurs est important. Malgré une amélioration du seuil de rentabilité (aujourd’hui autour de 45$ le baril en Dakota du Nord contre 60-70$ il y a un an), les coûts d’exploitation des puits restent supérieurs au prix du baril et les investissements passés ne sont toujours pas amortis. Depuis janvier 2016, les annonces régulières de fermetures de puits rassurent les marchés.
 Arabie Saoudite, 2ème producteur mondial
Le 17 novembre 2014, en menant l’OPEP à la décision de maintenir la production de pétrole à son niveau malgré une demande à la baisse, le chef de file du cartel des producteurs affiche l’objectif d’étouffer l’industrie américaine du pétrole de schiste et est prêt à assumer une chute des prix à 20$ le baril. Avec un budget en déficit d’environ 19% du PIB, le Royaume accepte finalement de geler sa production à son niveau de janvier. Il exclut toutefois toute baisse de production à court terme.
 Russie, 3ème producteur mondial
Avec des hydrocarbures représentant 70% de ses exportations et ¼ de son PIB, la Russie est sévèrement touchée par la chute des cours. Acceptant sa part de responsabilité dans la baisse du prix du baril, elle signe l’accord de Doha en vertu duquel elle accepte de stabiliser sa production au niveau de janvier 2016, soit 10,91 millions de barils par jour, un niveau record depuis la chute de l’Union Soviétique. Cette baisse de revenus, dans un contexte de crise économique, de sanctions économiques occidentales et d’opérations extérieures simultanées sur plusieurs zones de conflits fragilise fortement le pays.
 Iran, 7ème producteur mondial
L’officialisation de la levée des sanctions en janvier 2016 a marqué le retour en force de l’Iran. Malgré un marché saturé, il augmente ses exportations de pétrole de 400.000 barils/jour en février par rapport à 2015. En janvier, Téhéran avait annoncé vouloir augmenter sa production de 500.000 b/j immédiatement et de 500.000 b/j supplémentaires d’ici fin 2016.
 Irak, 8ème producteur mondial
Alors que le pays mène une guerre coûteuse contre l’Etat islamique, il doit faire face à de grandes difficultés budgétaires. Très dépendant des revenus tirés du pétrole, ces derniers ne représentent plus que 15% de ce qu’ils étaient début 2014. Malgré les prix bas, l’Irak tente de retrouver son niveau de production d’avant la crise et a atteint un record de production en janvier de 450.000 barils/jour.
 Venezuela, 11ème producteur mondial
Le pétrole représentant 90% de ses exportations, le pays subit une baisse de ses revenus en 2 ans de près de 70%, une grave récession et des troubles politiques et sociaux. Pour soutenir les finances publiques, il dévalue fortement sa devise, et pour la première fois depuis 20 ans, augmente le prix de l’essence de 6000% (l’essence super passe ainsi de 0,01$ le litre à 0,6$).
 Algérie, 18ème producteur mondial
Les hydrocarbures représentent plus de 95% de ses revenus extérieurs et contribuent pour 40% au budget de l’Etat. Pour faire face à la chute ses recettes, l’Algérie a dû prendre une série de mesures drastiques. Parmi elles figure le développement des énergies renouvelables érigée en priorité nationale avec pour objectif de porter la part des énergies vertes à 27% de son mix énergétique. Une bonne nouvelle pour le climat.

3. Quelles conséquences ?

Economie : Si la baisse du prix du baril réjouit les consommateurs, elle n’apporte qu’un soutien relatif à la croissance des pays importateurs. Les états producteurs, dépendant fortement des exportations de pétrole, subissent une dégradation de leurs comptes publics : le 5 mars 2016, Moody’s abaissait la note d’Oman et de Bahreïn. Or, ces pays importent également des produits provenant des pays non producteurs. La mauvaise santé des uns détériore la balance commerciale des autres (chute des ventes d’hélicoptères civils pour Airbus Helicopters en 2015). Autre effet négatif, la dette cumulée des producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis (plus de 180 milliards $) associée à une baisse des taux d’intérêt ou encore au ralentissement de l’économie chinoise interroge sur le risque d’effondrement des marchés voire d’une crise financière mondiale.

Industrie : L’industrie pétrolière et parapétrolière se porte mal : environ 300 000 postes auraient été supprimés dans le monde depuis mi-2014 au sein de nombreuses entreprises comme Halliburton (22.000 postes depuis 2014), Schlumberger (34.000 postes depuis 2014), BP (4.000 postes pour 2016) ou encore Royal Dutch Shell (10.000 postes pour 2016). Près d’un tiers des producteurs de pétrole dans le monde sont confrontés à un risque élevé de cessation de paiement en 2016. Les sociétés de services du secteur pétrolier, disposant de davantage de fonds propres, se montrent plus résistantes. En effet, celles-ci représentent 26% des faillites dans le secteur pétrolier. 53 sociétés du secteur auraient fait faillite au cours du 4ème trimestre 2015.

Environnement : Les prix bas du pétrole ont un effet dissuasif sur l’innovation et le développement des énergies renouvelables. D’une part, les efforts en matière de réduction de la consommation d’énergie fossile, principale source d’énergie primaire, ne sont pas stimulés. D’autre part, les énergies renouvelables apparaissent moins attractives car plus coûteuses relativement au pétrole. La transition énergétique est donc freinée par cette conjoncture.