L’ambition de neutralité carbone d’ici 2050 impose de combattre chacune des sources de production. Malgré son faible niveau d’émission de gaz à effet de serre, le rail doit aussi remplir sa part.

Produisant en moyenne 7 fois moins de CO2 que le transport routier de passagers[1], le secteur ferroviaire rejette cependant 130 méga tonnes d’équivalent CO2 chaque année[2]. La cause ? Les matériels fonctionnant au diesel circulant sur les 43% de voies non-électrifiées du réseau français. Une stratégie est à élaborer, mais pas à n’importe quel prix : il est exclu d’opter pour l’électrification entière des lignes[3], dans la mesure où le coût est prohibitif[4] et les lignes concernées les moins fréquentées. Les efforts devront donc se concentrer sur le verdissement de la flotte de matériels tractés au diesel.

Avec des durées de vies pouvant aller de 30 à 50 ans, le choix d’une technologie alternative devra s’inscrire sur le long terme pour ne pas risquer d’être bloqué dans une impasse économique et technologique. Cependant le cap est donné : pour Guillaume Pepy, le diesel doit disparaître du rail français d’ici quinze ans.

Quels enjeux doit-on réussir à concilier ? De quelles technologies dispose-t-on ? Sur quels précédents européens peut-on s’appuyer ? Le défi du verdissement du rail est de taille.

Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour lancer une nouvelle filière industrielle

Le périmètre concerné par le verdissement des matériels est substantiel : près de 1 200 TER fonctionnent au diesel, assurant 20% des circulations. Les matériels roulants ont été mis en service dans les années 1990 et 2000, ce qui signifie que près de 450 trains devront être renouvelés à partir de 2025/2030 et le reste dans les dix années qui suivront.

C’est un défi de taille pour le premier acteur impliqué par ce changement : la SNCF, en tant qu’exploitant aujourd’hui[5]. Quelle que soit la technologie choisie, le renouvellement des rames représentera un effort d’investissement conséquent dans les prochaines années, le tout dans un contexte de réformes de fond. La page n’est cependant pas entièrement blanche, la SNCF est déjà engagée dans une démarche de verdissement et a déjà franchi un premier pas avec la mise en circulation de train bimodes électricité et diesel par Bombardier, et un deuxième, avec les TER hybrides électricité et diesel par Alstom, où 50% des moteurs sont remplacés par des batteries Lithium-ion. La démarche est bien enclenchée et franchit un nouveau cap fin août 2019, avec l’annonce de l’achat d’une quinzaine de rames à hydrogène à Alstom. L’enjeu pour les constructeurs de matériels est significatif et le constructeur français semble avoir tiré son épingle du jeu, en proposant dès 2018 une adaptation française de son train à hydrogène qui a su séduire en circulant en Allemagne (cf. ci-dessous). Ce contrat est une bonne nouvelle pour la filière française, avec à la clé, le gage de premiers revenus en France et un argument de poids pour leur développement à l’international.

Les pouvoirs publics, régionaux (au titre d’autorités organisatrices de la mobilité) ou étatiques, ont également un rôle clé à jouer : ils doivent offrir des conditions favorables au développement de technologies alternatives viables, contribuer à la création de champions nationaux et pousser la structuration entière d’une filière. A ce titre, la région Occitanie se place en chef de file de la mobilité à l’hydrogène, avec la présentation fin juin d’un vaste plan régional de déploiement de la mobilité hydrogène de 150 millions d’euros.

Les débouchés internationaux, la reconnaissance mondiale d’un savoir-faire et le développement de bassins d’emplois sont des enjeux majeurs, qui impliquent des besoins d’investissement. Alors que le rapport Spinetta pointe le poids du transport ferroviaire sur les budgets des régions, il est important qu’une politique volontariste ne soit pas assumée uniquement par les collectivités ni qu’elle assèche des financements prévus par ailleurs pour la modernisation et l’entretien des voies ou autres matériels.

50 Shades of Green : un panel de technologies pour verdir le transport ferroviaire

Deux familles de solutions peuvent être identifiées : celles à base d’électricité et celles à base de carburant, avec un net avantage, à date, de la première.

