Lancé sur le modèle Vélib’ apparu en 2007, Autolib’ a été inauguré à Paris en 2011. 7 ans plus tard, à sa fermeture, le service comptait 150 000 abonnés et couvrait plus de 100 communes ! La fin de ce service a été regretté par beaucoup, comme Nicolas Hulot, alors ministre, qui jugeait que celle-ci n’allait pas « dans le sens de l’histoire [qui est] de mettre des véhicules à disposition pour tout le monde ».

Comment expliquer qu’une solution alors très innovante et plébiscitée n’ait pas réussi à survivre ? Si le dispositif a finalement échoué du fait de ses déséquilibres financiers, il n’en reste pas moins que l’aventure Autolib’ était un pari osé, au carrefour de plusieurs ambitions. Différentes évolutions techniques ont progressivement remis le modèle en cause, mais ce service d’autopartage a permis, avec Vélib’, de faire décoller les nouvelles formes de mobilité urbaine, faisant de Paris une vitrine reconnue à l’international sur ce sujet. La mobilité partagée, où l’usage du véhicule n’est plus lié à sa possession, est aujourd’hui une solution reconnue dans les centres urbains. Elle a même franchi une nouvelle étape de maturité, avec la généralisation des solutions en free floating. Ce nouveau format, s’il facilite sa démocratisation, n’est pas sans poser de nombreuses questions, notamment sur la répartition des rôles entre acteurs privés et pouvoirs publics.

Atlante vous propose d’analyser dans une série de 3 épisodes cette révolution de la mobilité qui se déroule sous nos yeux à Paris : de la fin d’Autolib’ à la nouvelle gouvernance de la mobilité entre public et privé, en passant par l’explosion du free floating.
Avec à peine 1 an de recul, nous pouvoir déjà voir que, contrairement à ce que l’on pouvait penser alors, la fin d’Autolib’ – comme les déboires du Vélib’, pourrait finalement contribuer à accélérer l’histoire de la mobilité et à « mettre (plus) de véhicules à disposition pour tout le monde ».

1er épisode : Autolib’ : un pari osé, un succès important mais tellement « ruineux »

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Le pari

Autolib’ est avant tout un pari technologique : en plus de tester une solution innovante d’usage partagé de véhicules, la Mairie impose le choix de l’électrique et du « one way ».

Alors même que les batteries et systèmes de recharge cherchent encore leur voie à la fin des années 2000, ce choix résolument risqué est un pari sur l’avenir. Fondé sur l’utilisation d’une technologie de batterie lithium métal-polymère produite exclusivement par Bolloré, les Autolib’ doivent démontrer qu’une mobilité électrique est possible – et que la technologie défendue par le groupe français est viable. La Mairie comme Bolloré réalisent un joli coup.

Paris se place ainsi comme vitrine d’un nouveau genre de mobilité, plus propre, en convainquant plusieurs dizaines de communes de sa périphérie de financer l’aventure. Paris impose également le modèle, calqué sur celui du Vélib’, du « one way », alors inédit dans l’autopartage : l’utilisateur démarre son trajet à un point A pour se rendre à un point B, la société se charge de réguler la flotte de véhicules.

Le fait qu’un système d’autopartage prenne naissance à Paris n’est pas un hasard, car la ville dispose du plus faible taux de motorisation en France. Seulement un tiers des ménages possèdent une voiture, et cette part décroît chaque année, à mesure que se densifie l’offre de transport en commun et que les contraintes de la possession automobile croissent.

On parie alors qu’Autolib’ trouve naturellement sa place dans le bouquet parisien de mobilité très diversifié et multimodal, entre le RER, le métro, le bus, le tramway ou les taxis.

Le succès 

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5 ans après son lancement, Autolib’ a déjà parcouru 165 millions de kilomètres et totalise 18 millions de locations cumulées. Les chiffres flatteurs sur son utilisation s’accumulent. En moyenne, un véhicule est loué toutes les cinq secondes, 150 000 abonnés utilisent ce service et avec 1000 stations, on trouve en moyenne « une station toutes les 500 mètres ».

De fait, Autolib’ est entré dans le paysage parisien, offrant une réelle solution alternative de mobilité. Mais alors qu’on s’attendait à ce qu’elle remplace la voiture individuelle, elle concurrence aussi et surtout les déplacements en transport en commun voire… l’utilisation de taxis.

Malgré son utilisation importante, son impact sur la circulation et la pollution fait en effet débat : selon une étude CSA menée pour Autolib’, en 5 ans, le dispositif mis en place aurait permis de sortir de la circulation environ 36 000 véhicules en Ile-de-France, contribuant ainsi à décongestionner la circulation et améliorer la qualité de l’air.

D’autres spécialistes défendent le contraire : « On prend la Bluecar pour éviter de descendre dans le métro, parce qu’il pleut, ou juste pour le plaisir de conduire. C’est un taxi que l’on conduit soi-même. Autrement dit, là où l’autopartage « en boucle » amène l’adhérent à se passer de voiture, le « one way » l’incite à l’utiliser davantage », comme l’analyse Olivier Razemon.

La « ruine »

Autolib’ rencontre rapidement des difficultés. Si le nombre d’abonnés augmente, la fréquence de location fléchit, car plus les utilisateurs sont nombreux, moins les voitures sont disponibles et les temps de recharge ajoutent un facteur d’indisponibilité supplémentaire[1].

Le groupe n’arrive pas à atteindre l’équilibre économique, tandis que les investissements se poursuivent, pour densifier et étendre à la banlieue les stations dans des zones où la demande est pourtant moindre, complexifiant sérieusement la bonne rotation des véhicules. Ni la rentabilité, ni les économies d’échelles n’étaient au rendez-vous.

Or, dans la capitale, Bolloré a signé une délégation de service public. Il bénéficie ainsi de subventions, mais ne peut arbitrer sur des sujets vitaux : il se voit ainsi refuser la fermeture de 200 stations (20% du parc) qu’il juge non-rentables. L’objectif premier du syndicat de commune est alors guidé par la notion de service public et d’équilibre des territoires[2].

Bolloré n’est pas sur la même longueur d’onde. Même s’il voulait faire d’Autolib’ une démonstration grandeur nature de la technologie de son Groupe, le critère de l’équilibre économique de l’opération à l’échelle d’Autolib’ devient prépondérant avec les années.

Dès 2014, le mot est lâché. Lorsqu’on lui demanda combien coûtait l’opération Autolib’, Vincent Bolloré avoua « c’est ruineux » !! On connaît la suite : pour éponger sa « dette abyssale », le groupe Bolloré réclame au printemps 2018 au syndicat de communes desservies par le service près de 40 millions d’euros par an jusqu’au terme de la délégation de service public, en 2023.

C’en est trop pour Paris et les communes concernées, le service s’arrête quelques mois plus tard…

Prochain épisode (2/3) : 2017-2019, les Années Folles à Paris

[1] Les choix technologiques de Bolloré imposaient une charge lente et continue lorsque le véhicule n’était pas utilisé.

[2] À Lyon, Bluely n’a noué aucun accord sur son offre en tant que telle avec la ville. La capitale des Gaules loue uniquement les places de parking à Bolloré pour installer ses stations de recharge. Certes, “l’investissement et les risques commerciaux sont à la charge de l’entreprise”, souligne la métropole lyonnaise dans Lyon Capitale. Mais en contrepartie, le groupe fixe ses prix, peut quitter la ville quand il le désire, fermer des stations à condition de remettre la voirie en état.