photo-précarité-énergétique-facture-par-P.-Huguen-AFP

Alors que les températures se rapprochent de zéro, près de 20% de la population, soit 5,1 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique selon le premier rapport de l’Observatoire National de la Précarité Energétique (ONPE) publié le 3 octobre dernier. En 2006, l’INSEE évaluait ce nombre à 3,8 millions. Estimer le nombre de personnes précaires n’est pas une chose aisée car cette évaluation varie beaucoup selon les indicateurs utilisés. Néanmoins, ces chiffres sont suffisamment impressionnants pour démontrer l’importance d’agir.

Les politiques publiques se sont pourtant intéressées relativement récemment à ce phénomène comme à un problème à part entière. En Europe, la Grande Bretagne fait figure de précurseur en utilisant l’expression « Fuel Poverty » pour le décrire dans les années 70. En France, il faut attendre les années 2000 pour consacrer et définir l’expression « précarité énergétique », aujourd’hui communément reconnue, depuis la loi Grenelle 2[1] : « Est en situation de précarité énergétique (…) une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Or, cette définition très générale ne permet pas « d’appréhender la portée véritable des enjeux de ce fléau » ainsi que le souligne l’ONPE. Redéfinir les contours de la précarité énergétique, comme le préconise le rapport, pourrait ainsi permettre de faire apparaître une vision commune. À terme, cette redéfinition s’avère nécessaire pour mieux structurer les actions de lutte, que ce soit dans leur mise en œuvre, leur ciblage ou encore leur mode de financement.

Les nombreux dispositifs existants ne suffisant pas à enrayer la précarité énergétique, les pouvoirs publics cherchent à apporter une solution à travers le chèque énergie. Toutefois, ce dispositif a un coût dont le montant, comme le financement, restent encore à définir.

Le millefeuille des actions actuelles de lutte contre la précarité énergétique en France est encore incomplet

En France, la création de politiques spécifiques s’attaquant à la précarité énergétique émerge dans les années 2000. On dénombre depuis un large panel d’actions nationales et locales pour lutter contre ce problème. Ce « millefeuille » s’explique par la double nature de la précarité énergétique qui relève à la fois d’une logique sociale et d’une logique climat-énergie. Avant les années 2000, ce problème était observé par le prisme social incluant la pauvreté et le mal du logement. Puis, l’aspect énergétique est progressivement entré dans la ligne de mire des actions. Toute la complexité de la précarité énergétique réside ainsi dans cette dualité. De fait, la mise en œuvre d’instruments spécifiques nécessite de trouver le juste équilibre entre ces deux composantes.

À mesure que l’appréhension de la précarité énergétique évolue, le panorama des acteurs publics et privés participant aux actions de lutte se transforme. Historiquement, les politiques de lutte contre l’exclusion dans lesquelles se noyait la précarité énergétique étaient essentiellement du ressort de l’Etat. Mais, petit à petit, cette compétence est transférée aux départements (pour la gestion des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) et les fonds de solidarité pour le logement (FSL)), aux collectivités et aux fournisseurs d’énergie (tarifs sociaux de l’énergie). À partir du Grenelle 2, l’ANAH[2], principal organisme public d’attribution des subventions, prend de l’importance dans le cadre du programme « Habiter mieux ». Les régions acquièrent quant à elles une compétence sur les aspects énergétiques. Enfin, les associations, de même que des acteurs privés ou publics variés, représentent des partenaires incontournables dans la plupart des dispositifs mis en place.

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Les tarifs sociaux de l’énergie, créés par la loi du 10 février 2000[3], constituent une mesure phare de protection sociale. Toutefois, le Tarif de Première Nécessité (TPN), spécifique à l’électricité et le Tarif Spécial de Solidarité (TSS) pour le gaz, présentent une limite importante puisqu’ils ne visent que les consommateurs de ces énergies. Les pouvoirs publics ont pourtant tenté d’ouvrir ces dispositifs à une plus large cible en instaurant un nouveau critère d’éligibilité fondé sur le revenu fiscal de référence et en associant également les fournisseurs alternatifs (jusque-là, seuls les consommateurs ayant souscrit un contrat de fourniture d’électricité ou de gaz naturel avec un fournisseur historique pouvaient y prétendre). Malgré tout, depuis 2013, sur 4 millions de foyers concernés, seulement 2,2 millions en auraient fait la demande en 2014 selon la CRE. Par essence, les tarifs sociaux restent toujours incomplets car ils s’adressent seulement aux ménages se chauffant à l’électricité et au gaz, excluant ainsi près de 30% des ménages se chauffant hors réseau (au fioul, au bois, au charbon ou à d’autres sources de chaleur).

Le chèque énergie, la réponse apportée par la loi de transition énergétique

Malgré ces mesures variées et nombreuses, le nombre de ménages précaires ne cesse d’augmenter en raison notamment de la crise sociale, de l’incertitude économique ou encore du coût croissant de l’énergie.

Ce sujet demeure donc une préoccupation majeure. En témoigne le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 14 octobre 2014 qui place la lutte contre la précarité énergétique dans ses priorités dès l’article premier. Pour atteindre cet objectif, « l’Etat, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements, les entreprises, les associations et les citoyens, veille à (…) garantir aux personnes les plus démunies l’accès à l’énergie, bien de première nécessité, ainsi qu’aux services énergétiques ». Le projet de loi s’oriente ainsi vers un «bouclier énergétique » reposant à la fois sur une aide au revenu via les aides sociales et les subventions pour l’efficacité énergétique.