Parmi les solutions à base d’électricité, la technologie « à pile », fondée sur l’utilisation des batteries Lithium-ion est massivement investie par Bombardier. Le prototype Talent3 sera testé en Allemagne en 2019 sur les lignes de passagers dans la région de Constance, à la frontière avec la Suisse. Ses avantages sont indéniables : il n’émet aucun gaz d’échappement, les batteries peuvent être rechargées grâce à l’électricité d’origine verte et il est 50% plus silencieux. Bombardier table sur la décroissance significative des prix des batteries, grâce notamment aux avancées dans le domaine automobile, et sur l’augmentation de leur intensité énergétique. En effet, l’inconvénient majeur est aujourd’hui la faible autonomie de ce type de solution, limitant le parcours à 30km et nécessitant de longs temps de charge. A court terme, la solution ne peut donc être adaptée que sur des trajets courts et à faible fréquence.

 width=Autre solution à base d’électricité, l’hydrogène concentre beaucoup d’espoirs. La technologie est à maturité et éprouvée[6]. Alstom se positionne sur ce segment, en lançant en Allemagne la rame Coradia Ilint, dotée d’une pile à combustible qui transforme en électricité l’hydrogène stocké sur le toit. Parmi ses avantages indéniables : la capacité de stockage et son potentiel énergétique. Un plein d’hydrogène suffit à parcourir 1000 km. C’est cette technologie qu’Alstom propose d’adapter pour le marché ferroviaire français, qui sera une version bi-mode électricité-hydrogène. Cependant, afin que cette technologie soit pleinement vertueuse, l’hydrogène doit pouvoir être lui-même « vert » (produit à partir de sources renouvelables) et non plus « gris ».

Actuellement, la filière est capable de produire de l’hydrogène pour environ 100€ le MWh, ce qui le pénalise par rapport aux autres sources d’énergie[7]. Une diminution de ces coûts est envisagée dans les prochaines années grâce à la progression rapide de la recherche et le volontarisme des acteurs publics.

Si beaucoup d’études ont été consacrées à la famille des solutions électriques, peu de travaux sont encore publiés sur les solutions à partir de carburant « vert » (liquide ou gazeux).

Le biocarburant est un de ces exemples. Produit à partir de cultures d’oléagineux, cet intrant a l’avantage d’être une technologie à maturité, d’avoir une filière déjà structurée et des coûts de production et d’exploitation sensiblement acceptables. La SNCF a déjà lancé des expérimentations fin 2007 où 8 TER circulaient au B30 (30% de biocarburant et 70% de diesel)[8]. Le biocarburant a cependant des inconvénients à commencer par son bilan carbone qui ne fait toujours pas consensus, malgré des efforts de mise à plat de l’ADEME[9]. Par ailleurs, sa plus faible performance par rapport aux carburants fossiles, la concurrence qu’il crée sur la biomasse (usage alimentaire vs. carburant) et l’exploitation des sols, et les hésitations autour de sa fiscalité semblent avoir disqualifié cette technologie comme option de verdissement des matériels.

La solution d’un carburant plus vert est à chercher du côté du gaz. Comme pour le biocarburant, le GNV est une technologie maîtrisée grâce aux développements et applications dans l’automobile. Il permet de diminuer la pollution locale de 95% pour les particules fines et de 30% pour les NOx – et si le GNV est du biométhane ou bioGNV, les émissions de CO2 sont réduites de 80%. Avec le développement d’une nouvelle filière du « gaz vert » dans les territoires, le biogaz vert dispose d’atouts sérieux. A cela s’ajoutent des coûts d’adaptation des matériels roulants considérés comme raisonnables, et un tarif du carburant attendu à 67€/MWh en 2023 et 60€/MWh en 2028[10], inférieur – pour l’heure – à l’hydrogène. Bénéficiant d’un fort potentiel estimé à plus de 460TWh par l’ADEME[11], le développement d’un usage transport du biométhane est mis en avant par GRTgaz et GRDF comme un levier essentiel pour verdir le mix énergétique, en assurant une demande stable pour les producteurs biométhane, complémentaire de l’usage chaleur actuel. Les opérateurs de réseau assurent que l’adaptation des réseaux pour injecter ces productions décentralisées peut se faire à un coût raisonnable[12].

Les retours d’expérience de nos voisins

Si la question des technologies alternatives au diesel n’est pas nouvelle, les expérimentations de solutions aussi radicalement différentes que l’usage de l’hydrogène ou du gaz commencent tout juste en Europe.

