À 33 dollars au 1er mars, le prix du baril n’a jamais été aussi bas depuis plus de 10 ans. Après une hausse tendancielle du prix du baril de 2005 à 2014, les cours se sont effondrés de 75% ces deux dernières années [1].

Cette chute des cours intervient alors que s’amorce une transition énergétique motivée par les engagements climatiques : le 12 décembre 2015, les 196 délégations présentes à la COP 21 se sont engagées à limiter l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2 degrés.

Si à court terme la chute du prix du pétrole satisfait les consommateurs, qui gagnent en pouvoir d’achat, elle soulève des incertitudes quant à son impact sur le respect de ces engagements et le maintien des ambitions en termes de transition énergétique.

Un impact sur les investissements dans les énergies renouvelables ?

Le faible niveau du prix actuel du pétrole n’incite pas à financer de nouveaux projets dans les énergies renouvelables (ENR) qui peuvent devenir moins rentables. Selon la dernière étude de Bloomberg New Energy Finance parue début janvier 2016, les investissements dans les projets d’ENR ont chuté de 53% en France en 2015 [2] . Cependant, cette chute s’explique en partie par le grand projet d’investissement en 2014 pour la centrale photovoltaïque de Cestas (Gironde).

A l’échelle mondiale, les investissements dans les ENR ont augmenté de 4% en 2015, en recul par rapport à 2014. A l’inverse, entre 2012 et 2013, les décisions d’investissement dans les énergies renouvelables avaient sensiblement diminué en Europe et dans le monde, alors même que les cours du brut étaient encore élevés.

Cette absence de corrélation entre prix pétroliers et investissements dans les énergies renouvelables peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

  1. D’une part les possibilités de substitution directe entre ces sources d’énergies sont très limitées : le pétrole ne concurrence directement les ENR que pour une très faible part de la production d’électricité. Il ne sert à produire que 5% de l’électricité mondiale et un peu plus de 1% de l’électricité française [3]

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  2. D’autre part, les décisions d’investissement dans les projets d’ENR sont pluriannuelles (environ 7 ans par exemple pour un projet éolien terrestre en France). Les échelles de temps étant décorrélées, un ralentissement des investissements ne pourrait se faire sentir que dans quelques années.
  3. Enfin, les énergies renouvelables font aujourd’hui l’objet de politiques énergétiques favorables de la part des Etats, ce qui les préserve à ce stade vis-à-vis des aléas du marché. Il en résulte ainsi une relative indépendance des énergies renouvelables à l’évolution des cours du pétrole.

A court terme, le développement des énergies renouvelables ne semble donc pas exposé directement à la chute du prix du pétrole.

Le développement du véhicule électrique menacé ?

Contrairement à la production l’électricité, le secteur des transports dépend directement des produits pétroliers. L’attractivité des véhicules traditionnels se renforçant lorsque les prix du pétrole diminuent, le développement des voitures électriques pourrait être la première victime de la baisse du prix du baril.

En France cependant, le marché du véhicule électrique a réalisé une année 2015 très positive avec 22 187 immatriculations en 2015, marquant une progression de 47,5% par rapport à 2014 [4].

Ces résultats exceptionnels dans un contexte de chute marquée des prix du pétrole peuvent s’expliquer par deux raisons majeures :

  1. Depuis avril 2015, le gouvernement a introduit un « superbonus » de 10 000 € pour quiconque se débarrasserait d’une voiture diesel de plus de 14 ans et achèterait une voiture électrique[4], apportant un coup de pouce notable à la filière.
  2. De plus, du fait que le prix du pétrole brut ne représente que 30% du prix à la pompe, celui-ci n’a pas changé dans des proportions aussi importantes que celles des cours de l’or noir : le prix du litre de gazole a ainsi reculé de seulement 13% depuis août 2014 [5] .