Parmi les mesures phares du projet de loi figure le chèque énergie prévu pour remplacer, à terme, les tarifs sociaux. Ce dispositif apparaît plus juste en ce qu’il viserait les foyers se chauffant à partir de toute source de chaleur, y compris au fioul, au bois et au charbon. Au-delà de la simple aide sur la facture d’énergie, il devrait également pouvoir être utilisé pour le financement de travaux de rénovation énergétique. Il s’agit ici d’un instrument innovant et prometteur, jouant à la fois sur les aspects sociaux et environnementaux.

Une solution intéressante au coût élevé

En comparaison avec les tarifs sociaux actuels, le chèque énergie devrait assurément venir gonfler le budget alloué à la précarité énergétique.

Selon la CRE, le TPN aurait bénéficié à 1,2 millions de ménages en 2014, pour un coût de 327 millions d’euros. Le TSS aurait, quant à lui, profité à 457 000 ménages pour un coût de 94 millions d’euros.

Si le montant du chèque n’est à ce jour pas encore défini, il est toutefois certain que son enveloppe dépassera de loin le coût des dispositifs existants. En effet, compte-tenu de l’ambition affichée du chèque énergie, il est réaliste de considérer une fourchette située entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an pour une cible de 4 millions de ménages précaires. Bruno Léchevin, Président de l’Ademe et Jean Gaubert, le médiateur national de l’énergie, partisans d’un chèque d’une valeur de 250 euros par an et par ménage, penchent ainsi pour la fourchette haute. Ainsi qu’ils l’expliquent justement, les bénéficiaires actuels des tarifs sociaux « touchent jusqu’à 200 euros par an. On ne peut pas leur verser moins !».

À la recherche de nouvelles pistes de financement pour le chèque énergie

Actuellement, le TPN et le TSS sont respectivement financés par la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE) et par la Contribution au Tarif Spécial de Solidarité du Gaz (CTSSG). Le coût du chèque énergie pouvant potentiellement représenter le double du coût des mesures actuelles, de nouvelles pistes de financement doivent alors être explorées. Or, à ce jour, cette question n’a pas encore été tranchée. Le projet de loi sur la transition énergétique mentionne seulement que « les dépenses, ainsi que les frais de gestion, supportés par l’organisme mentionné à l’article L.124-1, sont financés par une part des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité (…), par une part des contributions dues par les fournisseurs de gaz naturel (…) et par le budget de l’État » (article 60).

Ainsi, si le chèque est ouvert à tout type d’énergie, il semblerait qu’il repose tout de même essentiellement sur les contributions de l’électricité et du gaz naturel. Reste à connaître le montant du budget de l’Etat. Toutefois, la CSPE, considérée comme la clef de voute des politiques publiques, entre le soutien aux énergies renouvelables et la précarité énergétique, pourra-t-elle supporter une telle augmentation ? Comme Bruno Léchevin le souligne, « son montant a explosé ces dernières années pour représenter aujourd’hui environ 13% de la facture d’un ménage ». Il apparaît donc nécessaire de s’interroger sur la manière d’alléger la contribution pour les consommateurs, tout en s’assurant du financement de ce nouveau dispositif.

À cette question, Bruno Léchevin préconise un élargissement de la CSPE aux consommateurs de fioul, de gaz et d’électricité des secteurs résidentiels et tertiaires. Selon lui, cette solution devrait permettre de réduire le montant de la contribution allouée à la précarité à 1,20 euros du MWh, contre 3,30 euro du MWh, si l’assiette de la CSPE était limitée à l’électricité. Considérant que demain, les consommateurs de toutes les énergies pourront bénéficier du chèque, cette proposition semble équitable. L’ADEME va plus loin en proposant la création d’un fonds commun pour le chèque énergie alimenté par des taxes de chaque énergie (fioul, bois et GPL inclus) à due proportion de leur part dans la consommation d’énergie des ménages.

Parmi les autres pistes de financement évoquées, figure enfin une redistribution forfaitaire de l’assiette de la contribution climat-énergie (ou « taxe carbone ») en cours d’intégration dans les taxes intérieures sur la consommation. Il a en effet été imaginé qu’à l’horizon 2016, 800 millions d’euros sur 4 milliards d’euros soient fléchés vers la précarité énergétique.

Une évolution de la réponse politique à la précarité énergétique encore incertaine

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Face à l’ampleur de la précarité énergétique qui ne cesse de s’étendre, les pouvoirs publics cherchent une réponse adaptée prenant en compte le problème dans toutes ses dimensions. Le financement du chèque énergie, comme sa mise en œuvre, doit être défini. De nombreuses questions restent donc en suspens : quel mécanisme de financement de la précarité énergétique sera finalement retenu ? Quelle sera la répartition des contributions provenant des taxes des différentes énergies ? Quel impact la création de ce nouvel instrument aura-t-elle sur les aides existantes ?

Compte-tenu de toutes ces interrogations, il est à craindre que la mise en œuvre du chèque énergie ne soit pas à la hauteur de ce mécanisme innovant. Dans tous les cas, pour son acceptabilité et dans le contexte actuel de hausse des coûts des énergies de réseaux, notamment avec la transition énergétique, il est à espérer que son financement ne sera pas porté exclusivement par les consommateurs d’électricité et de gaz.

[1] Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement

[2] Agence Nationale pour l’Habitat

[3] Loi du 10 février 2000 relatif à la modernisation et au développement du service public de l’électricité