Pour hydrogène, l’Allemagne est en tête. Avec 16 000 autorails en circulation, la flotte à remplacer est significative. Au salon InnoTrans de Berlin de 2018, Alstom a présenté le premier train passager fonctionnant exclusivement à l’hydrogène sur un parcours de 100km. Bien qu’aujourd’hui plus chères de 10 à 20% que les rames diesel, les décideurs allemands espèrent voir leurs coûts baisser rapidement. L’Energiewende et le diesel gate ont créé des conditions politiques et économiques favorables au développement de la filière hydrogène. L’Energiewende demande à trouver des solutions viables de stockage et de transformation du surplus d’électricité produite, tandis que le diesel-gate a donné un coup d’accélérateur au marché de la mobilité à faibles émissions polluantes, qu’elles soient électriques, GNV ou hydrogène.

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L’Espagne s’avance quant à elle vers le gaz vert, avec notamment une expérimentation de locomotives au gaz, dans le Nord-Ouest du pays. Une motrice a vu son moteur diesel retiré pour laisser place à un système à gaz. Elle parcourra un tronçon de 20km, pendant une période de 6 mois. Déjà très engagée dans l’intégration du gaz naturel dans les transports, c’est un pas supplémentaire pour l’Espagne qui dispose d’atouts en la matière. Son positionnement géographique permet d’être facilement alimentée en gaz, via divers terminaux méthaniers sur toutes ses côtes et son potentiel de gaz renouvelable est conséquent, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de son secteur agricole.

Comme l’illustrent ces exemples, que le train du futur circule à l’hydrogène, avec des batteries, ou au bioGNV, le choix technologique ne pourra pas se faire indépendamment du tissu économique existant et sans rapport avec les politiques énergétiques et de mobilité déjà mises en œuvre. Le développement du diesel dans les années 70/80 en France est très instructif à cet égard : alors que les centrales à fioul étaient progressivement remplacées par la production nucléaire, il devenait indispensable d’assurer un nouveau débouché pour les pétroles lourds des raffineries françaises. Sur un mode similaire, le choix d’une technologie alternative pour remplacer les rames diesel permet d’offrir de nouveaux marchés. Ainsi, faire le choix bioGNV pourra assurer un débouché indispensable pour la filière biométhane en cours de structuration ; prendre la direction de l’hydrogène vert ou des batteries permettra de contribuer à l’équilibrage du réseau électrique fortement sollicité par la production intermittente des ENR. Pour se donner toutes les chances de réussir la transition énergétique, la cohérence des politiques d’ensemble est indispensable.

En se portant volontaires pour tester différentes technologies, les régions seront le terrain de cette transformation, en démontrant la faisabilité technique, les obstacles à surmonter et la capacité de telle ou telle technologie à s’ancrer dans la durée au sein du tissu industriel français.

[1] Chiffres clés – mobilité et transport, Ademe, 2018

[2] Chiffres clés du climat, France, Europe, Monde – Edition 2019 – Commissariat général du développement durable

[3] Sauf exception pour la ligne Paris-Provin. Voir l’explication dans « Parigo : l’hydrogène est-il le carburant du futur ? », reportage de Didier Morel

[4] Entre 0,35M€ et 1,5M€ par km pour une voie simple et entre 0,7M€ – 3M€ pour une voie double

[5] En attendant les procédures de mise en concurrence en région. Pour mémoire, en déc. 2019 les premières concessions seront attribuées à des opérateurs privés en Paca, Hauts de France, Bourgogne Franche-Comté et Pays de la Loire. En 2023, toutes les régions seront tenues de procéder à des appels d’offre, avec des particularités pour l’Ile-de-France. A noter : les conventions durant 10 ans, la SNCF pourra rester en monopole de fait jusqu’à 2033 dans certaines régions.

[6] 1 806 brevets internationaux déposés en 2010 et 2 732 en 2011 – source : Ademe, Guide d’information sur les risques et les mesures de sécurité liés à la production décentralisée d’hydrogène

[7] Source : Rapport « Filière Hydrogène énergie » à Mme la ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, 2015

[8] Source : « La SNCF teste un carburant vert » in zdnet.fr

[9] Source : Évaluation d’une politique publique : la politique d’aide aux biocarburants, La Documentation Française, 2016

[10] Source : « Nous proposons une baisse des tarifs de 2% par an », in actu-environnement.com 2019

[11] Source : Un mix de gaz 100% renouvelable en 2050 ?, ADEME, 2018

[12] Source : 100% de gaz renouvelable en 2050 : les transports représenteront un tiers de la consommation, in gaz-mobilit.fr, 2018