Dans ce contexte, la ministre de l’écologie a par ailleurs proposé d’augmenter encore la taxation du gazole afin de dégager, dès 2016, 200 à 300 millions d’euros pour financer les infrastructures de transport [6].

De même que les investissements dans les énergies renouvelables, le marché des véhicules électriques fait ainsi l’objet d’une politique volontariste de l’Etat qui doit permettre de soutenir son émergence.

Un levier pour introduire une réglementation des émissions carbone plus contraignante ?

Le faible prix du pétrole n’incite pas à limiter la consommation (voiture, aérien, industrie…). Pour l’ensemble des produits pétroliers en France, la consommation est en hausse de 1,1 % pour l’année 2015, par rapport à 2014 qui avait vu un recul de la consommation de 2.5% [7].

Cette surconsommation, alors que la croissance de l’activité économique reste faible, pourrait avoir un effet néfaste sur les émissions carbone et l’engagement de réduction de 50% de la consommation énergétique à horizon 2050.

Au niveau mondial aucun engagement contraignant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a été pris au cours de la COP 21. Dans le texte de Paris, seul l’alinéa 137 reconnaît « combien il importe de fournir des incitations aux activités de réduction des émissions, s’agissant notamment d’outils tels que les politiques nationales et la tarification du carbone. »

En France, la loi de transition énergétique a prévu de faire augmenter progressivement la « contribution climat énergie » (taxe carbone portant sur les émissions de CO2 liées à la consommation d’énergies fossiles). De 22€/t CO2 en 2016, elle s’élèvera à 100 €/t CO2 en 2030, soit une augmentation d’environ 20c€ par litre de gazole consommé [8]. La réforme de la CSPE permet de dégager une taxe sur la consommation d’électricité produite notamment par des sources carbonées pour servir la transition énergétique.

Le faible prix du pétrole offre sans doute une conjoncture propice pour adopter une tarification du CO2 qui pourrait augmenter progressivement jusqu’à atteindre des niveaux plus significatifs.

Des engagements à maintenir

En France, c’est notamment avec le soutien de la politique énergétique de l’Etat que les énergies renouvelables et les véhicules électriques peuvent continuer à se développer sans être impactés directement par un marché où le prix du pétrole est bas.

Depuis la concrétisation des engagements climatiques, les subventions des Etats s’inscrivaient dans un contexte de pétrole structurellement haut. Les politiques de transition énergétique allaient donc dans le sens de l’attractivité économique, en contribuant à la réduction du déficit de la balance commerciale énergétique.

Ces politiques vertueuses en faveur du climat seraient-elles maintenues si les intérêts économiques se faisaient moins sensibles avec un maintien des cours du pétrole bas ? A court terme, ces orientations ne devraient pas être remises en question, mais il faut souhaiter que ces engagements perdurent à plus long terme, même si le monde s’inscrivait durablement dans une nouvelle ère de pétrole bon marché.

Sources :

[1]https://prixdubaril.com/

[2] http://www.bloomberg.com/news/articles/2016-01-14/renewables-drew-record-329-billion-in-year-oil-prices-crashed

[3] Gouvernement : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/15_
_La_production_d_electricite_en_France_et_l_effacement.pdf

[4] Avere France : http://www.avere-france.org/Site/Article/?article_id=6440&from_espace_adherent=0

[5] http://www.lefigaro.fr/conso/2015/08/25/05007-20150825ARTFIG00193-chute-des-prix-du-petrole-les-francais-enfin-decides-a-rouler-plus.php

[6] http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/01/20/segolene-royal-veut-1-000-kilometres-de-routes-couvertes-de-panneaux-solaires-d-ici-a-cinq-ans_4850721_3244.html

[7] UFIP : http://www.ufip.fr/actualites/consommation-francaise-de-produits-petroliers-en-decembre-et-pour-lannee-20#news_6535

[8] http://www.connaissancedesenergies.org/fiscalite-de-lenergie-et-strategie-bas-carbone-160107